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lundi 5 octobre 2020

Corona-incertitudes

Ebranlement

                                    Celle que nous avions presque fini par oublier, par naïveté ou par insouciance, nous revient à la figure et peut-être pour plus longtemps qu'on ne le croit,    Devant des services de santé impréparés et encore désarmés, le virus poursuit son oeuvre, n'ayant pour seul objectif que de se reproduire autant qu'il le peut, sans état d'âme.      Le désarroi commence à s'installer, ainsi que des tensions sociales fortes, comme on aurait pu le prévoir, face à des mesures dont la cohérence reste à prouver.         __Aucune  pandémie n'échappe à cette loi de désorganisation et de remises en question profondes, qui redistribuent brutalement les cartes, le cours de l'histoire se trouvant soudain dévié, parfois pour une longue période.      __Comme le montrent les anciennes épidémies de peste, que nous avons oubliées, qui ont questionné plusieurs fois nos sociétés fragiles et désemparées, comme la récente grippe espagnole.      La question se repose sourdement, mais de manière lancinante: et après ..?      Dans les projets confus d'aujourd'hui, se mêlent espoirs er craintes. Comme le fait apparaître le point de vue souvent:

            "...Les épidémies se suivent et ne se ressemblent pas toujours. Mais les après-épidémies ne furent jamais vraiment des temps heureux et harmonieux. La peur et la méfiance engendrées par les fléaux, les effondrements démographiques et la profonde désorganisation économique, sociale et politique dessinent des horizons peu enthousiasmants. Et pourtant, dans ces bruits et ces fureurs, émergent souvent les prémices de mondes nouveaux…  « Le monde d’après » a donné lieu à de nombreux débats où chacun a, semble-t-il, plus cherché à projeter ses espoirs qu’à suivre le précepte spinoziste : « Ni rire, ni pleurer, ni haïr, mais comprendre. » Au risque de doucher bien des enthousiasmes, petit tour d’horizon des « après-épidémies », d’hier et d’avant-hier.                                     Il n’est pas impossible que notre conquête de la planète soit en partie liée aux premières épidémies. En effet, certains spécialistes n’excluent pas que le paludisme ait participé à notre plus importante sortie d’Afrique. C’était il y a longtemps, longtemps, c’était il y a plus de 50 000 ans. Certes, avec peu de morts, tant nous étions si peu nombreux et si isolés les uns des autres. Certes, il s’agissait d’une parasitose et non d’un virus. Certes, ce n’est qu’une hypothèse. Mais elle illustre bien combien, depuis toujours, la lutte contre les maladies et les épidémies sont un des (nombreux) moteurs de l’histoire.         La plus ancienne épidémie avérée date de 1326 avant notre ère et, depuis l’Égypte, elle s’est propagée au Moyen-Orient. C’est l’époque du Nouvel Empire, l’apogée de la civilisation de l’Égypte antique, comme en témoignent encore les temples de Louqsor et d’Abou-Simbel. C’est une période de développement des échanges avec l’Asie Mineure et la Crète, ce qui expliquerait la propagation de l’épidémie. Difficile de se faire une idée des conséquences de cette épidémie. L’époque est troublée par l’offensive des pharaons pour limiter le pouvoir des grands prêtres, mais rien ne permet d’attester un quelconque effondrement démographique.   Au Ve siècle avant notre ère, Athènes fut frappée en plein « âge d’or », durant le « grand siècle de Périclès ». Ce dernier en fut d’ailleurs la plus célèbre victime. Comme les suivantes, cette épidémie accélérera les tendances déjà à l’œuvre. Quelques décennies plus tôt, Athènes, auréolé de sa victoire contre les Perses, inquiète les autres cités grecques. Une coalition dirigée par Sparte viendra stopper net la puissance d’une Athènes affaiblie par la mort d’un bon tiers de sa population et d’une part importante de ses dirigeants.                                                                   L’Empire romain connut deux vagues d’épidémies. Dans son ouvrage de référence, Comment l’Empire romain s’est effondré l’historien Kyle Harper s’attarde longuement sur le rôle que jouèrent dans son destin les épidémies.     La première, au IIe siècle de notre ère, la peste antonine (du nom de la dynastie régnante, mais il s’agissait en fait de la variole) se propagea en grande partie par les armées, qui se trouvèrent ainsi décimées. Ce fut une des conséquences les plus immédiatement dramatiques pour la cohésion impériale. De multiples indices laissent entrevoir une grave crise économique et monétaire. Le prix de la terre s’est effondré, faute de demande, la monnaie a perdu une grande partie de sa valeur alors même que les mines qui en produisaient la matière première semblent avoir été désertées. Et nombre d’historiens ont souligné la disparition brutale des documents officiels, signe d’un affaiblissement des structures étatiques dans tout l’Empire. Désormais, conclut Kyle Harper, « l’Empire romain était un survivant ».   Quelques siècles plus tard, la peste de Justinien (du nom de l’empereur byzantin au VIe siècle) a probablement accéléré le déclin de l’Empire. Les témoignages de l’époque sont édifiants : l’ordre public, la vie économique et sociale, le ravitaillement, tout s’est effondré. Les spécialistes ont certes répertorié plus de 200 causes possibles à la chute de l’Empire romain, mais tous reconnaissent le poids des épidémies qui se répandirent de l’Égypte à la Bretagne. Kyle Harper montre bien les liens entre l’effondrement démographique et la faillite de l’Empire. Enfin, la question fiscale occupait déjà un rôle central : en refusant toute exonération fiscale pour limiter les dégâts, en alourdissant même la charge, l’Empereur étouffa toute « reprise » possible…Deux autres éléments sont troublants d’actualité : les historiens insistent de plus en plus sur la double peine de l’épidémie et des changements climatiques à l’œuvre à l’époque : pas un réchauffement mais un dramatique refroidissement : « le petit âge glaciaire de l’Antiquité tardive ». Et l’historien Bryan Ward-Perkins insiste sur la fragilité engendrée dès l’époque par la disparition des productions locales et la perte des savoir-faire consécutives à un modèle naissant de spécialisation par aire géographique. « La sophistication de la période romaine, en diffusant à grande échelle des biens de consommation d’excellente qualité, avait détruit les savoir-faire et les réseaux locaux des temps préromains. […] Il fallut des siècles pour que les habitants de l’ancien Empire recouvrent la situation préromaine. »    L’histoire s’intéresse spontanément à ce qui s’est passé, mais il arrive que ce qui n’a pas eu lieu soit tout aussi révélateur !                                                                                     On parle beaucoup aujourd’hui des épidémies comme résultat de notre agression des milieux naturels. Pourtant, durant deux siècles, la France en particulier, mais aussi toute l’Europe, a passé son temps à détruire des forêts, à créer de très grandes clairières pour s’y installer, à assécher des marais et autres zones humides, sans déclencher la moindre épidémie. Bien sûr, la population était assez clairsemée et les communications étaient somme toute assez limitées, mais les colporteurs et les prêtres sillonnaient les « pays »,emportant les « miasmes » de la ville aux villages et les maladies d’origine animale des villages à la ville. Les adeptes de Gaïa, la déesse Terre, nous expliqueront peut-être que celle-ci, d’une grande patience envers les agressions humaines, a mis longtemps avant de décider de se « venger »…   La Grande Peste (ou Peste noire) du XIVe siècle, la plus célèbre, a aussi été la plus étudiée. Encore faut-il se souvenir que si la « première vague », celle de 1348 et des années suivantes, fut la plus meurtrière, l’épidémie s’installa pour plusieurs siècles, disparaissant et réapparaissant tout aussi soudainement de région en région. Au XVIIe siècle, elle tuera encore quelque 3 millions de Français. Plutôt que d’« après-épidémie », il s’est plutôt agi de « vivre avec l’épidémie »         Les plus importantes conséquences furent une nouvelle fois démographiques : les historiens voient le plus souvent les épidémies comme un facteur beaucoup plus essentiel dans la stagnation démographique que les structures familiales ou l’âge des mariages. Cet effondrement de la population aura de profondes conséquences économiques, sociales et politiques. Le manque de main-d’œuvre, entraînant la fin du servage, viendra achever un système féodal déjà bien mal en point. Campagnes désertées, champs laissés à l’abandon, le monde rural, c’est-à-dire celui de l’immense majorité de la population, s’en trouva totalement bouleversé. L’effondrement de la population ayant considérablement fait baisser les besoins en céréales, les survivants durent se diversifier, en particulier dans l’élevage et la production de laine, laquelle entraîna un essor important du tissage, secteur essentiel de l’industrialisation naissante. Désormais indépendant, le paysan commencera à trouver dans l’artisanat rural de précieux compléments de revenus. Premiers balbutiements d’un capitalisme de production.   Le délabrement urbain sera tout aussi sévère. Exemple parmi tant d’autres, le témoignage de Boccace, l’auteur du Décaméron, sur la peste à Florence : il nous décrit une disparition complète de toute autorité, une ville livrée aux pillards et où les habitants s’organisent comme ils le peuvent pour gérer les cadavres qui envahissent les rues.   