Une montée exemplaire?
Podemos est né sur les décombres d'une société minée par la corruption, mise à jour à la faveur d'une crise spécifique, qui a durement touché le système bancaire et le domaine incontrôlé du bâtiment et qui a mis à genoux une partie de l'économie, a installé une profonde pauvreté dans certaines parties de la population et a été à l'origine d'une crise morale et politique de grande ampleur.
Le système politique est à reconstruire sur de nouvelles bases et de profondes réformes s'imposent.
Le jeune mouvement veut bousculer le système en recrutant à grande vitesse dans les milieux les plus touchés, les plus motivés, en inventant des codes politiques radicalement nouveaux.
Les premiers succès locaux sont arrivés, sans préjuger de la suite, qui sera sans doute plus ardue, étant donnée la relative inexpérience de beaucoup de leaders du mouvement et des résistances parfois agressives des forces conservatrices.
Mais c'est une vague de soulèvements qui commence, à la dynamique forte, qui pourrait bien faire tache d'huile dans certains autres pays d'Europe tétanisés par la crise et la montée de la précarité, malgré son caractère spécifique, en partie non transposable, pour partie héritée d'un passé pré-franquiste.
C'est seulement le début d'un chemin qui pourrait aboutir au changement des principales institutions, dont le caractère démocratique fait problème. Jusqu'aux élections de septembre, bien des choses peuvent se passer...
Selon le le philosophe Paul B. Preciado, Ce sont des partis politiques nouveaux, qui ne reproduisent pas la
structure des professionnels de la politique, qui n'ont ni l'argent, ni
les réseaux des partis « installés ». Dans la victoire d'Ada Colau, il y
a plusieurs choses qui ont compté, et qui sont assez extraordinaires.
D'abord, la mobilisation des classes moyennes appauvries, précarisées
par la crise après 2008. Cette politisation est le résultat d'un travail
extraordinaire, mené par Ada Colau et la PAH [la plateforme anti-expulsions immobilières lancée en 2009 en Catalogne – ndlr] qui a su élargir cette expérience et sa force de transformation au-delà de ce réseau d’activistes. ____Avec
la PAH, on touche à la question du logement, de l'habitat, de la
survie, de la vulnérabilité du corps. La PAH a su organiser la
vulnérabilité pour la transformer en action politique. La comparaison
est trop forte, mais pour moi, il s'est passé un tout petit peu quelque
chose comme les luttes pour les malades du sida dans les années 80. Cela
a servi de levier pour repolitiser toute une classe qui traversait une
énorme dépression politique. La capture des désirs par le capitalisme
néolibéral produit une déprime collective, qui s'exprime sous la forme
d'une dépolitisation totale. En inventant des techniques politiques
nouvelles, comme le scratche,
Ada Colau et d'autres ont réenchanté le domaine de la politique. C'est
sans doute ce qu'il y a de plus beau dans leur victoire. Les corps sont
sortis dans les rues, et la ville entière a été repolitisée par leur
présence....
Tout cela s'inscrit aussi dans une tradition politique très forte, en Espagne et en Catalogne, depuis le XIXe siècle :
celle d'un communisme libertaire, d'un anarchisme, toujours marqués par
une dimension très utopique. On le voit très bien avec Ada Colau, qui
en même temps, est la plus pragmatique de toutes. C'est aussi très net
chez Teresa Forcades, avec une dimension supplémentaire, un peu mystique
[Teresa Forcades est une religieuse hypermédiatisée, connue du grand
public pour avoir dénoncé les profits de l'industrie pharmaceutique
pendant l'épidémie de grippe aviaire, et qui a soutenu la campagne d'Ada
Colau – voir vidéo ci-dessous].
Et l'on en retrouve des traces dans toute une tradition espagnole, je pense à des femmes comme Clara Campoamor [féministe qui a contribué à la rédaction de la Constitution espagnole, en 1931 – ndlr], Federica Montseny [la première femme ministre de la République, en 1936, anarchiste, féministe – ndlr] ou encore Dolores Ibárruri, la Pasionaria [secrétaire du parti communiste espagnol entre 1942 et 1960 – ndlr].
Cette juxtaposition improbable de l'anarchisme, du communisme
libertaire et d'un mysticisme utopique, totalement extraordinaire, est
souvent incarnée, il est vrai, par des femmes, mais pas seulement...
Pendant longtemps, en Espagne, la dénonciation de la corruption s'accompagnait d'une forme de désaffection générale :
“ce sont tous des voleurs, on s'en fout”. Grâce au 15-M, on est passé
de ce constat désabusé à l'invention de nouvelles pratiques de contrôle
démocratique. Je pense à la PAH, mais aussi au parti X ou encore à des gens comme Itziar González Virós et le parlement citoyen – le Parlament Ciutadà,
un appareil citoyen de contre-pouvoir qui rassemble des mouvements
hétérogènes pour former un contre-parlement. La question n'est plus : qui sont les voleurs?, mais bien : quels sont les mécanismes de contrôle démocratique? C'est un changement très important...
Il va falloir changer radicalement l'architecture du pouvoir – le
système électoral, la Constitution et d'autres choses. Ça ne va pas être
facile. Mais l'on vit un moment extraordinaire...
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