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mercredi 29 novembre 2017

L'"authentique" à tous prix

Tout pour le marché
                          Vers une marchandisation sans fin?
      Le monde de la grande distribution, dans la perpétuelle concurrence de leurs produits toujours en quête d'innovation, surtout en période de baisse du chiffre d'affaires,  semble avoir une imagination sans fin pour conquérir de nouveaux marchés et renouveler leur produits. Il faut innover, étonner, parfois heurter...c'est la loi et les prophètes marchands.
  Il faut être tendance, à l'affût des innovations, prendre de l'avance, même en matière de produits alimentaires, recommandés à juste titre ou non.
     L'introduction du bio, plus ou moins authentique, ne suffit pas. Après le greenwashing, il faut aller toujours plus loin et prospecter les nouveaux gisements d'authenticité pour coller au plus près des nouvelles aspirations. que la publicité se chargera en partie de susciter.
        L'authentique devient un argument de vente, un nouvel hameçon qui a des chances de fonctionner un certain temps.
         On en vient aujourd'hui, dans la fièvre novatrice, à de nouvelles audaces, à annexer la richesse non-marchande:
                      "Il y a bientôt 20 ans (1999), le bel ouvrage Le nouvel Esprit du Capitalisme co-écrit par Luc Boltanski et Eve Chiapello nous alertait sur la transformation galopante du non-capital en capital.
     Mettre en marché le non-marchand.
       Plus précisément, le livre pointait du doigt comment les entreprises qui avaient uniformisé leurs offres pour des raisons d’efficacité productive étaient à la recherche de différenciation demandée par les consommateurs. Et, pour ce faire, elles allaient rechercher des biens matériels ou immatériels demeurés jusque-là hors de la sphère marchande pour les mettre en marché.
    Pour reprendre les mots des deux auteurs, il s’agit  « d’une mise en exploitation sous le régime du capital d’êtres, de biens, de valeurs et de moyens qui, tout en étant reconnus comme constituant des richesses, n’étaient pas moins exclus jusque-là de la sphère du capital et de la circulation marchande ».
     Aujourd’hui, nombre d’entreprises traditionnelles – non issues de l’économie digitale – sont à la recherche de gisements d’authenticité dont elles vont chercher à tirer profit en faisant glisser la valeur générée hors marché vers le marché, c’est-à-dire en transformant une pure valeur d’usage en valeur d’échange. Cette opération suppose la prospection des gisements d’authenticité potentiellement sources de profit, tels que des activités et des êtres humains, des paysages, des endroits où l’on se sent bien, des rituels, des manières d’être et de faire… non encore introduits dans la sphère de circulation marchande.
   C’est ce que fait le géant de la distribution Carrefour avec le lancement de sa campagne « Marchés interdits » le 20 septembre 2017. L’enseigne se lance dans la vente de légumes issus de semences paysannes « interdites » pour défendre la biodiversité et améliorer la différenciation de son offre.
    Surfant sur la préoccupation de plus en plus partagée de défense de l’environnement, et anticipant son possible rachat par Amazon qui possède la première chaîne de supermarché bio aux USA, Whole Foods Market, Carrefour propose à la vente une offre de fruits et légumes issus de semences paysannes dans une quarantaine de magasins franciliens et bretons jusqu’alors jamais commercialisés en grande surface...."
    Il s'agit de  ...rechercher un nouveau gisement d’authenticité à exploiter : Intermarché l’a trouvé dans les « Légumes Moches » et Carrefour le recherche maintenant dans les semences paysannes. Alors que Carrefour a longtemps joué l’uniformisation des fruits et légumes, il trouve dans ces semences paysannes un vecteur de différenciation d’offre et d’image et une cause à défendre. Embrassant ainsi les derniers développements en marketing, il vient aider une tendance ou contre-tendance culturelle à percer en l’accompagnant pour en devenir le symbole.
    L’enseigne a ainsi mis en ligne une pétition sur carrefour.fr et Change.org pour qu’un paysan qui produit ses propres semences puisse les vendre, alors qu’aujourd’hui il a uniquement le droit de les échanger, mais également pour que ces semences puissent être distribuées par les semenciers.   Alors que Carrefour semble porter cette cause, la demande d’autorisation de vente des semences paysannes est une des nombreuses batailles menées de longue date par un acteur collectif de la société civile, le Réseau Semences Paysannes (RSP).     L’initiative de Carrefour vient donc capter la cause défendue par RSP, mais, de plus, la réduire à un simple problème commercial car, la difficulté principale avec les semences paysannes est avant tout de retrouver les savoir-faire spécifiques qui les accompagnent. De la production aux champs à la cuisine en passant par la conservation, le transport et la distribution, les semences paysannes et les produits qui en sont issus ne sont pas adaptés à la filière industrielle. Des savoir-faire spécifiques sont nécessaires pour les sélectionner à la ferme, pour conduire les cultures, pour en stocker les produits, pour les transformer ou les cuisiner.     En faisant passer les semences paysannes juste pour des semences interdites à la vente, la campagne de Carrefour délégitimise la cause des paysans qui recherchent avant tout un moyen de retrouver l’autonomie et la diversité dans les fermes en auto-produisant leurs semences.    Par sa campagne « Marché interdit », Carrefour désapproprie ainsi quinze années de travail du RSP qui cherche à faire des semences paysannes un Commun, une ressource à gérer collectivement et équitablement par tous les usagers qu’ils soient paysans, transformateurs, commerçants ou mangeurs, et ce pour en faire une cause marchande....
                                       ____ Tout cela  non sans arrière pensées, dénaturations et mystifications. Les interrogations dominent vis à vis de ce "coup de force", qui reste purement commercial...
     L'Europe a verrouillé les semences anciennes
  Carrefour (et d'autres chaines bientôt) s'engagent à fond dans le fondamentalisme marchand, faisant courir de grands risques aux producteurs, toujours soumis aux lois du marché, malgré une volonté de partenariat affichée.C'est le problème de la  marchandisation de notre quotidien qui est posé d'une façon générale, celle de la vie en général, comme  nous proposent d' y réfléchir Céline Lafontaine     et Michael Sandel.
      Bien au delà de la pure alimentation...
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