Débats et polémiques se poursuivent.
__________________________________La cacophonie européenne continue, malgré les propos lénifiants ou les appels fédéralistes.
L'Allemagne, ou plutôt la droite libérale allemande, joue un rôle particulier, que d'aucuns jugent économiquement dangereux. L'avenir dépendra de ses futurs rapports avec ses voisins, qui ne peuvent rester en l'état.
Sortir du flou et de la méfiance et changer les élites au pouvoir semblent être des conditions nécessaires, mais non suffisantes.
S'il y a une quasi unanimité pour des changements rapides, la question est celle du comment.
Comment sortir du pilotage automatique d'une Europe sans cap véritable, sans remettre en question le statut de l'euro?
Réorienter ou refonder l’Union Européenne ?
___Points de vue:
"... Une UE définie comme une zone de libre-échange élargie et une zone
monétaire restreinte est-elle « réorientable » pour aller vers des
harmonisations économiques et sociales « par le haut » ? Le
fonctionnement et les politiques de l’UE n’ont-ils pas atteints un pont
de non-retour rendant impossible leur réforme ? Ne faut-il pas s’atteler
à la construction d’une autre Europe en revoyant les instruments qui
l’ont jusqu’ici conduit dans une impasse néolibérale totale ?
__Le premier sujet est bien celui de l’Allemagne, objet d’attaques
contre son égoïsme ou sa surpuissance. Mais celles-ci sont-elles bien
ciblées ? L’Allemagne est, depuis la fin du XIX° siècle la première
puissance industrielle en Europe et elle l’est restée malgré les
guerres, les destructions et les divisions. Le fait nouveau est que
l’écart avec la France s’est réduit depuis 1945. Aujourd’hui elle
utilise l’UE et la zone Euro pour accumuler le maximum de richesses sans
en payer le prix ; elle vieillit tous les jours un peu plus et doit
épargner pour financer ses futures retraites. Les gouvernements
allemands, qu’ils soient de droite ou de gauche renâcleront toujours
plus à financer le déficit des autres. Ce faisant, elle est à la fois
prise comme la citadelle des politiques néo-libérales et, hic et nunc
comme le partenaire historiquement obligatoire de la France dans la
construction européenne. Pour les Français, c’est la contradiction
Schröder dont la politique est vantée par les mêmes au-delà du Rhin et
critiqué en deçà. Elle est contenue dans une idéologie bien spécifique :
l’ « ordolibéralisme » qui a connu un succès particulier en Allemagne
dés les années cinquante dans tous les partis (y compris les Verts) et
qui a pris définitivement le pouvoir dans l’Union. Michel Foucault lui
avait accordé précocement une attention toute particulière (dans ses Cours au Collège de France 1977-79, 2
tomes, Le Seuil 2004). Il y voyait un système de pensée néo-libéral
débouchant sur une technologie de gouvernement originale parce qu’elle
élève la liberté du marché au rang de principe métajuridique.
L’ordolibéralisme milite en effet pour une constitutionnalisation de la
concurrence, de la régulation marchande et de la limitation de
l’intervention publique. On passe ainsi de l’échange (de volontés
supposées libres) à la concurrence libre et non faussée érigée en
principe constituant. C’est ce qu’ont fait les traités Européens, de
Maastricht au TSCG en passant par celui de Lisbonne et leur
interprétation par la Cour de Justice de l’UE. C’est ce que l’Allemagne a
obtenu pour prix de son acceptation de l’Euro. L’Etat doit faciliter,
sans jamais s’imposer au marché, des arrangements institutionnels
dépolitisés ; d’où l’inflation normative que l’on sait. La promotion de
la concurrence ne débouche donc pas sur le « laisser-faire », mais sur
la nécessité d’une « gouvernementalité active » sur le modèle de
l’entreprise (la «gouvernance » des eurocrates). Cette vision
sous-entend une complète inversion de la doxa libérale: la question
n’est plus de savoir comment limiter l’Etat au nom des mécanismes du
marché mais comment le faire exister par le marché. Ce n’est plus
l’Etat minimum mais l’étatisation à partir de l’économie qui est l’enjeu
principal. La liberté économique peut ainsi devenir une nouvelle
souveraineté politique excluant toute politique économique
conjoncturelle des Etats. C’est de cela que l’UE est devenu le nom et
l’Allemagne le prophète.
Il est donc difficile, et c’est le deuxième sujet, d’imaginer un
gouvernement économique démocratique, vieille revendication lancée il y a
vingt ans par Pierre Bérégovoy, reprise maintenant par François
Hollande avec l’institutionnalisation de l’Eurogroupe doté d’un
président permanent (son fondement démocratique relevant de l’initiative
problématique du Parlement européen). Ce type de gouvernement est resté
jusqu’ici lettre morte par ce qu’il se brise inévitablement sur la
règle de l’unanimité et surtout par la contrainte du « 3° pilier » du
traité de Maastricht qui soumet les politiques publiques à l’exigence de
réformes structurelles. C’est ce que vient de rappeler la Commission
(dans son document du 29 mai) en application pure et simple de l’article
7 du Traité TSCG ratifié par les socialistes en octobre dernier. En
accordant un sursis à la France pour réduire son déficit supérieur à 3%
du PIB, la Commission préconise en échange une réforme sans délai du
marché du travail et des retraites, d’un élargissement de la mise en
concurrence des services publics et des professions « protégées », d’un
allègement de la fiscalité des entreprises. Cela suppose d’accepter la
perspective d’une diminution des salaires, des prestations sociales et
15% de chômeurs en 2015.
