Chine au carrefour
_____________________Richesse privée et misère publique
___Le piège, ce n'est pas seulement la dépendance des USA par rapport à l'Empire du Milieu et vice-versa: d'étroits rapports économiques et financiers. La Chine finance une bonne partie de la dette de l' Oncle Sam, tant que le dollar est hégémonique, et lui vend quantité de produits bon marché permettant de réguler au plus bas la masse salariale des consommateurs américains les moins favorisés.
La Chine et les USA se tiennent par la barbichette. Malgré les tensions, les deux pays sont pour l'instant condamnés à vivre ensemble de manière dialectique, sinon conflictuelle. Le Tigre a su dompter l' Aigle.
______________Mais un piège existe aussi dans le fonctionnement interne de l'économie libérale-autoritaire chinoise, s'efforçant d'être toujours en pointe dans de nombreux domaines, condamnée à exporter, à développer une croissance ininterrompue générant de grandes inégalités, elles-mêmes facteurs de croissance. Les dirigeants chinois connaissent les fragilités structurelles du pays, qui entre dans une période difficile, mais ne savent trop comment sortir du piège pourtant sciemment construit.. La corruption continue, le progrès social est au point mort, malgré quelques ouvertures, suscitées par la crainte de révoltes fréquentes.
"Selon Robin Munro, le
gouvernement chinois pourrait (même) se faire à l'idée de syndicats
indépendants, pourvu que ces derniers s'abstiennent de contester le
pouvoir politique. C'est précisément ce à quoi s'efforce le CLB, et ce
qui explique peut-être que ses membres aient les coudées étonnamment
franches sur le terrain. Reste à savoir si la corruption galopante et la
montée en flèche des abus qu'elle génère ne sont pas en passe de
déclencher un rejet massif - dont on ne voit pas comment il pourrait
éviter d'être politique. "
Les débats en Chine, puissance fragile, sur les choix futurs, l'avenir du pays, filtrent à peine.
_____________________"...La
direction chinoise s'est durant une génération attachée à la croissance
économique aux dépens du reste. Deuxièmement, l'inégalité s'est
généralisée à mesure que la Chine socialiste a brisé le "bol de riz
d'acier" de la protection sociale. Troisièmement, la forte hausse d'une consommation
privée ostentatoire s'est opérée aux dépens de l'investissement dans
des biens communs tels que les retraites, la santé à coût raisonnable ou
l'éducation publique. Quatrièmement enfin, les dépenses consacrées au
surdéveloppement et aux projets futiles n'ont cessé de croître, tandis
que les investissements nécessaires au bien-être général ont baissé.
La capacité chinoise d'exporter
à bas coût a été rendue possible par une réserve inépuisable de
main-d'oeuvre migrante. Résultat, une ville comme Guangzhou
(l'ex-Canton), la plus grande du Guangdong, ressemble aujourd'hui à l'Arabie saoudite
: elle présente un PIB par tête comparable à celui d'un pays à revenu
moyen, mais les chercheurs estiment que 3 millions seulement des 15
millions de personnes qui travaillent chaque jour à Guangzhou en sont
des habitants officiellement enregistrés.
Les autres n'ont aucun droit au logement,
à l'éducation ou aux soins de santé, et vivent sur des salaires de
subsistance. En Arabie saoudite, les travailleurs immigrés sous-payés
sont attirés par la richesse pétrolière, alors que dans le Guangdong les
travailleurs sont à la fois la source et le sous-produit de la
richesse.
__Cette absence de protection pour la plupart des travailleurs contribue à renforcer l'autre jambe sur laquelle marche la croissance chinoise : le capital bon marché permettant d'investir
dans les infrastructures nationales. Ne disposant pas de retraite, de
soins de santé ni d'éducation assurés par l'Etat, les citoyens épargnent
la moitié de leurs revenus pour se garantir en cas de coup dur.
Mais les banques publiques leur versent un taux d'intérêt artificiellement bas. Cela permet d'amasser de vastes quantités de capitaux que les entrepreneurs peuvent emprunter
à faible coût pour ces investissements spéculatifs qui ont gonflé le
PIB et parsemé le paysage chinois d'inutiles folies telles que bâtiments
municipaux luxueux comme des palais, usines qui ne tournent pas et
hôtels vides. D'après plusieurs études officielles, le nombre
d'"incidents de masse" (manifestations violentes impliquant plus de 500
personnes) enregistrés par les autorités est passé de 8 700 en 1993 à 87
000 en 2005 et à 180 000 en 2011.
Depuis quelques années s'est ouvert en Chine un débat sur la façon
dont le pays pourrait échapper au piège de sa richesse. Beaucoup de ceux
qui se revendiquent de la nouvelle gauche demandent des mesures
capables de stimuler
la demande intérieure afin d'éliminer les causes du mécontentement
social. En tête de leur liste figurent l'augmentation des salaires, la
fin des subventions artificielles aux exportations, l'accès aux services sociaux, la réforme du système hukou (permis de résidence) et la fin de la "répression financière" qui maintient des taux d'intérêt artificiellement bas.
Augmenter les salaires et laisser peu à peu le yuan s'apprécier seront déjà des opérations difficiles, mais mettre
un terme à la répression financière des taux d'intérêt artificiellement
bas touchera au coeur même des intérêts privés les plus puissants de
Chine.
De surcroît, ces mesures ralentiront la croissance. C'est pourquoi nombreux à droite sont ceux qui cherchent une façon de rendre la richesse chinoise plus acceptable. Ils veulent privatiser les entreprises étatiques, inciter l'industrie
à améliorer sa chaîne de valeur et développer des politiques à même de
légitimer l'inégalité, qu'ils considèrent comme un élément essentiel
pour aiguillonner le progrès.
Beaucoup applaudissent ce que l'universitaire chinois Xiao Bin vante sous le nom de "modèle du Guangdong", à savoir
un autoritarisme souple qui permet une plus grande expression citoyenne
sur Internet et autorise la société civile et les ONG à faire état de leurs préoccupations.
Wang Shaoguang, pour sa part, craint que, sans une tentative de grande ampleur de s'attaquer aux causes des désordres, tous ces problèmes ne fassent qu'empirer. "Les conseils de Galbraith n'ont eu aucun effet aux Etats-Unis, notait-il dans un essai publié en 2011, aussi la Chine socialiste devrait-elle faire mieux."
La crise financière a déclenché une crise dans le modèle de
développement de la Chine. Les régions prospères comme le Guangdong ont
été plongées dans le chaos sitôt que la demande occidentale pour les
importations chinoises s'est tarie. Le phénomène a coïncidé avec le
sentiment grandissant que les fondations traditionnelles de la
croissance s'érodaient en raison de la hausse simultanée du coût du
travail, du prix des terrains et des taux de change.
Les mesures massives de relance adoptées par la Chine ont été
bénéfiques sur le court terme, mais ont exacerbé les déséquilibres à
plus long terme. Certains intellectuels affirment que la "société du
Xiaokang" évoquée par Deng a atteint ses limites naturelles avec des
travailleurs migrants qui descendent dans la rue dont le nombre est sans
précédent et des autorités qui émettent des opinions divergentes sur
les politiques à adopter.
Alors que leurs prédécesseurs devaient affronter les problèmes de la pauvreté et de l'héritage du socialisme, la nouvelle génération de dirigeants chinois qui accédera au pouvoir cet automne devra éviter le piège d'un marché qui produit - selon la formule de Galbraith - richesse privée et misère publique..." (Mark Leonard)
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