jeudi 26 mars 2015

Allemagne: nach Osten

 De Berlin à Shanghaï
                                  C'est vers l'Est aussi que regarde de plus en plus Berlin...
              ...Qui a la tête le porte-monnaie ailleurs.
  Vers une redistribution des cartes, une recomposition des alliances?
            Depuis la réunification et l'ère Schröder, l' Allemagne, malgré ses failles, amorce à bas bruit un changement de cap économique et géostratégique, une sorte de  lent glissement de plaques géo-économico-politiques. Un Drang nach Osten progressif et pacifique, celui-là, une offensive mercantile guidée en coulisse par les grands groupes industriels allemands, inspirateurs de la nouvelle voie allemande, qui modifie peu à peu  ses rapports au monde de l'Ouest dictés par l'après-guerre.
    Avec Poutine se dessine, malgré les vicissitudes, une convergence d'intérêts.
  Avec la Chine, un partenariat très avantageux et sans doute durable est engagé
________On a ainsi pu parler d'une Allemagne devenant progressivemnt post-occidentale
                                       On peut lire à ce sujet le blog de Coralie Delaume, qui  renvoie à un article de Hans Kundnani, paru dans la revue Foreign affairs de janvier-février 2015. Hans Kundnani est un spécialiste de la politique étrangère allemande et officie notamment au sein d'un Think Tank, le Conseil européen pour les relations internationales: 
                                      ( Extraits)   "... La réponse germanique à la crise ukrainienne doit être replacée dans le contexte d'un affaiblissement de long terme de ce qu'on nomme la Westbindung, c'est à dire l'arrimage du pays à l'Ouest, en vigueur depuis l'après-guerre. La chute du mur de Berlin et l'élargissement de l'Union européenne ont libéré le pays de la dépendance à l'égard des États-Unis que lui imposait l'impératif de se protéger contre l'Union soviétique. Dans le même temps, l'économie allemande, très dépendante aux exportations, est devenue plus tributaire de la demande des marchés émergents, notamment du marché chinois.
  Le pays a beau rester attaché à l'intégration européenne, ces facteurs permettent tout à fait d'imaginer une politique étrangère allemande post-occidentale. Un tel changement a des enjeux de taille. Étant donnée la montée en puissance de l'Allemagne au sein de l'UE, les relations du pays avec le reste du monde détermineront dans une large mesure celles de tout l'Europe...
    Après la Seconde Guerre mondiale, l'Allemagne de l'Ouest participe à l'intégration européenne, et, en 1955, elle rejoint l'OTAN. Pour une bonne quarantaine d'années, la Westbindung conduit l'Allemagne à prendre des initiatives de sécurité conjointes avec ses alliés occidentaux, ce qui représente pour elle une nécessité existentielle l'emportant sur tout les autres objectifs de politique étrangère. Le pays continue de se définir comme une puissance occidentale tout au long des années 1990. Sous le chancelier Kohl, l'Allemagne réunifiée décide d'adopter l'euro. À la fin de la décennie, elle semble même se réconcilier avec l'utilisation de la force militaire pour s'acquitter de ses obligations de membre de l'OTAN. Après le 11 septembre 2001, Gerhard Schröder promet aux États-Unis une « solidarité inconditionnelle » et engage des troupes en Afghanistan.

