jeudi 13 mars 2014

Ukraine: huile sur le feu?

Impératif et urgence  diplomatiques
                                                                              [ Jalons, questions et points de vue  sur une situation mouvante. potentiellement explosive.]
                                                     Est-on à la veille de grands chambardements en Ukraine ou les tensions quasi sismiques vont-elles se résorber et aboutir à un modus vivendi acceptable par chacune des parties?
   Bien malin qui pourrait le dire, quand on prend en compte certaines dimensions du problème.
     Dans la grande confusion, les informations partielles ou peu fiables aujourd'hui, les querelles d'interprétation, difficile de prendre la mesure des événements en cours et de porter un jugement péremptoire sur le sens et l'avenir de l'ébranlement qui secoue l'Ukraine et son grand voisin, dont les échanges sont encore objectivement importants.
     La situation est déjà d'une assez rare complexité, du fait des héritages historiques et des rapports de forces, pour ne pas jouer dans le domaine de la simplification et surtout du manichéisme.
   De plus, l'état critique de la situation et les prises de parti parfois masquées ne facilitent pas un recul  suffisant et une objectivité satisfaisante. Tout peut se modifier rapidement. L'histoire peut s'emballer, comme le feu peut encore couver longtemps avant des remaniements imprévisibles..
     En Ukraine, après une liquidation de l' URSS bâclée, l'oligarchie et la corruption ont dominé les dernières années, sans tradition démocratique. En Russie, Poutine impose sa force en suivant les principes de Machiavel, tout en restant populaire malgré les difficultés économiques. L'Union européenne n'est pas à l'abri de critiques dans ses tentatives atlantistes d'intégrer un pays aussi divers dans sa sphère d'influence politique et économique, l'enjeu énergétique étant l'acteur dont on  ne peut faire abstraction.
___________________________ Quelques pistes préalables cependant pour comprendre la crise en cours.
  Comment en est-on arrivé là? France-culture a diffusé là-dessus d'assez bonnes entrées en matière. On trouvera ici aussi quelques réflexions de fond sur les racines de la crise. (2)-(3)-(4)-(8)
     Une révolution qui swingue,  avance un commentateur...
        Les comparaisons historiques ne sont pas toujours pertinentes, mais on peut craindre un scénario à la post-yougoslave, comme le fait remarquer Jovana Papovic, qui établit une sorte de parallèle:
                                   " ...Derrière le rideau sanglant de la guerre de Bosnie et de toutes les autres guerres récentes des Balkans, se cachait en réalité la transition de la version yougoslave du socialisme vers le capitalisme de marché. Cette transition était dirigée par la Troïka (la Commission européenne, le FMI et la Banque mondiale). Derrière le ballet des foules sur les places de Kiev et les manigances russes, se cache aussi une logique économique. Bruxelles demandait à Kiev de signer un pacte de libre échange avec l’UE. Cet accord devait être de toute évidence bon pour l’Union Européenne, mais moins intéressant pour l’Ukraine. A ce moment là, Moscou propose d’aider l’Ukraine et essaye de lui mettre des menottes invisibles en lui versant 9 milliards de livres, lui proposant de baisser le prix du gaz de 30% et de signer des contrats avec son industrie. Victor Ianoukovitch décide de refuser l’offre européenne. Le mouvement Euro-Maidan se met en place…
   Comme le note l’économiste Michael Roberts, « le peuple ukrainien se trouve devant un choix de Hobson, un choix qui n’en est pas un : s’allier au capitalisme de connivence russe organisé par des anciens agents du KGB, ou accepter l’offre tout aussi corrompue des démocrates « pro-européens ». Roberts prévoit que la dette extérieure de l’Ukraine sera bientôt doublée, « à cause des nouveaux prêts du FMI, des taux de croissance de la dette en dollars et en euros, et en raison de la chute de la monnaie nationale ukrainienne, la hryvnia. »
_______________________ L'absence d'expérience démocratique en l'Ukraine, le poids des oligarques ayant la main mise sur  la moitié des richesses, la corruption généralisée, les divisions internes masquées jusqu'ici, l'écartèlement  entre Russie et Europe, le statut particulier de la Crimée, objet de tensions, où l'arrivée des Russes ravive les anciennes querelles rend la situation très complexe et volcanique.
       Si Poutine tient autant à la Crimée, c'est pour des raisons faciles à comprendre en termes géostratégiques.
   L’Ukraine se dérobe à l’orbite européenne. Jusqu'à quand? La nouvelle diplomatie allemande
est à la manoeuvre, mais ne songe pas à trop contrer Poutine, car il y a objectivement convergence d'intérêts.
      La Russie, empire fragile, joue sur plusieurs registres à la fois, entre fragilités et peurs.
  La partition de l'Ukraine n'est pas une solution.
     ( En 1922, Lénine,le leader bolchévique, affirmait : "Si la Russie perd l’Ukraine, elle perd la tête". Affolé à l’idée de voir Kiev signer fin novembre un accord historique d’association et de libre échange avec l’Union européenne, le Kremlin a fait feu de tout bois. Moscou a menacé de sanctions commerciales l’Ukraine dont le quart des exportations se fait vers la Russie.)
