C'est vers l'Est aussi que regarde de plus en plus Berlin...
...Qui a
Vers une redistribution des cartes, une recomposition des alliances?
Depuis la réunification et l'ère Schröder, l' Allemagne, malgré ses failles, amorce à bas bruit un changement de cap économique et géostratégique, une sorte de lent glissement de plaques géo-économico-politiques. Un Drang nach Osten progressif et pacifique, celui-là, une offensive mercantile guidée en coulisse par les grands groupes industriels allemands, inspirateurs de la nouvelle voie allemande, qui modifie peu à peu ses rapports au monde de l'Ouest dictés par l'après-guerre.
Avec Poutine se dessine, malgré les vicissitudes, une convergence d'intérêts.
Avec la Chine, un partenariat très avantageux et sans doute durable est engagé
________On a ainsi pu parler d'une Allemagne devenant progressivemnt post-occidentale
On peut lire à ce sujet le blog de Coralie Delaume, qui renvoie à un article de Hans Kundnani, paru dans la revue Foreign affairs de janvier-février 2015. Hans Kundnani est un spécialiste de la politique étrangère allemande et officie notamment au sein d'un Think Tank, le Conseil européen pour les relations internationales:
( Extraits) "... La réponse germanique à la crise ukrainienne doit être replacée dans le contexte d'un affaiblissement de long terme de ce qu'on nomme la Westbindung, c'est à dire l'arrimage du pays à l'Ouest, en vigueur depuis l'après-guerre. La chute du mur de Berlin et l'élargissement de l'Union européenne ont libéré le pays de la dépendance à l'égard des États-Unis que lui imposait l'impératif de se protéger contre l'Union soviétique. Dans le même temps, l'économie allemande, très dépendante aux exportations, est devenue plus tributaire de la demande des marchés émergents, notamment du marché chinois.
Le
pays a beau rester attaché à l'intégration européenne, ces
facteurs permettent tout à fait d'imaginer une politique étrangère
allemande post-occidentale. Un tel changement a des enjeux de taille.
Étant donnée la montée en puissance de l'Allemagne au sein de
l'UE, les relations du pays avec le reste du monde détermineront
dans une large mesure celles de tout l'Europe...
Après
la Seconde Guerre mondiale, l'Allemagne de l'Ouest participe à
l'intégration européenne, et, en 1955, elle rejoint l'OTAN. Pour
une bonne quarantaine d'années, la Westbindung conduit l'Allemagne à prendre des initiatives de sécurité
conjointes avec ses alliés occidentaux, ce qui représente pour elle
une nécessité existentielle l'emportant sur tout les autres
objectifs de politique étrangère. Le pays continue de se
définir comme une puissance occidentale tout au long des années
1990. Sous le chancelier Kohl, l'Allemagne réunifiée décide
d'adopter l'euro. À la fin de la décennie, elle semble même se
réconcilier avec l'utilisation de la force militaire pour
s'acquitter de ses obligations de membre de l'OTAN. Après le 11
septembre 2001, Gerhard Schröder promet aux États-Unis une
« solidarité inconditionnelle » et engage des troupes en
Afghanistan.
Toutefois,
au cours de la dernière décennie l'attitude de l'Allemagne envers
le reste du monde occidental change. Dans le débat sur
l'intervention en Irak en 2003, Schröder évoque l'existence d'une
« voie allemande », qui se distingue de la « voie
américaine ». Et depuis lors, la République fédérale n'a
cessé d'affermir son opposition à l'usage de la force armée. Après
son expérience en Afghanistan, elle semble avoir décidé que la
meilleure leçon à tirer de son passé nazi n'était pas « plus
jamais Auschwitz » - l'argument précisément invoqué pour
justifier la participation à l'intervention l'OTAN au Kosovo en 1999
- mais « plus jamais la guerre ». D'un bout à l'autre de
l’échiquier politique, les responsables allemands définissent
désormais leur pays comme une Friedensmacht ,
une « puissance de paix »...
L'une des raisons pour lesquelles l'Allemagne a négligé ses
obligations envers l'OTAN est que la Westbindung n'apparaît
plus comme une nécessité stratégique absolue. Après la fin de la
guerre froide, l'Union européenne et l'OTAN se sont élargies aux
pays d'Europe centrale et orientale, ce qui fait que l'Allemagne est
désormais « entourée d'amis» et non plus d'agresseurs
potentiels, comme l'a dit un jour l'ancien ministre de la Défense
Volker Rühe. Elle est donc bien moins dépendante des États-Unis
pour sa sécurité.
Dans
le même temps, son économie est devenue plus dépendante des
exportations, notamment en direction de pays non-occidentaux. Durant
la première décennie de ce siècle, alors que la demande intérieure
restait faible et que les entreprises gagnaient en compétitivité,
l'Allemagne devenait de plus en plus accro aux débouchés
extérieurs. Selon la Banque mondiale, la part des exportations dans
le PIB du pays a bondi de 33% 2000 à 48% en 2010. Ainsi,
à partir de l'ère Schröder, l'Allemagne commence orienter sa
politique étrangère en fonction de ses intérêts économiques et
plus particulièrement en fonction des besoins de son commerce
extérieur.
