Une dame très contestée
____________________ Maggie n'eut pas une famille modèle, mais de nombreux enfants spirituels, en continuant à inspirer les règles économiques du pays de sa Gracieuse Majesté.
Tout inoxydable qu'elle fut, elle quitta la scène, laissant des héritiers et un l'héritage, un lourd héritage.
Son pouvoir hypnotique perdure, ambivalent.
Les mythes aussi, sur cette personne hors du commun, un icône célébrée par ses proches en libéralisme, "à commencer par le Premier ministre David Cameron,
conservateur comme «Lady Thatcher», qui selon lui «n’a pas seulement
dirigé» la Grande-Bretagne, mais «l’a sauvée». Le chef du gouvernement a
d’ailleurs écourté un déplacement sur le continent pour regagner
Londres."
Mais d'autres voix s'expriment: "la toile s’est aussi faite l’écho de la rancoeur de
nombre de ses concitoyens, opposants, syndicalistes, responsables
nord-irlandais ou victimes de sa politique, qui l’exécraient. «Je
bois un verre en ce moment précis. C’est un jour merveilleux. Je suis
ravi», a lancé David Hopper, responsable régional du syndicat des
mineurs dans le nord-est de l’Angleterre ajoutant «elle a décimé
l’industrie, détruit nos communautés».
Un mythe perdure, que certains s'emploient à déconstruire, pour retrouver un rapport plus juste au passé:
"... Les constructeurs du mythe Thatcher ont un objectif principal en
tête : faire accepter au plus grand nombre que le thatchérisme fut un
chaînon aussi inévitable que nécessaire dans l’histoire du pays.
Déconstruisons quelques éléments principaux de cette mythologie
thatchérienne.
« Margaret Thatcher sauva le pays du déclin économique » : Il
n’en est rien. Les résultats économiques des années 80 sont bien en
deçà de ceux des années 50 et 60 ; décennies pendant lesquelles la
croissance fut plus soutenue et durable. Quand finalement l’économie
commença à croitre à la fin des années 80, elle reposa sur la bulle du
crédit et l’activité financière. Au moment de son départ de Downing
street, l’économie était de nouveau en récession. N’oublions pas non
plus que Mme Thatcher bénéficia des revenus importants issus de
l’extraction du pétrole dans la mer du nord.
« Margaret Thatcher allégea le fardeau de la fiscalité pour tous » :
C’est faux. Entre 1979 et 1989, le niveau de taxation (en tant que
pourcentage du PIB) passa de 39% à 43%. Le premier ministre allégea les
impôts des plus riches : le taux d’impôt maximal était de 83% en 1979 et
de 40% quand elle quitta le pouvoir. Inversement, la TVA – impôt
indirect qui frappe davantage les catégories populaires – passa de 8% à
15% dès son arrivée au pouvoir.
« Sous Margaret Thatcher, les Britanniques se sont enrichis » : Nouvelle contre-vérité. En 1979, le 1/5e
le plus pauvre de la population recueillait 10% des revenus nationaux
après imposition contre 7% en 1989. Pendant la même période, la part du
1/5e le plus riche passait de 37% à 43%. Les riches se sont
donc enrichis et les pauvres se sont appauvris. Corolaire de cet
appauvrissement la criminalité a augmenté de 79% entre 1979 et 1989.
« Margaret Thatcher a restructuré et modernisé l’économie » : Pas
du tout.Encore aurait-il fallu qu’elle ait un projet industriel, ce qui
n’était pas le cas. Thatcher a détruit l’industrie britannique qui ne
s’en est toujours pas remise à ce jour. Entre 1980 et 1983, la capacité
de production de l’industrie a baissé de 24%. Avec les privatisations et
la fermeture d’entreprises (dont les puits de mine dans le nord du
pays), le pays a compté plus de 3 millions de chômeurs pendant la
majeure partie des années 80. Margaret Thatcher fit le pari d’une
économie nationale dépendante de la City et de la finance, avec les
conséquences que l’on connait aujourd’hui.
« Les privatisations de Mme Thatcher ont permis la création d’un marché libre et compétitif » :
Il s’agit d’une affirmation tendancieuse et incorrecte. Les ventes
d’entreprises nationalisées, sous-évaluées, ont essentiellement permis
de renflouer les caisses du trésor. Les services privatisés se trouvent
pour la plupart aujourd’hui dans une situation monopolistique, et
remplissent des services d'une qualité médiocre à des coûts élevés (eau,
gaz, électricité).
« Thatcher fit reculer l’emprise étatique sur le pays » :
sur le plan économique, l’Etat s’est effectivement effacé, ce qui a
accru les inégalités économiques entre individus, et les services
financiers ont été dérégulés. Sur le plan des libertés civiles et des
relations du travail, le thatchérisme fut très interventionniste : lois
antisyndicales ; imposition d’une bureaucratie visant à surveiller les
fonctionnaires et les enseignants, et crispation autoritaire sur le plan
des mœurs.
« Thatcher, personne de conviction, combattit en faveur de la liberté et de la démocratie » :
faut-il rappeler que Mme Thatcher s’opposa aux sanctions contre le
régime d’Apartheid en Afrique du sud et traita Nelson Mandela de
« terroriste » ? Thatcher apporta aussi un soutien indéfectible à
Augusto Pinochet, à qui elle rendit visite en 1999 lorsqu’il fut
brièvement retenu en Angleterre pour répondre aux charges de crimes
contre l’humanité. Elle refusa le statut de prisonnier politique à Bobby
Sands et à ses camarades de l’IRA, et n’eut pas l’ombre d’un remords
quand ceux-ci moururent après une longue grève de la faim.
L’intervention aux Malouines – contre l’avis de ses ministres et de la
hiérarchie militaire – fut politiquement douteuse, économiquement
coûteuse et humainement cruelle.
« Thatcher a vaincu la gauche et le thatchérisme a connu son apothéose sous Tony Blair » :
C’est vrai et, ici, la mythologie rejoint le réel ; une réalité des
plus inconfortables pour les directions travailliste et syndicale.
Margaret Thatcher a mené de plein front une lutte des classes – pour le
bénéfice de sa classe, les nantis - que les états-majors de la gauche
britannique ont abandonnée à partir de 1979, pour le malheur de la
classe ouvrière. Ce sont Tony Blair et Gordon Brown qui ont entrepris la
réhabilitation d’une figure largement détestée dans les années 90 et
jusqu’à sa mort. Blair a affirmé que Mme Thatcher avait inspiré son
action et Brown la reçut à Downing street avec les honneurs dus à un
chef d’Etat en exercice. Blair et Brown passeront à la postérité comme
les grands bâtisseurs du mythe Thatcher.
A quoi bon manufacturer le mythe Thatcher, 23 ans après son départ de
Downing street ? Le procédé permet à peu de frais de revivifier TINA -
le mot d’ordre des néolibéraux de tout poil depuis trente ans : en vertu
de celui-ci, rien n’est possible, rien n’est envisageable en dehors du
cercle de la raison économique ; cette doxa qui préconise toujours plus
d’austérité, le démantèlement de l’Etat social et le libre échange. TINA
est de facto la Nouvelle Internationale ; celle qui regroupe
aujourd'hui la droite populiste, les conservateurs, les néolibéraux et
la social-démocratie blairisée. Il est compréhensible que le bilan
politique de Margaret Thatcher soit acclamé par ceux qui soutiennent la
barbarie économique actuelle, ou par ceux qui ont capitulé face à elle...." (Philippe Marlière)
___________________________
- Sherlock Holmes, Miss Thatcher et l'empire du mal
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire