«Le régime qu'on nous prépare est très dangereux» (Anne Cohendet)
"Comme ils semblent innocents, ces sept mots ! Juste 7 petits mots rajoutés à l’article 5 qui énonce la mission du Président : « il définit la politique de la nation ». Ils sonnent avec la clarté d’une évidence. Un mot est supprimé à l’article 20 : le Gouvernement ne détermine plus la politique de la nation, il se contente de la conduire. On a l’air de se contenter d’aligner la règle sur la pratique. Ainsi, le Président ne violera plus la Constitution quand il dirigera lui-même tous les pouvoirs. Il ne fera que son devoir. Voilà un principe de gouvernement d’une grande simplicité. Si les chefs d’entreprise violent la loi en matière commerciale, on modifie les lois pour leur laisser les coudées franches. Si les employeurs jettent les employés comme des Kleenex en violant le code du travail, on modifie le code du travail pour faciliter les licenciements. Si le Président viole la Constitution en confisquant les pouvoirs du Gouvernement, on révise la Constitution pour lui attribuer personnellement la direction de la politique nationale.Et l’on emploie à nouveau la technique du stroboscope législatif, déjà dévoilée par E. Dockès : on noie une mesure grave sous un flot de mesurettes dont certaines vont en sens contraire. Loin de clarifier le droit, on l’obscurcit en aveuglant les observateurs par de multiples flashes désordonnés. De surcroît, ces quelques mots ne se contentent pas de ratifier la pratique. Ils dénaturent totalement le régime, ils font voler en éclats un garde-fou essentiel contre les abus de pouvoirs : le lien entre responsabilité et pouvoir. Ils sont assassins car c’est au cœur du régime que l’on s’attaque.
Tous les régimes démocratiques reposent sur un équilibre entre pouvoir et responsabilité. En démocratie, le pouvoir implique responsabilité. C’est-à-dire contrôle, et possibilité de sanction en cas d’abus. Soit le chef de l’exécutif, élu directement ou quasi-directement par le Peuple, n’est pas responsable devant l’Assemblée, mais alors il a des pouvoirs strictement limités ; c’est le principe du régime présidentiel. Ainsi, aux Etats-Unis, seul pays dans lequel ce régime soit resté assez démocratique à long terme, le Président ne peut pas dissoudre ni diriger l’Assemblée, qui a de véritables pouvoirs et est élue tous les deux ans, pour permettre le contrôle du peuple. Il se heurte aussi à d’autres véritables contre-pouvoirs, notamment une justice bien plus indépendante que la nôtre et les pouvoirs des Etats-membres.
Soit le chef de l’exécutif est très puissant et peut même diriger le Parlement, mais alors il peut être renversé par lui à tout moment ; c’est le principe du régime parlementaire. Le chef de l’exécutif est le Premier ministre, parce qu’il est responsable, donc contrôlable à tout instant, tandis que le Président de la République est seulement un arbitre, parce qu’il est irresponsable, incontrôlable durant son mandat. C’est le régime appliqué dans 26 pays de l’U.E sur 27. Et ces principes s’imposent même quand le Président de la République est élu directement par le peuple, ce qui est le cas dans 11 pays de l’U.E. dont la France. Ces régimes dits "semi-présidentiels" restent fondamentalement parlementaires car la politique nationale doit toujours, selon la Constitution, être dirigée par le Premier ministre responsable. En pratique, seule la France, et seulement hors cohabitation, méconnaît ces principes. Cependant, même en France hors cohabitation, les abus de pouvoirs présidentiels restent relativement limités par ce principe : en cas d’abus de pouvoirs, le Parlement peut renverser le Gouvernement qui est, selon la Constitution, le seul titulaire du pouvoir de déterminer et conduire la politique de la nation (art. 20). Il agit sous la direction du Premier ministre (art. 21), tandis que le Président est un arbitre (art.5). La cohabitation reste une ultime possibilité de sanction contre le Président, qui est alors contraint au respect de la Constitution et de la volonté de la majorité.
Si l’on adopte ces 7 mots, il n’en ira plus ainsi. La Constitution, toute entière construite autour des principes du régime parlementaire, deviendra totalement incohérente, obscure, et même dangereuse. Notre régime ressemblera beaucoup à celui de la Russie de M. Poutine. A n’en pas douter, comme en 1962, on prétendra que la Constitution doit être entièrement réinterprétée à la lumière du nouvel article 5. Alors les pouvoirs présidentiels seront presque illimités.Ainsi, tous les pouvoirs, gigantesques, attribués actuellement par la Constitution au Premier ministre pour diriger à la baguette l’activité du Parlement et de l’administration seront interprétés comme étant nécessairement soumis à la volonté présidentielle. Alors qu’ils sont actuellement soumis au contrôle du Parlement, ils échapperont à tout contrôle politique. Qui pourra alors contester efficacement au Président le pouvoir de révoquer le Gouvernement ?
L’Assemblée nationale deviendra une armée d’impuissants. Certes, les députés pourront toujours voter la loi. Mais si elle n’est pas appliquée, ils ne pourront rien faire. La responsabilité du Gouvernement devant le Parlement sera devenue vaine puisqu’elle ne pourra plus atteindre celui qui définit la politique de la nation. Les députés auront ainsi perdu leur pouvoir majeur tout en étant constamment menacés de dissolution. Ni les parlementaires, ni, par conséquent le peuple (sauf une fois tous les cinq ans) ne pourront contrôler un Président devenu bien plus puissant qu’il ne l’est aujourd’hui (sauf destitution, qui demeure hautement hypothétique).
Les 70 forteresses proposées pour limiter le pouvoir présidentiel seront emportées comme des châteaux de sable. Elles seront submergées par la vague présidentialiste. Sans compter les propositions imprécises et donc dangereuses (ex. n°12, 30, 32) ou tellement floues qu’elles ont des airs de poudre aux yeux (ex. n°61, 66 ou 75).
Que se passera-t-il en pratique ? De deux choses l’une.
Soit chacun s’inclinera devant la nouvelle puissance présidentielle, et l’on devra convenir que cette réforme a déroulé un tapis rouge à un régime autoritaire.
Soit le peuple et/ou les parlementaires s’efforceront de limiter l’autoritarisme présidentiel. Il y aura alors une paralysie des pouvoirs. Une nouvelle fois dans notre histoire, ce bras de fer conduira à une crise de régime.
Est-il réellement, sérieusement, nécessaire de renforcer les pouvoirs du Président en France aujourd’hui ? On peut en douter. Et si l’on tient à ce que ce soit le Président qui dirige la politique nationale, alors il faut établir sa responsabilité et/ou limiter ses pouvoirs. Il faut lui retirer le droit de dissolution, abréger son mandat et celui des députés, renforcer la démocratie locale, les pouvoirs des juges etc. etc…. bref, changer de régime. Mais qu’on le fasse avec franchise et droiture. Et non par une mascarade. »
"Comme ils semblent innocents, ces sept mots ! Juste 7 petits mots rajoutés à l’article 5 qui énonce la mission du Président : « il définit la politique de la nation ». Ils sonnent avec la clarté d’une évidence. Un mot est supprimé à l’article 20 : le Gouvernement ne détermine plus la politique de la nation, il se contente de la conduire. On a l’air de se contenter d’aligner la règle sur la pratique. Ainsi, le Président ne violera plus la Constitution quand il dirigera lui-même tous les pouvoirs. Il ne fera que son devoir. Voilà un principe de gouvernement d’une grande simplicité. Si les chefs d’entreprise violent la loi en matière commerciale, on modifie les lois pour leur laisser les coudées franches. Si les employeurs jettent les employés comme des Kleenex en violant le code du travail, on modifie le code du travail pour faciliter les licenciements. Si le Président viole la Constitution en confisquant les pouvoirs du Gouvernement, on révise la Constitution pour lui attribuer personnellement la direction de la politique nationale.Et l’on emploie à nouveau la technique du stroboscope législatif, déjà dévoilée par E. Dockès : on noie une mesure grave sous un flot de mesurettes dont certaines vont en sens contraire. Loin de clarifier le droit, on l’obscurcit en aveuglant les observateurs par de multiples flashes désordonnés. De surcroît, ces quelques mots ne se contentent pas de ratifier la pratique. Ils dénaturent totalement le régime, ils font voler en éclats un garde-fou essentiel contre les abus de pouvoirs : le lien entre responsabilité et pouvoir. Ils sont assassins car c’est au cœur du régime que l’on s’attaque.
Tous les régimes démocratiques reposent sur un équilibre entre pouvoir et responsabilité. En démocratie, le pouvoir implique responsabilité. C’est-à-dire contrôle, et possibilité de sanction en cas d’abus. Soit le chef de l’exécutif, élu directement ou quasi-directement par le Peuple, n’est pas responsable devant l’Assemblée, mais alors il a des pouvoirs strictement limités ; c’est le principe du régime présidentiel. Ainsi, aux Etats-Unis, seul pays dans lequel ce régime soit resté assez démocratique à long terme, le Président ne peut pas dissoudre ni diriger l’Assemblée, qui a de véritables pouvoirs et est élue tous les deux ans, pour permettre le contrôle du peuple. Il se heurte aussi à d’autres véritables contre-pouvoirs, notamment une justice bien plus indépendante que la nôtre et les pouvoirs des Etats-membres.