Un
autre facteur a également contribué à cette réorientation. Il
s'agit de la montée d'un sentiment anti-américain dans l'opinion
publique. Si la guerre en Irak a rendu les Allemands confiants dans
leur capacité à se montrer autonomes vis à vis des États-Unis sur
les questions militaires, la crise financière de 2008 a fait naître
l'idée qu'ils pouvaient également s'autonomiser dans le domaine
économique. Pour beaucoup d'Allemands, la crise a mis en évidence
les lacunes du capitalisme anglo-saxon et validé le bien fondé
d'une économie sociale de marché comme la leur. En 2013, les
révélations relatives aux écoutes de la NSA y compris sur le
téléphone portable de Merkel, ont encore renforcé ce sentiment
anti-américain. Désormais, beaucoup d'Allemands disent qu'ils ne
partagent plus les mêmes valeurs que le États-Unis. Certains
avouent même qu'ils ne les ont jamais partagées....
La politique russe de l'Allemagne a longtemps été basée sur l'échange politique et sur l'interdépendance économique. Lorsque Willy Brandt devient chancelier de la RFA en 1969, il essaie de contrebalancer la Westbindung en recherchant une relation plus ouverte avec l'Union soviétique. Il inaugure une nouvelle approche devenue célèbre sous le nom d'Ostpolitik (ou « politique orientale »). Brandt pensait que l'approfondissement des entre les deux puissances pourraient éventuellement conduire à la réunification allemande, une conception que son conseiller Egon Bahr baptisa Wandel durch Annäherung: le « changement par le rapprochement ».
La forte dépendance allemande à l'énergie russe a également conduit Berlin à redouter les sanctions. Après la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011, la République fédérale a en effet décidé de sortir du nucléaire plus tôt que prévu, ce qui a rendu le pays plus dépendant encore au gaz russe. En 2013, la Russie fournissait environ 38% de son pétrole à l'Allemagne et 36% de son gaz. L'Allemagne pourrait certes diversifier ses sources d'approvisionnement, mais un tel processus prendrait des décennies. Dans l'immédiat, elle se montre donc réticente à toute perspective de contrarier Moscou....
Les industriels allemands ont eu beau accepter les sanctions, ils n'en ont pas moins continué à faire pression sur Merkel pour les assouplir. En outre, l'Allemagne a clairement fait savoir qu'aucune option militaire n'était sur la table. Au moment du sommet de l'OTAN au Pays de Galles en septembre, Merkel s'est opposée au projet d'établir une présence permanente de l'Alliance en Europe orientale, et a fait valoir qu'une telle initiative constituerait un viol de l'acte fondateur OTAN-Russie 1997. Pour le dire autrement, la République fédérale n'a aucune volonté de mener une politique de containment de la Russie.
La politique russe de l'Allemagne a longtemps été basée sur l'échange politique et sur l'interdépendance économique. Lorsque Willy Brandt devient chancelier de la RFA en 1969, il essaie de contrebalancer la Westbindung en recherchant une relation plus ouverte avec l'Union soviétique. Il inaugure une nouvelle approche devenue célèbre sous le nom d'Ostpolitik (ou « politique orientale »). Brandt pensait que l'approfondissement des entre les deux puissances pourraient éventuellement conduire à la réunification allemande, une conception que son conseiller Egon Bahr baptisa Wandel durch Annäherung: le « changement par le rapprochement ».
Depuis
la fin de la guerre froide, les liens économiques entre Allemagne et
Russie se sont encore renforcés. Invoquant le souvenir de
l'Ostpolitik,
Schröder entreprit lui-même une politique de Wandel
durch Handel , ou « changement par le commerce ». Les responsables
politiques allemands, en particulier les sociaux-démocrates, se sont
faits les hérauts d'un « partenariat pour la modernisation »,
au titre duquel l'Allemagne fournirait à la Russie la technologie
pour moderniser son économie - puis, idéalement, ses pratiques
politiques.
L'existence
de ces liens aident à comprendre la réticence initiale de
l'Allemagne à l'idée d'imposer des sanctions après l'incursion
russe en Ukraine en 2014. Avant de décider si elle emboîterait ou
non le pas aux États-Unis, Mme Merkel a subi les pressions de
puissants lobbyistes de l'industrie, emmenés par le Comité pour les
relations économiques en Europe de l'Est...La forte dépendance allemande à l'énergie russe a également conduit Berlin à redouter les sanctions. Après la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011, la République fédérale a en effet décidé de sortir du nucléaire plus tôt que prévu, ce qui a rendu le pays plus dépendant encore au gaz russe. En 2013, la Russie fournissait environ 38% de son pétrole à l'Allemagne et 36% de son gaz. L'Allemagne pourrait certes diversifier ses sources d'approvisionnement, mais un tel processus prendrait des décennies. Dans l'immédiat, elle se montre donc réticente à toute perspective de contrarier Moscou....
