Paradoxe sociologique et électoral...
Opposer les pauvres aux pauvres?...
"Pourquoi les pauvres votent à droite" : la rébellion conservatrice
Thomas Frank (Agone,"contre-feux")
Pourquoi les pauvres votent à droite
Un peu partout en Occident, la gauche est saisie de perplexité. Je suis l'héritière du mouvement ouvrier, j'incarne le combat pour l'émancipation sociale, et pourtant le peuple m'abandonne, se lamente la gauche. Cette angoisse, elle la formule avec ses mots à elle, sous la forme d'un âpre questionnement : pourquoi diable les pauvres gens soutiennent-ils la droite, autrement dit le parti des dominants ? Comment expliquer que les damnés de la terre apportent leurs suffrages à ceux qui roulent "objectivement" pour les maîtres du monde ?
" La question ne date pas d'hier. Ces temps-ci, elle trouve néanmoins une actualité renouvelée. Afin d'y répondre, on peut opter pour la voie théorique : décortiquer les bons auteurs et reprendre l'étude de ce qu'on nommait, autrefois, "servitude volontaire" ou "aliénation". Thomas Frank a choisi un autre chemin : celui du reportage politique, entre recherche de terrain et flânerie narquoise. Son domaine d'enquête était tout trouvé : le journaliste a grandi dans l'Etat du Kansas, où naquirent jadis bien des révoltes, et où George W. Bush est aujourd'hui l'idole des plus démunis.
Ici, les masses déshéritées réclament la fin des droits de succession et la privatisation des hôpitaux. Ici, la colère vise non pas les élites économiques, mais la gauche "libérale", forcément "cosmopolite" et "arrogante" : voyez ces "démocrates" qui haïssent l'Amérique profonde ; voyez ces syndicalistes parasitaires, qui ne manquent pas une occasion de trahir le pays ; voyez ces "je-sais-tout" d'universitaires, incapables de manier une arme ou d'installer l'électricité chez eux, mais experts en féminisme chic et en fromage frenchie....."
"Thomas Frank explique de façon convaincante que les riches et les puissants ont exploité le désespoir et la frustration des classes moyennes et ouvrière américaine.."(Wendie Brown)Le "populisme autoritaire" selon Stuart Hall
Dans Le Populisme autoritaire. Puissance de la droite et impuissance de la gauche au temps du thatchérisme et du blairisme (Amsterdam, 208 p., 13,90 €), il examine le mélange de coercition idéologique et de "consentement populaire actif" qui distingue l'actuelle "lame de fond populiste" en Grande-Bretagne : "Son succès et son efficacité ne reposent pas sur sa capacité à duper des gens naïfs, mais sur le fait qu'il s'attaque à de vrais problèmes, à des expériences vécues et bien réelles (...) tout en étant capable de les représenter dans une logique discursive qui les inscrit systématiquement dans les politiques et les stratégies de classe de la droite", écrit-il.
Pourquoi Sarkozy a mordu sur l'électorat populaire
".......... « La solidarité de classe est en train de disparaître. Le système pousse ceux qui ont un emploi à en priver ceux qui en recherchent un », constate Dany Wallyn, secrétaire du syndicat. Comme Dominique, il estime que « l’incapacité de la gauche à proposer des solutions politiques collectives et satisfaisantes aux problèmes que rencontrent les salariés, en particulier en termes de pouvoir d’achat, pousse à la recherche de solutions individuelles ». « Cette montée de l’individualisme explique le succès de Sarkozy, y compris parmi des populations qui ne lui sont pas naturellement acquises », avance celui qui est aussi conseiller régional communiste du Nord-Pas-de-Calais. « La gauche n’a pas su combattre l’individualisme et n’a pas su démontrer que s’en sortir seul est une illusion, que les ouvriers n’ont jamais rien gagné sans se rassembler », lance Renaud, syndiqué retraité. « Pour beaucoup, la vie se résume ainsi : après moi le déluge », s’énerve-t-il. Et de lâcher, amer : « Sarkozy a réussi à opposer les pauvres aux pauvres. ».
Le peuple contre la démocratie : le populisme
"...Plus qu'une menace précise, le populisme est un des symptômes de la crise des démocraties représentatives dans le contexte de la mondialisation et de la construction européenne. Il incarne une corruption idéologique de la démocratie, en révèle les dysfonctionnements et exprime une exigence de participation populaire sous le mode fusionnel d'un communautarisme national ou identitaire... Le cadre national républicain ne reconnaît pas la diversité multiculturelle qu'elle ne tolère que dans l'espace privé. Ce en quoi elle rencontre l'obstacle des ressentiments communautaires surgissant sur le terreau d'une discrimination socio-économique inavouée : la construction ethniciste, séparatiste ou communautariste, des " sub-nations " est l'enjeu d'une lutte pour la reconnaissance capable de démanteler l'unité républicaine.
Cette crise est d'autant plus le terreau des populismes, et des nationaux populismes qui tentent de reconstruire sur l'ethnie l'unité nationale perdue, que la décomposition sociale s'accompagne d'une homogénéisation transnationale des modes de vie, et d'une perturbation considérable du paysage sociologique généré par les migrations internationales. Ces dernières sont l'effet de la globalisation et des nouvelles fractures socioéconomiques qu'elle engendre, mais pour le national-populisme, les migrants cristallisent en eux les maux de la mondialisation. Ils feront d'autant plus aisément fonction de bouc émissaire que la stigmatisation du travailleur migrant, et sa précarisation sociale, servent les intérêts économiques du principal acteur de la globalisation économique : le patronat. Le nationalisme ethnique apparaît comme une fausse réponse, mais parce que ce discours se situe à un lieu stratégique de convergence de désir, d'intérêts et de fantasme entre une population économiquement destructurée et une fraction du patronat trop heureux de bénéficier d'un volant de main d'œuvre malléable à merci, son succès médiatique et politique est quasiment assuré...
La menace qui se profile est ici de nature libérale : le succès économique passe par la construction économique européenne mais celui-ci implique un transfert de souveraineté vers des instances dont la transparence démocratique n'est pas évidente. Par ailleurs, des forces politiques remettent en cause, à l'échelle européenne, les principes de l'unité républicaine en favorisant le communautarisme linguistique et le régionalisme. Les incertitudes institutionnelles de l'Europe et son expansion accélérée vers l'Est, qui repose sur des seuls critères économiques ou de démocratie formelle, rendent problématique le maintien de souveraineté politique des nations. D'autant plus que les constructeurs de l'union européenne semblent souscrire, sans distance critique aucune, aux principes du libre-échange tout en adoptant, dans un espace élargi, les tares du protectionnisme ethniciste à l'encontre des migrants non européens.
Absence de réponse politique au niveau institutionnel, subordination de l'intérêt général aux intérêts privés, remise en cause de la laïcité, carences sur le plan de la politique de défense et absence d'autonomie face au géant américain, déni d'humanisme à l'égard des populations du Sud, interpénétration du politique et des activités mafieuses … il ne manque pas de matière pour établir un réquisitoire contre une Europe devenue incapable d'affirmer son universalisme et de marquer sa distance par rapport aux pouvoirs économiques et financiers transnationaux dominé par les Etats-Unis..."(P.Deramaix)
{Dans son ouvrage " L' illusion populiste " (éd. Berg international, 2002) , Pierre-André Taguieff procède à une analyse conceptuelle et à une étude comparative des discours et pratiques aboutissant à une sorte de phénoménologie du populisme.}
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