                                                      "...L’Ukraine s’apprêtait à signer un document définitif lors du sommet de Vilnius des 28 et 29 novembre. Elle était même le poids lourd du partenariat. Avec près de quarante-six millions d’habitants, l’ancienne république soviétique représente aux yeux des investisseurs et des analystes de Bruxelles un eldorado économique, agricole et énergétique aux portes de l’Union européenne. De nombreuses études prophétisaient que l’établissement d’une zone de libre-échange ouvrirait des perspectives de croissance inédites, à travers une modernisation des structures de production et un assainissement des milieux d’affaires. Pour Mme Catherine Ashton, haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères, « l’Ukraine a beaucoup perdu » en renonçant à signer l’accord.
Les restructurations exigées dans l’industrie comme dans les services et la concurrence accrue des produits européens auraient néanmoins exigé d’importants efforts d’adaptation — comprendre : des sacrifices — de la part des Ukrainiens, sans que l’Union offre de contrepartie financière significative. La justification officielle de l’abandon des négociations tient d’ailleurs à la « sécurisation » de l’économie du pays. « Ces accords d’association reflètent en quelque sorte un esprit colonial, dans le sens où on traite ces pays, très différents les uns des autres, avec la même approche », admet, sous couvert d’anonymat, un diplomate occidental en poste à Kiev. « L’incorporation de l’acquis communautaire et l’ouverture des marchés qu’on leur demande seraient bien plus avantageuses pour les investisseurs européens que pour les entrepreneurs ukrainiens. » L’Union a donc, elle aussi, beaucoup perdu 
            L'Union Européenne a une vision atlantiste, européocentrée et anhistorique du problème, sans tenir grand compte des intérêts, parfois légitimes, de Moscou:
"...Les Européens abordent la question ukrainienne à travers leurs propres interrogations sur eux-mêmes. L’Ukraine peut-elle être européenne c’est-à-dire cesser d’être dans l’orbite russe ? L’Union européenne doit-elle offrir des partenariats à l’Ukraine et même envisager son intégration ? Les questions sur la Russie reflètent ce nombrilisme : comment faire pièce à l’influence de Moscou en Ukraine ? Comment éviter que Kiev ne fasse partie d’un axe non européen des capitales autoritaires avec Minsk, Bakou et Erevan ? Les Occidentaux savent que l’Ukraine dépend de la Russie. Mais ils oublient combien la Russie dépend de l’Ukraine. Ils perdent ainsi de vue que la crainte est le principal moteur actuel de l’attitude russe.
     En Ukraine, la Russie se trouve aujourd’hui dans une impasse angoissée. Elle a échoué sur son objectif stratégique : assurer l’arrimage de l’Ukraine à sa sphère d’influence. Elle a raté son but économique : constituer une union douanière capable de remédier à terme à sa situation de richesse pétrolière sans développement économique et industriel. Elle a manqué son calcul géopolitique : apparaître en position dans les négociations sur l’Iran et la Syrie.
     Loin de favoriser son développement, les turbulences en Ukraine instaurent un trou noir à ses portes. La Russie n’est pas à plaindre. Mais ses réactions sont à redouter si nous ne comprenons pas qu’elle est guidée non par l’amertume d’un empire frustré mais par les angoisses d’un pays menacé.
Pour comprendre les atouts et les va-tout des autorités russes, les Européens ont tout intérêt à adopter le point de vue angoissé des Russes sur la question. La façon dont les pouvoirs russes chercheront une issue en dépend. Toutes les solutions à trouver doivent tenir compte de ce facteur essentiel : en dépit des apparences, en Ukraine, Moscou n’est pas à l’offensive mais sur la défensive.
       Les Européens regardent trop Poutine sans l’écouter. Ses messages – quoi qu’on en pense – sont très clairs : garantie de la base navale en Crimée, résorption de la vacance du pouvoir, garanties aux populations russophones, préservation du transit du gaz, conservation du tissu industriel et minier sont ses lignes rouges. Ils observent trop sa gestuelle martiale pour ne pas avoir le sentiment d’un pouvoir aventureux et conquérant. Mais ils n’écoutent pas les messages qui défendent les vestiges d’une puissance qui n’en finit pas de se déliter.
La force de rêve impérial a, depuis longtemps, cédé le pas à l’angoisse de l’impuissance
Ce qui arrive en Ukraine ne devrait pas trop nous étonner, quand on refait un peu d'histoire.."
           Les responsables politiques européens seront-ils assez sages pour harmoniser leurs positions, indépendamment des USA, et pour prendre le problème dans sa complexité, dans sa globalité?
  " Le problème ukrainien est sans doute ailleurs que dans une confrontation armée voire un boycott à double tranchant: il est dans la reprise en mains d'un pays ruiné par la corruption et qui abrite sur son sol des silos de missiles nucléaires. Sur ce dernier sujet, la Russie a toujours fait montre de responsabilité et de mesure. Nous serions bien avisés de nous en souvenir dans une région où la fin de la course au nucléaire est loin d'être sifflée avec la concrétisation de la menace iranienne..." L'Europe hypertrophiée n'a nul besoin de l'Ukraine, un boulet supplémentaire qu'elle ne peut ni ne veut aider. L'ancien chancelier Gerhard Schroëder vient de nous le rappeler avec le recul qui est le sien et le regard, que d'aucuns diront russophile, qui est le sien...;"
__________________ L'implication des diplomates occidentaux ne peut être passée sous silence et les  Etats-Unis (sans parler de complot)  sont mal placés pour donner des leçons...
