dimanche 27 décembre 2009

Orwell: un citoyen ordinaire

Orwell, toujours d'actualité


-Un défi: réconcilier vie ordinaire et projet politique

Connu surtout par son oeuvre 1984, Orwell l'est moins pour ses réflexions sur la "common decency":
Ce terme est habituellement traduit par celui d’ « honnêteté élémentaire », mais le terme de « décence commune » me convient très bien. Quand on parle de revenus "indécents" ou, à l’inverse, de conditions de vie "décentes", chacun comprend bien, en général (sauf, peut-être, un dirigeant du Medef) qu’on ne se situe pas dans le cadre d’un discours puritain ou moralisateur. Or c’est bien en ce sens qu’Orwell parlait de « société décente ». Il entendait désigner ainsi une société dans laquelle chacun aurait la possibilité de vivre honnêtement d’une activité qui ait réellement un sens humain. Il est vrai que ce critère apparemment minimaliste implique déjà une réduction conséquente des inégalités matérielles. En reprenant les termes de Rousseau, on pourrait dire ainsi que dans une société décente « nul citoyen n’est assez opulent pour pouvoir en acheter un autre, et nul n’est assez pauvre pour être contraint de se vendre »...
Si on accepte de voir dans la morale commune moderne (ou common decency) une simple réappropriation individuelle des contraintes collectives du don traditionnel (tel que Marcel Mauss en a dégagé les invariants anthropologiques) on pourra assez facilement en définir les maximes générales : savoir donner (autrement dit, être capable de générosité) ; savoir recevoir (autrement dit, savoir accueillir un don et non comme un dû ou un droit ; savoir rendre (autrement dit, être capable de reconnaissance et de gratitude). On pourra également en déduire les fondements moraux de toute éducation véritable (que ce soit dans la famille ou à l’école) : ils se résumeront toujours, pour l’essentiel) à l’idée qu’à l’enfant humain tout n’est pas dû (contrairement à ce qu’il est initialement porté à croire) et qu’en conséquence, il est toujours nécessaire de lui enseigner, sous une forme compatible avec sa dignité, que le monde entier n'est pas à son service
."
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-Le plus important chez Orwell tient dans cette capacité à demeurer fidèle en toutes circonstances à quelques principes essentiels, et à cultiver un sens ordinaire du bonheur nous prévenant contre toute volonté de domination, politique ou académique. Bien sûr, c’est un idéal sévère, un peu romain, mais c’est un idéal qui - contrairement à beaucoup d’autres - a un enracinement dans le réel. D’autres sont plus intelligents que lui, ou inventifs. Mais Orwell demeure sans égal pour ce qui est de la lucidité critique. Notre époque, du point de vue politique et des idées, est sans doute plus confuse que les années 1930, quand deux ou trois modèles socio-politiques s’affrontaient : nous nous n’en connaissons qu’un aujourd’hui, mais il repose sur des fondements multiples, fragiles et contradictoires. C’est pourquoi la capacité de voir clair dans le brouillard des idéologies doit être plus que jamais cultivée. Sur ce plan-là, Orwell est le meilleur des exemples à suivre."
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Les exemples de l’indécence sociale sont multiples, quotidiens, gigantesques" :
"...Il y a un Orwell que l’on connaît peu, qui est resté dans l’ombre de la figure presque écrasante de 1984. Il est moins facile d’accès, c’est certain. Moins charismatique, aussi : il n’a pas l’attrait prophétique de celui qui - à travers 1984 ou La Ferme des animaux - met à nu les ressorts d’une société totalitaire. Il n’a pas non plus la charge presque mythique de ce combattant de la liberté, volontaire pour rejoindre les Brigades Internationales pendant la Guerre d’Espagne avant d’en livrer un récit magnifique, auréolé de désillusion, Hommage à la Catalogne. Il est plus discret, en quelque sorte
.Il y a deux Orwell, donc. Le premier passé à la postérité historique, le second un brin méconnu. Les deux sont naturellement indissociables : comment comprendre l’Orwell extraordinaire sans connaître son double, homme aux deux pieds solidement planté dans son époque, être assoiffé de simplicité et d’ordinaire ? Tout simplement impossible.C’est que la majeure partie de l’œuvre de l’écrivain anglais est habitée par une quête de simplicité, de frugalité. Parmi les humbles et les sans-grades, Eric Blair (son nom de naissance) a échafaudé ses réflexions politiques et construit son univers théorique. Question d’affinité - écrivant à Henry Miller, Georges Orwell disait sa préférence pour « une sorte d’attitude terre à terre, solidement ancrée » et expliquait se sentir « mal à l’aise » dès qu’il quittait « ce monde ordinaire où l’herbe est verte et la pierre dure » - mais aussi de conviction : une pensée politique se détachant du quotidien du plus grand nombre se fourvoierait forcément, élitiste et hors-sujet...
Dès le début, certains sentiments moraux et sociaux ont prévalu chez lui ; et il a su donner à ces sentiments une certaine orientation pratique et politique. Son socialisme est toujours resté en un sens sentimental (mais pas sentimentaliste), fondé sur un sentiment d’injustice, sur le goût de la décence commune et ordinaire, sur cette manière de prendre soin des autres sans vouloir les exploiter ou les dominer qui - selon moi - constitue une sorte d’éthique minimale de la vie quotidienne. Un peu comme pour William Morris, avec lequel il partage de nombreux points communs, notamment le rejet de la société industrielle.
Le socialisme d’Orwell est ainsi fait d’intuitions plus que d’idées. Pour lui, il signifie l’égalité entre les individus, et le respect de leur liberté. Pour ce faire, il faut nécessairement modifier les institutions sociales et économiques qui créent et accentuent ces inégalités, et entreprendre une réforme profonde de l’état social...
Orwell a connu le mécanisme du totalitarisme dans sa chair : rappelons qu’il a échappé par miracle à une exécution à Barcelone. Il a tout de suite perçu les ravages de la propagande et du langage dévoyé. Cela ne l’a pas détourné du socialisme, mais renforcé dans l’idée que le vrai socialisme a plus à voir avec le souci ordinaire des vies simples et humiliées qu’avec la construction idéologique toujours complice d’une violence faite au réel, aux hommes réels....
S’il voit dans le capitalisme une forme perverse de domination de l’homme par l’homme, il la dénonce encore davantage dans la société industrielle. Il ne peut donc partager le machinisme et le productivisme béats de certains socialistes des années trente, qui ne jurent que par la croissance et la production pourvu qu’elles soient au main des prolétaires.
Bref, Orwell a beaucoup de mal à admettre la mythologie du progrès que le socialisme relaie et renforce. Son socialisme est la synthèse entre la conservation de certaines traditions populaires non inégalitaires (le pub, la fête, le goût simple de la nature, la solidarité des corps de métier, etc.) et une réforme sociale profonde et totale. Son socialisme est - en un mot - pré-marxiste, il trouve ses racines dans les mouvements communistes non marxistes anglais et français du début du XIXe siècle, d’un âge presque pré-industriel. Son conservatisme, si conservatisme il y a, n’est pas politique (sur ce plan, c’est un authentique révolutionnaire), mais porte sur certains aspects sociaux. Il s’agit de conserver des pratiques authentiques de justice et d’entraide. Et de priser la vie quotidienne et ses plaisirs ordinaires.

Orwell pense donc qu’il faut préserver certaines pratiques sociales et populaires et ne pas transformer l’homme ordinaire en un simple esclave de la machine. Pas pour rester telle quelle, dans une sanctification réactionnaire de la tradition. Non, « conserver, c’est développer », dit Orwell. La préservation de certains aspects doux et bons de la vie ordinaire doit servir de base pour une transformation sociale allant dans le sens de l’extension des valeurs telles que l’égalité, le respect, la décence, etc. L’amélioration est donc la recherche d’un équilibre toujours instable entre la préservation de ce qu’il y a de bon dans cette vie-là, même exploitée et humiliée, et la réforme des conditions les plus iniques de la vie sociale.
Dans ce programme, l’utopie n’a pas sa place, laquelle entend faire table rase de la vie donnée, et tout reconstruire sur une base purement idéelle et théorique. Orwell perçoit très souvent dans le révolutionnaire un homme uniquement gouverné par la haine de soi et par l’absence d’ancrage dans la vie quotidienne (dans ce qu’elle peut offrir de simple, de médiocre, mais de tellement humain). C’est pourquoi il se méfie des fanatiques de la perfection, même morale (les « saints », comme Tolstoï ou Gandhi par exemple). Il ne renonce pas pour autant à l’idée de révolution. Seulement, cette révolution n’aura pas pour but de tout chambouler afin d’introduire un ordre nouveau, un homme nouveau. Mais de briser l’ordre établi qui cantonne les pratiques non dominatrices de la vie ordinaire aux replis obscurs de la quotidienneté : ces pratiques doivent servir de matrice à toute action sociale...."

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