jeudi 5 avril 2012

Economistes d'influence

Imposture d'une certaine économie?

_ « A toutes les époques de l’histoire, le succès des doctrines économiques a été assuré, non par leur valeur intrinsèque, mais par la puissance des intérêts et des sentiments auxquels elles paraissent favorables... La science économique, comme toutes les sciences, n’échappe pas au dogmatisme, mais le dogmatisme est ici considérablement renforcé par la puissance des intérêts et des idéologies ».
Maurice Allais_ 1968

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________Le grand public considère souvent les économistes qui se manifestent régulièrement sur leur petit écran comme des experts possédant un savoir qu'on ne peut remettre en question, donnant un avis ou faisant un pronostic avec une assurance dogmatique sur des sujets pourtant âprement discutés et discutables.
Alors que l'économie, bien qu'ayant sa propre rigueur méthodique, n'est pas une science exacte, fondée sur des postulats assurés, ni une réflexion dénuée de tous préjugés, de tous choix.
Elle reste une science humaine, parfois trop humaine, car non dénuée de présupposés, de jugements d'époque, parfois de préjugés de classe, au coeur des conflits d'intérêts constitutifs des rapports sociaux et politiques.
__Beaucoup d'économistes, surtout non médiatiques, le savent et savent expliquer pourquoi leur discipline peut faillir et être forcément marquée d'incertitudes, étant donné la nature même de leur objet, matière humaine et historique, et la complexité des données (forcément partielles ) qu'ils prennent en compte. Impliqués intimement dans leur objet, ils savent qu'ils ne peuvent prendre le point de vue de Sirius, malgré tous leurs efforts pour tendre vers une 'objectivité relative.
__Mais il existe trop d'économistes de salon ou de studios dont la prudence méthodologique n'est pas la qualité dominante, qui tombent dans le piège de l'expertise objective, renforcé par le pouvoir qu'ils s'accordent indûment et l'influence des milieux qu'ils fréquentent et parfois conseillent, avides de caution scientifique, ceux des grosses entreprises, des compagnies financières, des grandes banques. Pour elles, un économiste de renom sert de justification et de conseiller, jusque dans la spéculation hasardeuse. Des économistes à gages, diront certains.
Des
imposteurs, iront jusqu'à dire d'autres...
__Il y a différents écoles dans la pensée économique, qui s'inscrit dans une déjà longue histoire, mais les options fondamentales, les choix socio-économiques de base, qui conditionnent toute la réflexion, sont rarement explicitées par les économistes et peu ou pas saisissables pour le commun des mortels.
On assiste ainsi à des dérives de la pensée économique, trop impliquée dans les intérêts du moment, aveugle à sa propre pratique. Qui avait anticipé la crise que nous vivons? Très peu, en fait: Paul Jorion, Roubini...et quelques rares autres. Beaucoup ont failli.
__Certains ont eu le courage d'avouer, un peu tard, piégés par une formation et des habitudes de pensée trop étroites et conditionnées par des années de travail dans le cadre de la pensée libérale, s'être beaucoup trompés en matière d'analyse économique, d'anticipation des crises et de détermination de leur nature.
Depuis l'ère Reagan surtout, toute une école de pensée (celle dite de Chicago) s'est inspirée de principes considérés comme intangibles, issus de Hayek, et la pensée néolibérale. Considérant l'Etat comme un problème dans la régulation économique et le marché comme infaillible dans son fonctionnement spontané, elle a fortement imprégné la formation et le mode de fonctionnement de la pensée économique dominante.
__Or, les bases de l'économie repose sur des choix, reconnus ou implicites. "L'économie est politique et la diversité des interprétations est inévitable, puisque derrière la raison se cachent les jugements de valeur." déclare l'économiste Claude Mouchot.
Les économistes
ont-ils toujour été au dessus de tout soupçon..se demande un autre
."Doit-on s’étonner que certains économistes, censés utiliser une science neutre et objective, deviennent des défenseurs de la dérégulation de la finance dont ils servent les intérêts . Le statut de neutralité idéologique des économistes est en fait loin d’être acquis. Selon Jospeh Stiglitz : « « plus que les économistes ne sont sans doute prêts à l’admettre, l’économie était passée du statut de discipline scientifique à celui de supporter le plus enthousiaste du capitalisme de libre marché ». (Le triomphe de la cupidité, Les Liens qui libèrent, 2010)__Pourquoi se sont-ils comportés de la sorte, lui demandais-je à l’occasion d’un entretien pour Alter Eco ? La réponse fut directe : « Par idéologie. Ils aimaient ces modèles parce qu’ils donnaient la “bonne” réponse. Les économistes ne sont pas arrivés à leurs conclusions en utilisant les modèles, les présupposés libéraux étaient là avant ».."
__Laurent Mauduit écorne sérieusement le prestige indû des économistes médiatiques, qui, aveuglés et/ou intéressés, se fourvoient dans l'analyse de la crise, en la minimisant par exemple et continuant à ne pas vouloir en comprendre les causes. Des imposteurs , déclare-t-il, non sans quelques simplifications, ou des agents doubles de la pensée unique, sans critique du système autre que marginale. Avis souvent partagé par Frédéric Lordon, par exemple.
__Il existe des économistes comme Paul Jorion, Stiglitz (critique de l'austérité comme remède) qui, sans aller jusqu'à des positions aussi radicales, ne manquent pas de talent pour remettre en question le système tel qu'il fonctionne et les agents qui le cautionnent au niveau théorique, chantres du libéralisme sans règles, du marché sans contraintes, de la mondialisation sans frein.
Certains, se déclarant atterrés , au vu d'une absence de remise en question des mécanismes d' une crise qui en prépare d'autres, se sont associés pour faire entendre leur voix et leurs propositions.
Le film-document Inside Job s'efforce de démystifier ces mécanismes.
Finance Watch, ONG en première ligne face aux lobbys financiers, donne plus modestement et régulièrement un point de vue critique sur les dérives financières et ceux qui les favorisent soit par l'action (ou l'inaction) et les cautionnent théoriquement.
Le document Inside Job aide à en comprendre les mécanismes.
__L'enseignement de l'économie est à revoir. Une économie plus ouverte, moins dogmatique et quantophrénique, plus autocritique, moins impliquée dans les relations de pouvoir. Au service du bien commun.
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"Je n’ai jamais aimé la notion de «science» économique —c’est une discipline beaucoup trop imparfaite pour être mise sur le même pied que la chimie ou la biologie... Toutefois, quand j’étais plus jeune, je croyais fermement que l’économie était un domaine qui progressait à travers le temps, que chaque génération connaissait davantage que la génération précédente._La question est de savoir si c’est toujours vrai. En 1971, il était clair que les économistes savaient beaucoup de choses qu’ils ne savaient pas en 1931. Est-ce aussi clair quand nous comparons 2011 à 1971? Je pense que vous pouvez alléguer que sur plusieurs plans, la profession savait plus en 1971 qu’elle ne sait maintenant._J’ai écrit beaucoup sur l’Age sombre de la macroéconomie, c’est-à-dire la façon dont les économistes répètent des erreurs de 80 ans avec la conviction qu’il s’agit de vérités très profondes... Ce que j’ajouterais, c’est qu’aujourd’hui, j’ai l’impression que plusieurs économistes n’essaient même pas d’accéder à la vérité. Lorsque je regarde ce que beaucoup d’économistes éminents ont écrit en réponse à la crise actuelle, je ne vois aucun signe d'un malaise intellectuel, aucun signe qu’ils sont troublés par un désastre qui n’avait aucune place dans leurs modèles." (Paul Krugman)

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-Refonder la science économique

-Monnaie au coeur

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