    Toutefois, au cours de la dernière décennie l'attitude de l'Allemagne envers le reste du monde occidental change. Dans le débat sur l'intervention en Irak en 2003, Schröder évoque l'existence d'une « voie allemande », qui se distingue de la « voie américaine ». Et depuis lors, la République fédérale n'a cessé d'affermir son opposition à l'usage de la force armée. Après son expérience en Afghanistan, elle semble avoir décidé que la meilleure leçon à tirer de son passé nazi n'était pas « plus jamais Auschwitz » - l'argument précisément invoqué pour justifier la participation à l'intervention l'OTAN au Kosovo en 1999 - mais « plus jamais la guerre ». D'un bout à l'autre de l’échiquier politique, les responsables allemands définissent désormais leur pays comme unFriedensmacht , une « puissance de paix »...
  L'une des raisons pour lesquelles l'Allemagne a négligé ses obligations envers l'OTAN est que la Westbindung n'apparaît plus comme une nécessité stratégique absolue. Après la fin de la guerre froide, l'Union européenne et l'OTAN se sont élargies aux pays d'Europe centrale et orientale, ce qui fait que l'Allemagne est désormais « entourée d'amis» et non plus d'agresseurs potentiels, comme l'a dit un jour l'ancien ministre de la Défense Volker Rühe. Elle est donc bien moins dépendante des États-Unis pour sa sécurité.
     Dans le même temps, son économie est devenue plus dépendante des exportations, notamment en direction de pays non-occidentaux. Durant la première décennie de ce siècle, alors que la demande intérieure restait faible et que les entreprises gagnaient en compétitivité, l'Allemagne devenait de plus en plus accro aux débouchés extérieurs. Selon la Banque mondiale, la part des exportations dans le PIB du pays a bondi de 33% 2000 à 48% en 2010. Ainsi, à partir de l'ère Schröder, l'Allemagne commence orienter sa politique étrangère en fonction de ses intérêts économiques et plus particulièrement en fonction des besoins de son commerce extérieur.
      Un autre facteur a également contribué à cette réorientation. Il s'agit de la montée d'un sentiment anti-américain dans l'opinion publique. Si la guerre en Irak a rendu les Allemands confiants dans leur capacité à se montrer autonomes vis à vis des États-Unis sur les questions militaires, la crise financière de 2008 a fait naître l'idée qu'ils pouvaient également s'autonomiser dans le domaine économique. Pour beaucoup d'Allemands, la crise a mis en évidence les lacunes du capitalisme anglo-saxon et validé le bien fondé d'une économie sociale de marché comme la leur. En 2013, les révélations relatives aux écoutes de la NSA y compris sur le téléphone portable de Merkel, ont encore renforcé ce sentiment anti-américain. Désormais, beaucoup d'Allemands disent qu'ils ne partagent plus les mêmes valeurs que le États-Unis. Certains avouent même qu'ils ne les ont jamais partagées....
       La politique russe de l'Allemagne a longtemps été basée sur l'échange politique et sur l'interdépendance économique. Lorsque Willy Brandt devient chancelier de la RFA en 1969, il essaie de contrebalancer la Westbindung en recherchant une relation plus ouverte avec l'Union soviétique. Il inaugure une nouvelle approche devenue célèbre sous le nom d'Ostpolitik (ou « politique orientale »). Brandt pensait que l'approfondissement des entre les deux puissances pourraient éventuellement conduire à la réunification allemande, une conception que son conseiller Egon Bahr baptisa Wandel durch Annäherung: le « changement par le rapprochement ».
    Depuis la fin de la guerre froide, les liens économiques entre Allemagne et Russie se sont encore renforcés. Invoquant le souvenir de l'Ostpolitik, Schröder entreprit lui-même une politique de Wandel durch Handel , ou « changement par le commerce ». Les responsables politiques allemands, en particulier les sociaux-démocrates, se sont faits les hérauts d'un « partenariat pour la modernisation », au titre duquel l'Allemagne fournirait à la Russie la technologie pour moderniser son économie - puis, idéalement, ses pratiques politiques.
    L'existence de ces liens aident à comprendre la réticence initiale de l'Allemagne à l'idée d'imposer des sanctions après l'incursion russe en Ukraine en 2014. Avant de décider si elle emboîterait ou non le pas aux États-Unis, Mme Merkel a subi les pressions de puissants lobbyistes de l'industrie, emmenés par le Comité pour les relations économiques en Europe de l'Est...
 La forte dépendance allemande à l'énergie russe a également conduit Berlin à redouter les sanctions. Après la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011, la République fédérale a en effet décidé de sortir du nucléaire plus tôt que prévu, ce qui a rendu le pays plus dépendant encore au gaz russe. En 2013, la Russie fournissait environ 38% de son pétrole à l'Allemagne et 36% de son gaz. L'Allemagne pourrait certes diversifier ses sources d'approvisionnement, mais un tel processus prendrait des décennies. Dans l'immédiat, elle se montre donc réticente à toute perspective de contrarier Moscou....
  Les industriels allemands ont eu beau accepter les sanctions, ils n'en ont pas moins continué à faire pression sur Merkel pour les assouplir. En outre, l'Allemagne a clairement fait savoir qu'aucune option militaire n'était sur la table. Au moment du sommet de l'OTAN au Pays de Galles en septembre, Merkel s'est opposée au projet d'établir une présence permanente de l'Alliance en Europe orientale, et a fait valoir qu'une telle initiative constituerait un viol de l'acte fondateur OTAN-Russie 1997. Pour le dire autrement, la République fédérale n'a aucune volonté de mener une politique de containment de la Russie.

                              Le pivot vers la Chine
     L'Allemagne s'est également rapprochée de la Chine, un indice encore plus probant de l'amorce d'une politique étrangère post-occidentale. Comme avec la Russie, les liens sont de plus en plus étroits. Durant la décennie écoulée, les exportations vers la Chine ont augmenté de façon exponentielle. En 2013, elles sont montées jusqu'à 84 milliards de dollars, presque le double du montant vers la Russie. L'Empire du Milieu est devenu le deuxième plus grand marché pour les exportations allemandes hors de l'UE, et pourrait bientôt dépasser les États-Unis pour devenir le premier. Il est d'ores et déjà le principal marché pour Volkswagen et pour la Classe S de Mercedes-Benz....
     Pour l'Allemagne, la relation est essentiellement économique, mais pour la Chine, qui souhaite une Europe forte pour contrebalancer la puissance américaine, elle est également stratégique. Pékin voit l'Allemagne comme une clé pour obtenir le type d'Europe qu'elle désire, d'abord parce que la République fédérale semble être de plus en plus puissante au sein de l'Union européenne, mais peut-être aussi parce que les tropismes allemands semblent plus proches des siens que ne le sont ceux, par exemple, de la France ou du Royaume-Uni.
      Le rapprochement Berlin-Pékin intervient cependant que les États-Unis adoptent une approche plus dure envers la Chine dans le cadre de ce qu'on appelle leur pivot vers l'Asie. Ceci pourrait poser un problème majeur à l'Occident. Si Washington venait à se trouver en conflit avec la Chine sur des questions économiques ou de sécurité, s'il venait à y avoir une « Crimée asiatique » par exemple, il y a une possibilité réelle que l'Allemagne demeure neutre. Certains diplomates allemands en Chine ont déjà commencé à prendre leurs distances avec l'Ouest. En 2012 par exemple, l'ambassadeur d'Allemagne à Pékin, Michael Schaefer, déclarait dans une interview: « je ne pense pas qu'il y existe encore une chose telle que l'Occident ». Compte tenu de leur dépendance croissante au marché chinois, les entreprises allemandes seraient encore plus opposées à l'idée de sanctions qu'elles ne le furent contre la Russie. Le gouvernement allemand serait d'ailleurs plus réticent à en prendre, ce qui creuserait encore les divisions au sein de l'Europe, puis entre l'Europe et les États-Unis.
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 ...    L'Allemagne se trouve à présent dans une position plus centrale et plus forte en Europe. Pendant la guerre froide, la RFA était un État faible et quasi marginal de ce qui est devenu l'Union européenne. A l'inverse, l'Allemagne réunifiée est aujourd'hui l'une des plus fortes, si ce n'est la plus forte puissance d'Europe. Ceci étant donné, une Allemagne post-occidentale pourrait emporter à sa suite nombre d'autres pays, en particulier les pays d'Europe centrale et orientale dont les économies sont profondément imbriquées avec la. Si le Royaume-Uni quitte l'UE, comme il est en train de l'envisager, l'ensemble sera encore plus susceptible de s'aligner sur les préférences germaniques, en particulier pour tout ce qui concerne les relations avec la Russie et la Chine. Dans ce cas, l'Europe pourrait se trouver en opposition avec les États-Unis – et une faille pourrait s'ouvrir au sein du monde occidental, pour ne jamais se refermer..." (Merci à Coralie Delaume)_______________________________

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