mardi 8 octobre 2013

Au commencement était Hayeck

 L'ère de la cupidité
                                 Axel Kahn ne vit pas que dans l'horizon de son laboratoire. Il lui arrive parfois de descendre dans l'arène et de prendre, avec plus ou moins de bonheur, mais toujours avec clarté, une certaine hauteur philosophique sur des problèmes éthiques ou de se mêler de problèmes politiques de fond, comme tout citoyen est en droit de le faire et devrait le faire.
      Donc, le citoyen Kahn (ne pas confondre avec Citizen Khan! ☻...), dans un ouvrage récent, prône une rupture avec la cupidité sans bornes, comme le préconisait avant lui Stiglitz, qui mine la société en générant de graves dysfonctionnement et des inégalités inouïes et croissantes. Il situe les sources du mal au début de la vague libérale, initiée dans les années 70 et la folie financière spéculative qui a suivi, mais qui était en germe dans le système..  Hayeck, pourfendeur de l'Etat et idolâtre du marché et de son "ordre spontané",  représente l'initiateur théorique de ces dérives, de la rupture de fragiles digues contre le tsunami des liquidités financières mondialisées.
      Le virage de la révolution conservatrice fut théorisé et préparé par l'Ecole de Chicago et son mentor, Milton Friedman, qui inspira les choix économiques de Reagan, de M.Thatcher et connu l'application que l'on sait sous le régime chilien de Pinochet.
  La  faillite de ce  modèle crève aujourd'hui les yeux, la  nasse néolibérale compromet la production, le développement  et la cohérence de nos sociétés.
   La cupidité éclate avec évidence dès le début de ce qu'il est convenu d'appeler la crise: l'affaire Enron était un préambule, le scandale Madoff avait stupéfié le monde par son aspect d'escroquerie massive et cynique. Le monde de la finance et ses satellites apparaissaient pour ce qu'il est: un monde de dérégulation, de mauvais coups calculés (subprimes), de trading haute-fréquence, de jeu de super-casino,  d'errances boursières. Dans le domaine des manipulations financières, Goldman Sachs incarnait ( ça continue...) le summum des méfaits d'un superorganisme  sans contrôle. Alain Minc osait parler d'argent fou...(L'actuelle balkanysation n'en est qu'une (petite) expression...) 
       Aujourd'hui, malgré quelques rafistolages de façade, de timides propositions de régulation l'économie, l'industrie financière, presque entièrement déconnectée de l'économie réelle, constitue toujours une menace, car rien de fondamental n'a été réglé.
     Il est nécessaire que ne soit pas que certains économistes, même attérés, qui nous alertent sur les dangers de la financiarisation livrée à sa seule logique, de ses aspects court-termistes,  de sa mise sous tutelle des Etats.
           Mais la condamnation morale de la course au profit, de l'égoïsme comme horizon,  ne suffit pas et n'explique qu'un aspect du problème, car la question de fond est celle de structures absentes ou défaillantes, de cadres institutionnels nationaux et internationaux qui ne jouent plus leur rôle. Si l'égoîsme est humain, il peut être contenu par une volonté politique orientée par d'autres choix, comme l'avait compris un temps Roosevelt avec succès, qui voulait faire plier la finance, prédatrice à ses yeux, et mettre au pas les plus grandes fortunes, au service du bien commun, cher à Aristote. Le rapport à l'argent n'est pas naturellement déterminé. Ce qu'un marché financier aveugle a fait, une vraie régulation peut le défaire. Le problème est politique, au sens aristotélicien. Il ne suffit pas de fustiger l'argent-idole...
  Il serait temps que l'on sorte de certains aveux timorés pour aboutir à une révolution dans les faits...Le système est trop métastasé pour se guérir de lui-même. La première démarche serait de mettre les banques sous contrôle étatique, comme le voulait De Gaulle, comme le préconisait Kennedy, comme le demande Fitoussi, non seulement pour mettre fin à la spéculation stérile, mais surtout pour mettre en oeuvre, en orientant intelligemment l'épargne publique, des projets industriels innovants.
       Laissons le dernier mot à notre médiatique généticien:
"... Les nouvelles règles imposées dans les années 80, la promotion de la cupidité sans bornes au rang de seul moteur crédible d'une croissance aux bienfaits universels..., la dénonciation virulente de tout régulateur public capable de poser la question de l'intérêt général qui condamnaient à terme l'ensemble du système. Même après les rafistolages des années 2008-2010, la situation est loin d'être durablement stabilisée, les déséquilibres restent gigantesques, les dettes publiques des anciennes puissances dominantes ont atteint des niveaux insupportables à terme.
Pour ne prendre que l'exemple de la Chine et des Etats-Unis, la première, véritable manufacture à l'échelle du monde, a pour l'instant un intérêt évident à ce que les seconds continuent de consommer ses produits. Elle se sert par conséquent de ses gigantesques réserves de devises pour acheter les bons du Trésor par lesquels la dette américaine est financée. Si jamais la crise s'aggravait encore au point que la solvabilité à terme des Etats-Unis devienne si douteuse que la Chine stoppe la perfusion qui les maintient à flot, le désastre d'une intensité encore inconnue serait planétaire.
Voilà où nous conduit l'abandon explicite de toute finalité à l'économie autre que son propre dynamisme fondé sur la promotion par les individus de leurs intérêts personnels. Or l'évolution darwinienne a doté l'homme de traits particuliers changeant la nature et la manifestation des passions. La lutte pour la vie dans le monde de nature est ainsi marquée chez Homo sapiens par la volonté de puissance, par la capacité de sympathie et d'empathie constitutive du désir de justice et du sentiment de solidarité. Limiter les conséquences de la volonté de puissance et de la gloutonnerie afin de respecter la justice et la solidarité, ce sont des desseins dénués de sens au sein de la nature non humaine, mais à l'évidence essentiels chez nos semblables..."

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