De plus, même si les épidémies firent plus de ravages dans le petit peuple que chez les puissants, ces derniers furent loin d’être épargnés. Un seul roi en fut victime, celui de Castille, mais bien des familles royales furent décimées. Une épidémie de variole emporta par exemple plusieurs des héritiers successifs de Louis XIV. Dans de nombreuses cités-États, beaucoup de notables disparurent soit dans la fuite, soit dans la mort, et cela favorisa le renouvellement des élites.     Enfin, il semble bien que les mesures mises en place pour tenter d’endiguer les fléaux aient joué un rôle non négligeable dans l’immixtion des États dans la vie quotidienne et privé des populations. Dès le XIVe siècle, l’Italie est à la pointe des innovations sanitaires, tandis que les pays du nord de l’Europe accusaient un retard certain. L’année même de l’arrivée de la Peste noire, trois fonctionnaires sont chargés de la surveillance sanitaire de la ville de Venise. Quelques années plus tôt, la cité avait déjà ouvert un premier lazaret (établissement pour les mises en quarantaine). Très vite, de nombreuses villes et États se dotent d’un « secrétariat à la Santé » et de vastes hôpitaux qui pouvaient, comme à Milan, accueillir jusqu’à 16 000 malades. En France, il faudra attendre le XVIIIe siècle pour commencer à envisager l’établissement d’un véritable bilan sanitaire du pays, sous l’impulsion d’un certain Pierre Chirac, médecin de Louis XV.   Les philosophes Michel Foucault et Gilles Deleuze dénonceront cette montée du « contrôle social » cette « biopolitique » entre autres en réponse aux épidémies. Mais leur « dévoilement » aura aussi son angle mort : l’efficacité de cette politique, qui explique en grande partie le déclin de ces fléaux endémiques, comme le montrent amplement les travaux de Jean-Noël Biraben, médecin, spécialiste de l’histoire des épidémies. Avant même le triomphe de l’hygiénisme au XIXe siècle, la lutte contre les épidémies tiendra une place essentielle dans l’émergence d’une politique sanitaire. Il y a tout lieu de s’en féliciter.                                           Il y a un siècle, la grippe dite « espagnole », prolongeant la grande boucherie de la Première Guerre mondiale, aura aussi « un effet structurant sur l’histoire de la santé » débouchant sur la découverte de nouveaux vaccins, rappelle Freddy Vinet, géographe spécialisé en épidémiologie.    Le commerce étant très actif tant en Méditerranée que vers l’Asie et l’Afrique noire, les pays du Sud, qu’ils soient chrétiens ou musulmans, auront été frappés beaucoup plus sévèrement que ceux du Nord. Ils ont connu un tel effondrement démographique, une telle désorganisation économique, sociale et politique, qu’il est probable que les épidémies aient participé au déclin de l’Europe du Sud au profil de l’Europe du Nord et à l’affaiblissement du monde arabo-musulman.                                                                                          Cependant, les historiens insistent sur les conséquences culturelles, sur les mentalités, et donc sur les comportements engendrés par cette « grande peur » avec laquelle il fallut apprendre à vivre. L’épidémie, explique l’historien Laurent-Henri Vignaud, « met en danger le lien social, déclenche une forme larvée de guerre civile où chacun se méfie de son voisin ». La recherche d’un bouc émissaire, les massacres antisémites et le repli sur une macabre religiosité ont profondément marqué ces siècles.         Les épidémies auraient-elles pu participer à la montée des aspirations démocratiques ? L’historien Pierre Miquel semble le penser : « La peste niveleuse accoutume les hommes à l’idée qu’aucun pouvoir ne peut leur être imposé », affirme-t-il dans son ouvrage consacré aux grandes épidémies (Mille Ans de malheur. Les grandes épidémies du millénaire Lafon, 1999). Et de citer « la première émeute ouvrière du monde occidental », celle des célèbres ciompi ces cardeurs et tisserands de Florence en juillet 1378. La piste mériterait d’être explorée…  Dans leur étude sur la Peste noire, deux historiens britanniques tentent de résumer les conséquences des grandes épidémies dans les mentalités occidentales. Elles ont selon eux « construit une opposition binaire pollution/pureté » et nous ont légué « l’angoisse de la maladie, la peur de la pollution, de l’étranger, de la diversité, la méfiance envers les médecins, les scientifiques et les politiques ».    Et ce legs n’est probablement pas l’apanage de l’Occident…     Enfin, une des constantes dramatiques des après-épidémies semble bien être l’amnésie collective. Or, comme nous le rappelait Freddy Vinet il y a à peine deux ans, « rien n’est jamais acquis en matière de lutte anti-infectieuse. La culture épidémiologique demeure essentielle face à l’émergence inévitable de nouveaux pathogènes »...._________

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