Les industriels allemands ont eu beau accepter les sanctions, ils n'en ont pas moins continué à faire pression sur Merkel pour les assouplir. En outre, l'Allemagne a clairement fait savoir qu'aucune option militaire n'était sur la table. Au moment du sommet de l'OTAN au Pays de Galles en septembre, Merkel s'est opposée au projet d'établir une présence permanente de l'Alliance en Europe orientale, et a fait valoir qu'une telle initiative constituerait un viol de l'acte fondateur OTAN-Russie 1997. Pour le dire autrement, la République fédérale n'a aucune volonté de mener une politique de containment de la Russie.
Le
pivot vers la Chine
L'Allemagne
s'est également rapprochée de la Chine, un indice encore plus probant
de l'amorce d'une politique étrangère post-occidentale.
Comme avec la Russie, les liens sont de plus en plus étroits. Durant
la décennie écoulée, les exportations vers la Chine ont augmenté
de façon exponentielle. En 2013, elles sont montées jusqu'à 84
milliards de dollars, presque le double du montant vers la Russie.
L'Empire du Milieu est devenu le deuxième plus grand marché pour
les exportations allemandes hors de l'UE, et pourrait bientôt
dépasser les États-Unis pour devenir le premier. Il est d'ores et
déjà le principal marché pour Volkswagen et pour la Classe S de
Mercedes-Benz....
Pour l'Allemagne, la relation est essentiellement économique, mais
pour la Chine, qui souhaite une Europe forte pour contrebalancer la
puissance américaine, elle est également stratégique. Pékin voit
l'Allemagne comme une clé pour obtenir le type d'Europe qu'elle
désire, d'abord parce que la République fédérale semble être de
plus en plus puissante au sein de l'Union européenne, mais peut-être
aussi parce que les tropismes allemands semblent plus proches des
siens que ne le sont ceux, par exemple, de la France ou du
Royaume-Uni.
Le
rapprochement Berlin-Pékin intervient cependant que les États-Unis
adoptent une approche plus dure envers la Chine dans le cadre de
ce qu'on appelle leur pivot vers l'Asie. Ceci pourrait poser un
problème majeur à l'Occident. Si Washington venait à se trouver en
conflit avec la Chine sur des questions économiques ou de sécurité,
s'il venait à y avoir une « Crimée asiatique » par
exemple, il y a une possibilité réelle que l'Allemagne demeure
neutre. Certains diplomates allemands en Chine ont déjà commencé à
prendre leurs distances avec l'Ouest. En 2012 par exemple,
l'ambassadeur d'Allemagne à Pékin, Michael Schaefer, déclarait
dans une interview: « je ne pense pas qu'il y existe encore une
chose telle que l'Occident ». Compte tenu de leur dépendance
croissante au marché chinois, les entreprises allemandes seraient
encore plus opposées à l'idée de sanctions qu'elles ne le furent
contre la Russie. Le gouvernement allemand serait d'ailleurs
plus réticent à en prendre, ce qui creuserait encore les divisions
au sein de l'Europe, puis entre l'Europe et les États-Unis.
..
... L'Allemagne se trouve à présent dans une position plus centrale et plus forte en Europe. Pendant la guerre froide, la RFA était un État faible et quasi marginal de ce qui est devenu l'Union européenne. A l'inverse, l'Allemagne réunifiée est aujourd'hui l'une des plus fortes, si ce n'est la plus forte puissance d'Europe. Ceci étant donné, une Allemagne post-occidentale pourrait emporter à sa suite nombre d'autres pays, en particulier les pays d'Europe centrale et orientale dont les économies sont profondément imbriquées avec la. Si le Royaume-Uni quitte l'UE, comme il est en train de l'envisager, l'ensemble sera encore plus susceptible de s'aligner sur les préférences germaniques, en particulier pour tout ce qui concerne les relations avec la Russie et la Chine. Dans ce cas, l'Europe pourrait se trouver en opposition avec les États-Unis – et une faille pourrait s'ouvrir au sein du monde occidental, pour ne jamais se refermer..." (Merci à Coralie Delaume)_______________________________
... L'Allemagne se trouve à présent dans une position plus centrale et plus forte en Europe. Pendant la guerre froide, la RFA était un État faible et quasi marginal de ce qui est devenu l'Union européenne. A l'inverse, l'Allemagne réunifiée est aujourd'hui l'une des plus fortes, si ce n'est la plus forte puissance d'Europe. Ceci étant donné, une Allemagne post-occidentale pourrait emporter à sa suite nombre d'autres pays, en particulier les pays d'Europe centrale et orientale dont les économies sont profondément imbriquées avec la. Si le Royaume-Uni quitte l'UE, comme il est en train de l'envisager, l'ensemble sera encore plus susceptible de s'aligner sur les préférences germaniques, en particulier pour tout ce qui concerne les relations avec la Russie et la Chine. Dans ce cas, l'Europe pourrait se trouver en opposition avec les États-Unis – et une faille pourrait s'ouvrir au sein du monde occidental, pour ne jamais se refermer..." (Merci à Coralie Delaume)_______________________________
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