lundi 9 janvier 2012

Marx: le retour?

"L'histoire ne repasse pas le plats...Elle ne se répète pas, elle bégaie"

Le cadavre de Marx bouge encore...

__Le fantôme de celui que l'on avait cru définitivement enterré revient parmi nous en ces temps de crise, pour en comprendre la logique, dans la confusion des idées ambiantes.
Mais quel Marx?
Pas celui qui était naguère statufié sur les places de Leningrad ou de Sofia. Pas celui dont on avait transformé la pensée pour en faire une idole et un prêt-à-penser politique, dans un système qui l'instrumentalisait au nom d'un
socialisme réel, caricature de ce qu'il avait pu oser entrevoir au cours de ses luttes, de ses lectures, de ses recherches, mais qu'il n'avait jamais finalisé.
Il l'avait dit , le vieux Karl:
Je ne suis pas marxiste...signifiant par là qu'il ne voulait pas se laisser momifier, réduire à des systèmes à venir se référant à lui de manière simpliste et dogmatique.
Pas celui auquel se sont référés, parfois sans le connaître, souvent en trahissant sa pensée, les régimes qui se sont réclamés de lui, comme le Vatican se réfère au Sauveur. Certainement pas.
Pensée vivante, pensée en action, ouverte, pensée qui se savait inachevée, toujours en recherche intellectuellement et à la fois toujours s'informant de ce qui se passait en Europe au niveau des luttes sociales dans un capitalisme en pleine expansion, s'efforçant d'associer théorie et pratique. Pensée difficile souvent, surtout dans le Capital, confrontée au problème de la nature du travail salarié, de la formation de la valeur, dans le sillage de Smith et Ricardo.
__On le disait
dépassé.Il était de bon ton de faire de Marx un repoussoir depuis les premiers craquements du système soviétique et l'effacement des régimes se réclamant de sa pensée, mal connue, contribuant à le discréditer L'instrumentalisation de Marx par des régimes qui étaient assez loin de son esprit, a contribué à sa relégation. La notion de fin de l'histoire était alors de mode, considérant que le système libéral s'était définitivement imposé, celle de socialisme passant définitivement aux oubliettes.
On ne s'y référait plus guère, même dans le petit monde des économistes.
____Mais la crise a ravivé l'intérêt pour ce penseur méconnu et le désir de relire certains textes, toujours éclairants aujourd'hui, semblant presque prémonitoires à bien des égards. Sans même le savoir ou le dire explicitement un nombre de plus en plus grand d'économistes se sont mis à réactualiser certaines de ses analyses, y découvrant une riche matière à penser.
______Comme le dit un internaute, pourtant critique sur les applications historiques du marxisme:
"Rappelons schématiquement, les critiques que Marx fait du capitalisme développé pour en justifier l'actualité face à la crise actuelle. Marx considère :
1_qu'il est un système qui , sauf par l'innovation et par le monopole, voire par le monopole de l'innovation, mais qui ne sont plus aujourd'hui possibles aujourd'hui , tend à la réduction du taux de profit du fait de la concurrence aujourd'hui mondialisée.
2_que la baisse du taux de profit provoque, pour préserver les profits la hausse tendancielle du taux d'exploitation par la baisse des salaires moyens, par la délocalisation de la production et même de la recherche et développement en des régions du monde où le coût de la force de travail est plus bas, par la précarisation de l'emploi et le chômage de masse que cette baisse du taux de profit (retour sur investissement) tend elle-même à faire passer la spéculation financière de l'économie casino mondialisée et le crédit comme une source de profit autonome prédatrice de l'économie productrice de réelles richesses que le crédit, via le gonflement de la bulle financière généré par cette économie financière spéculative, tend à maintenir les profits à très court terme, mais s'avère catastrophique à long terme, dès lors que les salariés ne pourront plus rembourser les crédits et payer les intérêts afférents, ce qui remet en cause l'équilibre de l'offre et de la demande, du fait de l'augmentation du taux d'exploitation. Les marchandises produites ne trouvent plus assez de preneurs solvables sur le marché mondial, sauf à accroitre le coût de la force de travail et les salaires dans les pays dits émergeant, ce qui fera à nouveau baisser le taux d'exploitation et donc le taux de profit moyen.