L’accomplissement de ce processus devenant irréversible est à
l’horizon d’un accord de libre-échange avec les Etats-Unis que la
Commission voudrait conclure à marche forcée d’ici 2014. Il permettrait
selon elle un gain de 0,5 à 1,5% de croissance par an ; sauf qu’il
ouvrirait la voie à « un partenariat de tous les dangers » (voir
le billet du 22/04/13 de Françoise-Elisabeth Delcamp ici-même). En
effet, les Etats-Unis ont appris depuis 1933 à l’orée du New Deal à se prémunir avec l’American Buy Act relancé
par Obama dès 2009 contre la concurrence extérieure nourrie de dumping
social et fiscal. Un exemple : les Etats-Unis ont introduit depuis 2012
des droits de douane à 250% sur les panneaux photovoltaïques en
provenance de Chine alors que l’Allemagne vient de s’opposer à une
timide augmentation de ces droits par la Commission de Bruxelles. Quant à
la sanctuarisation de « l’exception culturelle », elle fait diversion
par rapport à la libéralisation des normes sanitaires, agricoles,
salariales et sociales qui sont à redouter. En fait l’UE, pour sortir
de la crise du libéralisme et de la mondialisation qui met à genoux ses
Etats et ses peuples, propose d’en rajouter sur ces deux registres avec
une nouvelle réduction des limites à la concurrence transatlantique. Le
préalable absolu à la mise en chantier d’un tel traité serait donc que
l’UE se dote d’une politique commerciale qui soutienne sa politique
industrielle et agricole comme l’ont fait les Etats-Unis. Sinon il faut
refuser de le négocier.
C’est cette accumulation de règles et de dispositifs mais aussi de traités de type constitutionnel qui fait que « le projet européen peut mourir » comme le soutient Ulrich Beck (« Non à l’Europe allemande »
Ed. Autrement. 2013), la radicalisation réactionnaire d’une partie de
ses populations devenant un phénomène général. L’UE se réduit à une
Association de libre-échange ouverte à tous vents d’une mondialisation
supposée heureuse. Les dix Etats membres qui ne sont pas membres de la
zone Euro exercent sur celle-ci une pression univoque jouant de sa
fracture nord-sud (la « zone Deutschemark » contre la « zone
Clubmed »). Déjà la déflation salariale s’exerce du sud au nord, de
l’Espagne et l’Italie sur la France au prix d’un taux de chômage dans
ces pays oscillant autour de 20% . C’est ainsi que la ligne
exclusivement monétariste de l’Allemagne, produit d’une histoire
nationale et d’une culture politique bien spécifiques, devient la ligne
générale ordo-libérale imposée à tout le continent. Le résultat en est,
au-delà d’une véritable idéologie de l’austérité, une crise politique et
démocratique sans précédent qui exige de repenser entièrement le projet
fédéraliste européen. Ce ne peut être un simple réexamen des traités
pour aller dans le sens d’un « dépassement fédéral » de type
essentiellement budgétaire réclamé par Angela Merkel. Le verrou est bien
dans l’Euro qui concentre tous les ingrédients a-démocratiques du
système qu’est devenu l’UE (voir J. Sapir, Faut-il sortir de l’Euro ?.
Le Seuil, 2012).
Le remplacement de la monnaie unique par une monnaie commune n’est plus une lubie de quelques nationalistes ou souverainistes. (1)Sa justification repose sur une refondation stratégique
de l’Europe partant de la différence Nord-Sud justement, la France
prenant la tête d’une zone euro-méditerranéenne plus performante qu’on
ne le croit : le PIB cumulé de la France, de l’Italie et de l’Espagne
n’est-il pas de 4800 Milliards d’Euros, alors que celui de l’Allemagne
plafonne à 2500 et que l’intégration de son l’hinterland (l’Europe de
l’Est pour l’essentiel) est plus que problématique ?. Les relations
politiques et économiques de l’Europe du Sud avec le Maghreb (voire le
Machrek) sont autrement plus productives et prometteuses. Ce
renversement passe par deux voies : une remise en question de la zone
Euro et de l’Euro en tant que tel (voir Frédéric Lordon, « Pour une monnaie unique sans l’Allemagne »,
blog Monde Diplomatique, 25-05-13) ; la définition de règles et
institutions démocratiques qui ont fait tant défaut à la construction de
l’UE depuis au moins le Traité de Maastricht et le rejet du Traité
constitutionnel en 2005. Au point où nous sommes arrivés, c’est à cette
déconstruction qu’il faut s’atteler pour rendre possible la reprise
d’une dynamique fédérative des souverainetés populaires en Europe..."
(Médiapart)
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