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mardi 1 mai 2018

(Nouvelle) question allemande

Y a comme un défaut...
                     L'Europe patchwork post-maastrichtienne favorise la montée de l'hégémonie allemande, nain politique mais puissance économique dont l'ascension semble irrésistible. Du moins pour l'instant.
    Une hégémonie de fait dans un contexte politique compliqué, qui pourrait commencer à fragiliser un consensus imposé jusqu'ici.
        Wolfgang Streeck est un économiste allemand qui prend des distances par rapport à la ligne politique de son pays, surtout depuis Schröder, et des failles d'une Europe en panne de projets,  estimant que dans le contexte actuel, nous nous trouvons devant une impasse, devant un équilibre, non pas des forces, mais des faiblesses. Suite aux élections, l’Allemagne n’est plus en mesure de répondre aux attentes de ses partenaires en termes de « réformes », c’est-à-dire en termes de concessions matérielles : l’AfD et le FDP feront tout au Bundestag pour dénoncer ouvertement et avec fracas toute initiative qui irait au-delà du traité de Maastricht ou de ce que permet la Constitution allemande. En Italie, depuis la fin de Renzi, il n'est plus envisageable que le pays poursuive les réformes néo-libérales exigées d’elle jusqu’à maintenant.  Cela impliquerait que l’Italie puisse attendre de l’Allemagne un soutien économique en retour, qui ne soit pas que symbolique.
    En France, en l’absence de larges compromis de la part de l’Allemagne - que celle-ci ne peut concéder - Macron risque quant à lui d’être le troisième président consécutif à devoir tirer sa révérence après n’avoir effectué qu’un mandat. Du coup, son plus grand atout réside dans la peur qu’ont les autres, en particulier l’Allemagne, de ce qui pourrait advenir par la suite.
   Bref, tout cela laisse présager une continuation du marasme des dernières années, dans un contexte de mécontentement toujours croissant des citoyens, de déliquescence progressive des institutions européennes et d’accroissement des déséquilibres économiques entre membres.
 ...En effet, l’Allemagne est, aux côtés de quelques petits pays du Nord, la grande bénéficiaire de l’euro. 
           Jean-Michel Quatrepoint parle, lui, d' "empire" allemand, qui impose les règles de l'ordolibéralisme, qui bénéficie d'une monnaie qui l'avantage, qui s'appuie économiquement sur un Hinterland et une importante main d'oeuvre sous-payée lui permettant de bénéficier de très importants surplus du commerce extérieur.
  La question se pose toujours, lancinante et sans solution envisageable dans l'état actuel de confusions et de polémiques avec les nationalismes montant ici et là: allons-nous vers une Europe allemande ou une Allemagne européenne ? En l'absence do coopération de fait,  
Berlin a besoin de ses voisins et n'a pas intérêt à les voir faiblir, en dépit de la rigidité merkelienne.
          Malgré les prétentions de Macron de rééquilibrer les choses, de faire bouger l'Europe, il se retrouve bien seul, même si on l'écoute poliment. Angela est plus à l'écoute des voix qui viennent de l'Est et de l'Empire de Milieu, de Pékin, qui contribue largement à faire tourner sa machine industrielle.
      ________  « L'Europe allemande est maintenant sur le point de prévaloir sur l'aspiration d'une Allemagne européenne. » disait Romano Prodi, ex-président de la Commission de Bruxelles.
                                  Périodiquement, depuis 1870, se pose la question géopolitique au sujet de la place de l'Allemagne au sein de l'Europe.
   L' Histoire récente de l' Allemagne, aux frontières mal définies pendant longtemps, est jalonnée de ruptures, de mutations.
      On assiste aujourd'hui, après la réunification, à la faveur d'une montée en puissance du pays, de son leadership industriel, de ses capacités exportatrices, de la force de sa monnaie favorisant un mercantilisme sans complexe, à un retour de la  question allemande, diversement interprétée selon les pays, les époques, les courants politiques. Elle fait aujourd'hui aussi question dans une frange du monde politique allemand lui-même. Une certaine élite vise carrément une  au coeur d'une Europe sans pouvoir. Dans ses propres mots, il veut que l’Allemagne, comme la «puissance au centre», devienne le «chef exigeant» de l’Europe et constitue sa «puissance hégémonique» afin de défendre ses intérêts géopolitiques et économiques.
   Une question complexe et évolutive.
              Beaucoup, surtout après la gestion désastreuse de la crise grecque, se posent la question: que veut l’Allemagne ?
     Dans le Financial Times de Londres, Wolfgang Münchau a accusé les créanciers de la Grèce d’avoir « détruit la zone euro que nous connaissons et démoli l’idée d’une union monétaire comme étape vers une union politique démocratique. » Il a ajouté, « par là, ils sont revenus aux luttes nationalistes des puissances européennes du 19e et du début du 20e siècle...
   Schäuble et ses partisans dans la politique et les médias se battent donc pour une Europe dominée et disciplinée par l’Allemagne et qui sert de tremplin à la politique de grande puissance mondiale de Berlin. Schäuble avait déjà développé cette idée en 1994 dans le soi-disant ‘document Schäuble-Lamers’, sous le titre de « Noyau européen. » À cette époque, il proposait de réduire l’UE à un noyau dur lié à l’Allemagne, autour duquel les autres pays de l’UE seraient vaguement regroupés.
   Herfried Münkler favorise également cet objectif. Dans son livre récent « La puissance du milieu » il exige que l’Allemagne assume le rôle de « maître de corvée » de l’Europe un terme qui coïncide avec l’orientation de Schäuble et jouit d’une popularité croissante dans les médias et les milieux politiques.
   Münkler a plaidé dans de nombreuses interviews tout récemment en faveur d’un « noyau européen » autour duquel se grouperaient un deuxième et un troisième cercle qui auraient « moins de droits, mais aussi moins d’obligations. »   
       La question allemande est de retour plus ou moins explicitement au coeur des débats allemands, européens ou extra-européens.
         Hans Kundnani est chargé de recherche au German Marschall Fund, think tank américain destiné à favoriser les relations transatlantiques. Spécialiste de la politique étrangère allemande, il est l'auteur de The Paradox of German Power (2014). Dans ce livre inédit en France, il retrace l'histoire allemande sous le prisme de son rapport à la puissance et à l'hégémonie. Selon lui, la « question allemande », qui surgit en 1871 avec l'unification du pays, est bien de retour. Cette fois, il ne s'agit plus de domination militaire ou politique mais de leadership économique. Mais, prévient-il, les dégâts pour l'Europe pourraient être considérables...
... D’une certaine façon, la réunification de 1990 a relancé la question allemande, mais de façon géo-économique, et non plus géopolitique ou militaire. À nouveau, l’Allemagne se retrouve dans cette situation intermédiaire. Il y a d’un côté une sorte de coalition allemande, avec des pays qui défendent les règles et les positions de l’eurozone. C’est le cas de la Slovaquie, complètement intégrée au système productif allemand, ou des pays baltes qui ont fait d’énormes efforts pour intégrer la monnaie unique et la zone euro. En face, il y a des pays avec des intérêts économiques différents. L’énorme surplus du commerce extérieur en Allemagne provoque des déséquilibres très importants sur les pays de la « périphérie ». La taille de l’économie allemande crée une grande instabilité en Europe, comme à l’époque sa domination militaire. Dans cette lutte, la France se retrouve au milieu..."
   L’historien allemand Ludwig Dehio a parlé pour cette période d’une Allemagne en situation de « semi-hégémonie »...
   Le célèbre sociologue allemand Ulrich Beck, récemment décédé, parle de l’Allemagne comme d’un « empire accidentel ». « Il n’y a pas de plan stratégique, pas d’intention d’occuper l’Europe, pas de base militaire. La discussion sur un Quatrième Reich est donc déplacée. Mais cet empire a une base économique »...Il n’est pas le seul à l’avoir utilisée. George Soros ou Martin Wolf du Financial Times ont eux aussi parlé d’un empire. Mais c’est un terme à la fois très chargé et flou... 
    Si l'on continue dans la direction prise en Europe ces cinq dernières années, le risque est grand d’aller vers une Europe très différente du projet des Pères fondateurs. Comme le souligne le penseur allemand Wolfgang Streeck [lire ici un entretien d’Antoine Perraud sur Mediapart], nous risquons d’aller vers une Europe plus brutale, technocratique, autoritaire, où la politique économique est de plus en plus isolée du contrôle démocratique. D'ailleurs, même si l'on parvenait à une union politique, rien ne dit qu’on pourrait changer les fondamentaux de la politique économique. Quand Wolfgang Schäuble parle d’un pas supplémentaire dans l’intégration, il parle en réalité d’une Europe qui suivrait les règles allemandes...
   Au départ, l’Union européenne n’est pas un projet néolibéral. Pour la droite britannique, dont une partie veut quitter l’euro, c’est même encore un projet de gauche ! Mais de fait, avec le marché commun, le compromis Delors-Thatcher, et plus récemment la crise des dettes souveraines en Europe, il y a eu une sorte de « néolibéralisation » de l’Europe. Et plus exactement, une « ordolibéralisation » de l’Europe. Or quand on y regarde de près, l’ordolibéralisme est une forme plus extrême du néolibéralisme. Ce que l’Europe impose à la Grèce, avec la non-possibilité de dévaluer sa monnaie et le refus de réduire la dette, va au-delà des préconisations du FMI... 
      L’Europe de Jean Monnet, décidée en juin 1965 à Washingtonentre les responsables du département d’ Etat américain et Robert Marjolin, le représentant de la CEE, est morte. 
"La création de l’euro devait « rester secrète jusqu’à ce que ce soit irréversible. " 
____________On est loin des fluctuations de De Gaulle 
      L'euro, qui fut d'abord une monnaie allemande, doublement bénéficiaire, est devenu l'instrument de sa domination.
  Une domination cependant fragile, au modèle souvent contesté, non généralisable, où s'exerce le  primat de la règle.
     Mais en Allemagne, quelques grandes voix se sont exprimées pour critiquer l'accord grec et l'austérité, comme celle de l'ancien chancelier social-démocrate Helmut Schmidt ou du philosophe Jürgen Habermas, horrifié que son pays ait « dilapidé en l’espace d’une nuit tout le capital politique qu’une Allemagne meilleure avait accumulé depuis un demi-siècle ». « Le gouvernement allemand a revendiqué pour la première fois une Europe sous hégémonie allemande – en tout cas, c’est la façon dont cela a été perçu dans le reste de l’Europe, et cette perception définit la réalité qui compte. » S'il était encore en vie, le prix Nobel de littérature Günter Grass, décédé il y a quelques mois, aurait peut-être rédigé une suite à Europas Schande (La Honte de l'Europe), poème qu'il publia en 2012 pour rappeler à l'Europe qu'elle « clou[ait] au pilori » son « berceau... 
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-L'euroscepticisme gagne dans l'opinion allemande 
-Défaire ou refaire l'Europe?
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