  Les Occidentaux n'ont pas intérêt à souffler sur les braises. Il ne faut pas désespérer la Russie, dont on ne peut se passer, sur de nombreux plans, même si l'autocratie de Poutine fait problème (*)
   De quoi se mêle l'Europe ? estiment certains commentateurs.
L'UE s'est prise les pieds dans le tapis russe. et finalement a les mains liées. On le voit aux tergiversations et aux dissonances
    Chacun y va de sa petite musique: H.Vedrine, Chevènement, qui voit loin: "...L'Ukraine et la Russie ont une intrication très forte, historique, économique. On m'a cité le chiffre de 80 000 entreprises ukrainiennes exportant en Russie et autant d'entreprises russes exportant en Ukraine. On devrait avoir une association de l'Ukraine, de la Russie, et de l'UE. Il faut avoir dans cette perspective l'Europe comme un continent durablement de paix.  Je voudrais souligner le grand danger des politiques d'ingérence : on sait ou cela commence, on ne sait jamais ou cela finit..."
   Le gaz russe, l'acteur invisible assurant une interdépendance énergétique de fait avec l'Ouest, sera-t-il  ce qui facilitera finalement l'ouverture vers un compromis acceptable et durable?
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          (*)       "...Le conflit ukrainien est la superposition d’un mouvement social et d’un jeu diplomatico-militaire classique. Le grand problème, c’est que l’on n’a jamais su articuler l’un avec l’autre. Côté russe, on a un certain nombre d’arguments géopolitiques à faire valoir, mais on ne pourra pas ignorer de manière infinie le mouvement social ukrainien. Poutine peut envoyer ses chars en Ukraine, mais il ne pourra pas annuler le mouvement social qui s’y est déployé. Côté ukrainien, ce mouvement est totalement légitime, mais comment peut-il s’accomplir sans tenir compte de la réalité géopolitique qui fait que la Russie n’est pas illégitime quand elle réclame des garanties à propos de la Crimée et même sur l’orientation politico-diplomatique du futur État ukrainien ? Côté européen, nous avons hélas tout faux.
   Dans un premier temps, nous n’avons pris en compte ni le mouvement social ukrainien ni les intérêts géopolitiques de la Russie. Dans un deuxième temps, nous avons accepté le mouvement social en envoyant trois de nos ministres des affaires étrangères négocier un accord, mais nous n’avons jamais cherché à négocier avec la Russie, ni même à définir un partenariat avec la Russie. Depuis 1989, nous ignorons ce partenaire russe.
    Comment pouvons-nous en même temps prendre en compte le mouvement social ukrainien sans comprendre tout l’impact qu’il peut avoir sur la diplomatie russe et donc tous les risques géopolitiques qui en découlent ? Comment se fait-il que nous soyons incapables de mener, depuis l’automne dernier, une négociation diplomatique avec la Russie sur ce point ? La seule exception est celle, ambiguë, de l’Allemagne, qui tire assez bien son épingle du jeu, alors que la diplomatie française n’a pas su actualiser les relations franco-russes depuis 2003 et l’axe Paris-Moscou-Berlin sur l’Irak.
    Le summum de l’absurde est l’annonce de la sortie du G8, le seul forum où il y avait une possibilité d’échange et de négociation avec la Russie ! Cela rejoint un aspect préoccupant de la diplomatie contemporaine : à partir du moment où il y a un problème, la réaction est de ne pas parler avec celui qui est source de ce problème. On ne parlait pas autrefois à Saddam Hussein, on ne parle pas à Bachar al-Assad, on ne parle pas au Hamas, ni au Hezbollah, on ne parle pas à l’Iran et maintenant on ne parle pas à la Russie… C’est quand même une curieuse conception de la diplomatie, quand on sait que son essence est l’art de gérer les séparations et les contentieux..."  (Mediapart)
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- Point de vue d'un économiste ukrainien 
-Celui de J.Sapir
-Feu le rêve de Poutine, l’Eurasie?
- Prendre en compte les "intérêts légitimes" de Moscou 
- En Crimée, nous payons le prix de nos erreurs
- Ce que la crise ukrainienne révèle de l'impuissance européenne
- Russie/Ukraine/Europe/Amérique : la guerre énergétique
- Les Russes bernés par l'Otan
- Conférence de presse de Vladimir Poutine sur la situation en Ukraine
-L'avis d' Hélène Carrère d’Encausse
- Le coup de gueule de Vladimir Fédorovski
- Comment les Allemands en parlent...
-  Tout allait si bien pourtant...
- Ukraine:  Géopolitique
-Aspect de Svoboda
-Et les Tatars?
-Combien de fois l’Europe a changé de frontières en 25ans?_______________________

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