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lundi 9 décembre 2013

Mort d'un Africain

 Mais quel Africain!
                                 Le charismatique Nelson n'aurait certainement pas aimé l'excès de théâtralisation autour de son image, devenue icône parfois extravagante.
 On pouvait s'attendre à cette mythification de Mendela, qui fait oublier ses zones d'ombre, celles de tout homme normal, l'histoire réelle de son parcours et la situation actuelle de son pays. Il se riait lui-même du culte qu'on lui vouait parfois.
     Des louanges bien méritées certes, mais qui dépassent chez nous parfois les limites de la décence (*) et qui ne sonnent pas toujours juste. Les tartuffes ne manquent pas: les USA n'ont reconnu que très tardivement la juste place de Mandela, Israël oublie qu'elle a soutenu jusqu'au bout l'apartheid, la France a fait de bonnes affaires avec le système raciste..
     La légitime émotion populaire ne peut faire oublier la cohorte des pleureurs de la dernière heure. Les Occidentaux se sont tus lorsqu’il s’est agi d’exiger la libération de celui en qui ils voyaient un terroriste. Dans une Afrique du sud que beaucoup voyaient glisser vers les pires affrontements, l'action d' un homme et d'une organisation, dont il a opéré la mutation, a tout changé. La force de caractère et la lucidité, forgées dans les prisons, a opéré un virage sans égal, un renversement spectaculaire, favorisé par l'affaiblissement d'un régime raciste internationalement aux abois.
              Mais après Mendela, la difficile transition risque de durer encore...
                   Il n'a pas pu ou su contrôler la suite. Une part de l'héritage lui a échappé.
 L’esprit Mandela reste à reconstruire dans la réalité, selon l'écrivain sud-africain André Brink  
      L'oeuvre immense reste  inachevée. 
Sa grandeur lui survivra, mais pas son  héritage.
 "...Vingt ans plus tard, cette réconciliation politique n’a toujours pas trouvé sa traduction sur le terrain économique et social d’un pays figurant parmi les plus inégalitaires du monde. L’espérance de vie est encore beaucoup plus élevée pour les Blancs que pour les Noirs – qui représentent près de 80 % de la population –, ces derniers étant cinq fois plus frappés par le chômage... Le gouvernement de libération, avait promis Mandela, nationaliserait l’économie héritée de l’apartheid, y compris les banques. Mais, une fois au pouvoir, le parti a abandonné son programme “de reconstruction et de développement” [RDP program] visant à éradiquer la pauvreté dans laquelle croupissaient la plupart des Sud-Africains. L’un des ministres s’est même vanté de la politique “thatchérienne” menée par l’ANC....Rares étaient les Sud-Africains à savoir que ce “processus” avait commencé dans le plus grand secret plus de deux ans avant la libération de Mandela. A cette époque, le prisonnier était personnellement engagé dans de discrètes négociations...Au lendemain des élections démocratiques de 1994, l’apartheid racial a pris fin et l’apartheid économique a pris un nouveau visage. [Ceux qui étaient autrefois aux commandes] accordaient aux hommes d’affaires noirs des prêts à des conditions généreuses, leur permettant de créer des entreprises à l’extérieur du périmètre des bantoustans [provinces dans lesquelles étaient parquées les populations noires]. Une nouvelle bourgeoisie noire a fait son apparition. Les responsables de l’ANC s’installaient dans de belles demeures. Et le fossé se creusait entre les Noirs, à mesure qu’il se réduisait entre Noirs et Blancs.... 
       Le FMI était aussi passé par là, comme l'a relevé Naomi Klein... Les  dérives libérales  ne sont donc pas étonnantes.
    La politique sociale des débuts n'a pas suffi. "Dans le contexte d'un monde dominé par le consensus de Washington, "Thabo Mbeki maintient un contrôle rigoureux des dépenses de l'État et mène une politique économique libérale." (Wiki)
    Le mythe arc en ciel  s'est brisé sur la réalité. Il reste à transformer l'essai.
     Les inégalités ne sont plus que raciales  "En 2012, le pays est sévèrement marqué par une série de troubles sociaux sanglants, débutés lors de grèves à la mine de platine de Marikana, avant de s’étendre à société sud-africaine et à la sphère politique. Ces troublent manifestent non seulement la frustration des sud-africains les plus pauvres qui considèrent que leur situation ne s'est pas améliorée, voire s'est aggravée depuis la fin de l'apartheid mais pointent aussi tout un nombre de dysfonctionnements importants tels l'absence de dialogue social en Afrique du Sud, l'incompétence de la police, l'apparition d'un apartheid économique, la collusion entre les élites politiques et économiques ainsi que les luttes de pouvoir au sein de l'ANC" (Wiki)
    De récente émeutes rappellent la dure réalité de la condition de beaucoup de noirs.
Le bilan est donc contrasté.
        Difficile de dire où va l'Afrique du Sud...
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(*)Affairisme autour de l'image
"...Pendant que Mandela s'efface progressivement de la scène publique, l'industrie Mandela, elle, n'a jamais été aussi florissante. C'est le «Mandela» franchisé, fétichisé, frappé, moulé, massivement fabriqué et perpétuellement exploité –et qui n'a plus le moindre lien avec l'être humain d'origine. C'est le Mandela mondial, chosifié à l'extrême –à moitié Che Guevara, à moitié Mickey Mouse.
L'image de Madiba est partout, sur les T-shirts, les tasses à café, et même sur les nouveaux billets de banque sud-africains. Les marques de vêtements Mandela se comptent à la pelle. Il y a aussi la pièce d'or Mandela, destinée aux richissimes expatriés sud-africains (ceux-là même qui adorent suffisamment leur pays pour chanter partout ses louanges, mais pas assez pour y vivre).
Aux touristes, les magasins de souvenirs vendent des gadgets Mandela frappés du slogan «Revenez avec un bout de l'Afrique dans vos bagages» –qu'importe qu'ils soient probablement fabriqués en Chine. 
L'hagiographie s'est internationalisée depuis longtemps. L’adaptation hollywoodienne d'Un long chemin vers la liberté, le best-seller autobiographique de Mandela (écrit en sous-main par Richard Stengel, aujourd'hui rédacteur en chef du Time) est prévue pour cette année. Dans le film, c'est Idris Elba, l'acteur britannique d'ascendance ghanéenne et sierra-léonaise, célèbre pour son rôle dans la série The Wire d'HBO, qui jouera Mandela.  Un casting qui a déclenché l'ire de quelques jeunes comédiens sud-africains. «Mandela a déjà été interprété par Danny Glover, Morgan Freeman et Sidney Poitier», m'a dit récemment un ami acteur.     «Quand verrons-nous un vrai Sud-Africain jouer le rôle du Sud-Africain le plus célèbre au monde?»
Et il y a aussi l'émission de télé-réalité. Le 10 février, la chaîne de NBC Cozi TV a lancé Being Mandela, où se retrouvent trois des petites-filles de Mandela, qui cherchent à l'évidence à rivaliser avec les Kardashian.    Et pendant ce temps, une lettre divulguée à la presse en juillet dernier révélait une scission entre l'ANC et sa famille la plus célèbre. Dans ce courrier, l'ex-femme de Mandela, Winnie Madikizela-Mandela, déplorait:  «Personne ne s'est jamais soucié de savoir comment nous allions, en tant que famille. A l'évidence, nous n'avons aucune importance, sauf quand on peut se servir de nous à des fins quelconques».
C'est un peu fort de café, vu que Madikizela-Mandela a été l'une des premières à exploiter le nom de Mandela, en vendant à des touristes et à des prix exorbitants de la terre et autres colifichets provenant de la maison de son mari à Soweto.
Mais Madikizela-Mandela a quand même raison sur un point. Aujourd'hui, Madiba n'est rien d'autre qu'une marionnette ballottée entre l'ANC (qui se sert de son nom pour stimuler son électorat ou rappeler ses heures de gloires à ses partisans), les partis de l'opposition (qui brandissent son nom comme une arme) et les médias internationaux (pour qui Mandela résume combien le pays n'est pas à la hauteur de ses idéaux, qu'importe qu'ils soient de toute façon inatteignables).
La mort de Mandela sera peut-être l'occasion d'un charitable état des lieux: en tant que pays, où se situe aujourd'hui l'Afrique du Sud, où devrait-elle être, et comment y arriver. L'espoir pour une Afrique du Sud post-Mandela, c'est de voir des jeunes dirigeants trouver une voix nouvelle, libérer les partis politiques de la gabegie qui n'a cessé de rogner l'autorité morale de ce pays, continuer à se battre pour les droits de la majorité pauvre et offrir, encore une fois, une vigoureuse démocratie à l'Afrique du Sud. Ce qui est triste, c'est qu'il faudra sans doute le décès de Madiba pour que tout cela devienne possible. [Roy Robins, auteur qui réside au Cap.]
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-Nelson et Winnie: des relations compliquées

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