C'est la fameuse contradiction -centrale dans le pensée critique du capitalisme de Marx - entre le niveau de productivité des forces productives toujours plus coûteuses en investissements et les rapports sociaux de production. Cette contradiction entrainant un chômage endémique élevé, facteur croissant d'exclusion du marché de l'emploi et donc du marché tout court, génère une tendance à la surproduction dans l'économie réelle compensée à court terme par l'économie financière spéculative au prix d'une catastrophe systémique bancaire et financière, mais aussi économique dont les états eux-même seront les victimes, dès lors que les dettes privées individuelles et bancaires et les dettes publiques sont ou tendent à devenir, une seule et même dette généralisée.
__En ce sens toutes ces analyses critiques que fait Marx du capitalisme sont confirmées et tous les commentateurs critiques du capitalisme et de la crise ne font rien d'autres que de reprendre à leur compte tels ou tels éléments de cette critique, sans le dire.
.."
___Pour Michel Santi, analyste financier et ancien trader, la pensée de Marx a encore une valeur interprétative sur bien des points.
_L'économiste Husson , de son côté, approfondit en centrant son analyse sur la notion de valeur et d'accumulation du capital, qui tient une place centrale dans l'oeuvre majeure de Marx, et qui éclaire encore maints aspects du capitalisme d'aujourd'hui, malgré les mutations qu'il a subi depuis le 19°S.
_François Chesnais attire l'attention sur l'analyse marxienne de la finance, du rôle des banques et du statut des dettes.
L'actualité de la théorie monétaire de Marx est toujours à réactualiser, mutatis mutandis
Lien
________Sur la notion de dette publique, il est intéressant de relire de passage, extrait de "Les luttes des classes en France" de K Marx de 1850 après les évènements de 1848
_"Après la révolution de Juillet, lorsque le banquier libéral Laffitte conduisit en
triomphe son compère le duc d’Orléans à l’Hôtel de ville , il laissa échapper ces
mots : « Maintenant, le règne des banquiers va commencer. » Laffitte venait de trahir
le secret de la révolution."
"L’endettement de l’État était, bien au contraire, d’un intérêt direct pour la fraction
de la bourgeoisie qui gouvernait et légiférait au moyen des Chambres. C’était précisément
le déficit de l’État, qui était l’objet même de ses spéculations et le poste principal
de son enrichissement. A la fin de chaque année, nouveau déficit. Au bout de quatre
ou cinq ans, nouvel emprunt. Or, chaque nouvel emprunt fournissait à l’aristocratie
une nouvelle occasion de rançonner l’État, qui, maintenu artificiellement au bord de la
banqueroute, était obligé de traiter avec les banquiers dans les conditions les plus
défavorables. Chaque nouvel emprunt était une nouvelle occasion, de dévaliser le
public qui place ses capitaux en rentes sur l’État, au moyen d’opérations de Bourse, au
secret desquelles gouvernement et majorité de la Chambre étaient initiés. En général,
l’instabilité du crédit public et la connaissance des secrets d’État permettaient aux
banquiers, ainsi qu’à leurs affiliés dans les Chambres et sur le trône, de provoquer
dans le cours des valeurs publiques des fluctuations insolites et brusques dont le
résultat constant ne pouvait être que la ruine d’une masse de petits capitalistes et
l’enrichissement fabuleusement rapide des grands spéculateurs. Le déficit budgétaire
étant l’intérêt direct de la fraction de la bourgeoisie au pouvoir, on s’explique le fait
que le budget extraordinaire, dans les dernières années du gouvernement de Louis-
Philippe, ait dépassé de beaucoup le double de son montant sous Napoléon, atteignant
même près de 400 millions de francs par an, alors que la moyenne de l’exportation
globale annuelle de la France s’est rarement élevée à 750 millions de francs. En outre,
les sommes énormes passant ainsi entre les mains de l’État laissaient place à des
contrats de livraison frauduleux, à des corruptions, à des malversations et à des escroqueries
de toute espèce. Le pillage de l’État en grand, tel qu’il se pratiquait au moyen
des emprunts, se renouvelait en détail dans les travaux publics."

__
Les études critiques sur Marx, son actualité, refont surface avec vigueur.
Sans tomber dans le prophétisme, au vu des contradictions d'une système aujourd'hui plus apparentes que jamais, on peut se demander si le capitalisme, surtout sous sa forme hautement financière, a un avenir, ou ne représente qu'un moment dans l'histoire des sociétés.
Il n'est pas en tous cas indépassable.
__________
Aux racines de la crise
Lire "L'impérialisme stade suprême du capitalisme"

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