Soit le chef de l’exécutif est très puissant et peut même diriger le Parlement, mais alors il peut être renversé par lui à tout moment ; c’est le principe du régime parlementaire. Le chef de l’exécutif est le Premier ministre, parce qu’il est responsable, donc contrôlable à tout instant, tandis que le Président de la République est seulement un arbitre, parce qu’il est irresponsable, incontrôlable durant son mandat. C’est le régime appliqué dans 26 pays de l’U.E sur 27. Et ces principes s’imposent même quand le Président de la République est élu directement par le peuple, ce qui est le cas dans 11 pays de l’U.E. dont la France. Ces régimes dits "semi-présidentiels" restent fondamentalement parlementaires car la politique nationale doit toujours, selon la Constitution, être dirigée par le Premier ministre responsable. En pratique, seule la France, et seulement hors cohabitation, méconnaît ces principes. Cependant, même en France hors cohabitation, les abus de pouvoirs présidentiels restent relativement limités par ce principe : en cas d’abus de pouvoirs, le Parlement peut renverser le Gouvernement qui est, selon la Constitution, le seul titulaire du pouvoir de déterminer et conduire la politique de la nation (art. 20). Il agit sous la direction du Premier ministre (art. 21), tandis que le Président est un arbitre (art.5). La cohabitation reste une ultime possibilité de sanction contre le Président, qui est alors contraint au respect de la Constitution et de la volonté de la majorité.
Si l’on adopte ces 7 mots, il n’en ira plus ainsi. La Constitution, toute entière construite autour des principes du régime parlementaire, deviendra totalement incohérente, obscure, et même dangereuse. Notre régime ressemblera beaucoup à celui de la Russie de M. Poutine. A n’en pas douter, comme en 1962, on prétendra que la Constitution doit être entièrement réinterprétée à la lumière du nouvel article 5. Alors les pouvoirs présidentiels seront presque illimités.Ainsi, tous les pouvoirs, gigantesques, attribués actuellement par la Constitution au Premier ministre pour diriger à la baguette l’activité du Parlement et de l’administration seront interprétés comme étant nécessairement soumis à la volonté présidentielle. Alors qu’ils sont actuellement soumis au contrôle du Parlement, ils échapperont à tout contrôle politique. Qui pourra alors contester efficacement au Président le pouvoir de révoquer le Gouvernement ?
L’Assemblée nationale deviendra une armée d’impuissants. Certes, les députés pourront toujours voter la loi. Mais si elle n’est pas appliquée, ils ne pourront rien faire. La responsabilité du Gouvernement devant le Parlement sera devenue vaine puisqu’elle ne pourra plus atteindre celui qui définit la politique de la nation. Les députés auront ainsi perdu leur pouvoir majeur tout en étant constamment menacés de dissolution. Ni les parlementaires, ni, par conséquent le peuple (sauf une fois tous les cinq ans) ne pourront contrôler un Président devenu bien plus puissant qu’il ne l’est aujourd’hui (sauf destitution, qui demeure hautement hypothétique).
Les 70 forteresses proposées pour limiter le pouvoir présidentiel seront emportées comme des châteaux de sable. Elles seront submergées par la vague présidentialiste. Sans compter les propositions imprécises et donc dangereuses (ex. n°12, 30, 32) ou tellement floues qu’elles ont des airs de poudre aux yeux (ex. n°61, 66 ou 75).
Que se passera-t-il en pratique ? De deux choses l’une.
Soit chacun s’inclinera devant la nouvelle puissance présidentielle, et l’on devra convenir que cette réforme a déroulé un tapis rouge à un régime autoritaire.
Soit le peuple et/ou les parlementaires s’efforceront de limiter l’autoritarisme présidentiel. Il y aura alors une paralysie des pouvoirs. Une nouvelle fois dans notre histoire, ce bras de fer conduira à une crise de régime.
Est-il réellement, sérieusement, nécessaire de renforcer les pouvoirs du Président en France aujourd’hui ? On peut en douter. Et si l’on tient à ce que ce soit le Président qui dirige la politique nationale, alors il faut établir sa responsabilité et/ou limiter ses pouvoirs. Il faut lui retirer le droit de dissolution, abréger son mandat et celui des députés, renforcer la démocratie locale, les pouvoirs des juges etc. etc…. bref, changer de régime. Mais qu’on le fasse avec franchise et droiture. Et non par une mascarade. »
Le problème est que peu de Français sont sensibles à ces questions, qui sont à la fois de droit constitutionnel et d’équilibre des pouvoirs.
RépondreSupprimerSi le président « définit la politique de la nation », sans que ses pouvoirs soient modifiés, il gouvernera selon son gré pendant son mandat, en pouvant dissoudre l’assemblée à loisir, alors que la censure du gouvernement par celle-ci n’aura aucune incidence puisqu’il ne sera plus, officiellement cette fois, qu’un secrétariat du président. Mais les lois votées par un parlement d’opposition pourront être bloquées dans leur mise en œuvre par l’exécutif, réduit au président inamovible pour cinq ans : celui-ci aura toute latitude pour mener sa politique, éventuellement contre l’avis des élus du peuple.
Toutes les conditions juridiques seraient ainsi réunies pour un régime autoritaire, voire dictatorial. Historiquement, il est rare que de tels changements constitutionnels soient effectués par hasard.
Bien amicalement.
Je pense comme toi et l'auteure de cet article que le problème n'est pas seulement sémantique , mais lourd de dangers potentiels, surtout si les objectifs économiques ne sont pas tenus, ce qui semble probable...
RépondreSupprimerAmicalement