Que veut (que peut) l'Allemagne?
« L'Europe allemande est maintenant sur le point de prévaloir sur l'aspiration d'une Allemagne européenne. » [Romano Prodi, ex-président de la Commission de Bruxelles]__
Périodiquement, depuis 1870, se pose la question géopolitique au sujet de la place de l'Allemagne au sein de l'Europe.
L' Histoire récente de l' Allemagne, aux frontières mal définies pendant longtemps, est jalonnée de ruptures, de mutations.
On assiste aujourd'hui, après la réunification, à la faveur d'une montée en puissance du pays, de son leadership industriel, de ses capacités exportatrices, de la force de sa monnaie favorisant un mercantilisme sans complexe, à un retour de la question allemande, diversement interprétée selon les pays, les époques, les courants politiques. Elle fait aujourd'hui aussi question dans une frange du monde politique allemand lui-même. Une certaine élite vise carrément une hégémonie allemande au coeur d'une Europe sans pouvoir. Dans ses propres mots, il veut que l’Allemagne, comme la «puissance au
centre», devienne le «chef exigeant» de l’Europe et constitue sa
«puissance hégémonique» afin de défendre ses intérêts géopolitiques et
économiques.
Une question complexe et évolutive.
Beaucoup, surtout après la gestion désastreuse de la crise grecque, se posent la question: que veut l’Allemagne ?
Dans le Financial Times de Londres, Wolfgang Münchau a accusé
les créanciers de la Grèce d’avoir « détruit la zone euro que nous
connaissons et démoli l’idée d’une union monétaire comme étape vers une
union politique démocratique. » Il a ajouté, « par là, ils sont revenus
aux luttes nationalistes des puissances européennes du 19e et du début du 20e siècle...
Schäuble et ses partisans dans la politique et les médias se battent
donc pour une Europe dominée et disciplinée par l’Allemagne et qui sert
de tremplin à la politique de grande puissance mondiale de Berlin.
Schäuble avait déjà développé cette idée en 1994 dans le soi-disant
‘document Schäuble-Lamers’, sous le titre de « Noyau européen. » À cette
époque, il proposait de réduire l’UE à un noyau dur lié à l’Allemagne,
autour duquel les autres pays de l’UE seraient vaguement regroupés.
Herfried Münkler favorise également cet objectif. Dans son livre récent « La
puissance du milieu » il exige que l’Allemagne assume le rôle de «
maître de corvée » de l’Europe un terme qui coïncide avec l’orientation
de Schäuble et jouit d’une popularité croissante dans les médias et les
milieux politiques.
Münkler a plaidé dans de nombreuses
interviews tout récemment en faveur d’un « noyau européen » autour
duquel se grouperaient un deuxième et un troisième cercle qui auraient «
moins de droits, mais aussi moins d’obligations. »
La question allemande est de retour plus ou moins explicitement au coeur des débats allemands, européens ou extra-européens.
Hans Kundnani est chargé de recherche au German Marschall Fund,
think tank américain destiné à favoriser les relations
transatlantiques. Spécialiste de la politique étrangère allemande, il
est l'auteur de The Paradox of German Power (2014). Dans ce livre
inédit en France, il retrace l'histoire allemande sous le prisme de son
rapport à la puissance et à l'hégémonie. Selon lui, la « question allemande »,
qui surgit en 1871 avec l'unification du pays, est bien de retour.
Cette fois, il ne s'agit plus de domination militaire ou politique mais
de leadership économique. Mais, prévient-il, les dégâts pour l'Europe
pourraient être considérables...
... D’une certaine façon, la réunification de 1990 a relancé la question
allemande, mais de façon géo-économique, et non plus géopolitique ou
militaire. À nouveau, l’Allemagne se retrouve dans cette situation
intermédiaire. Il y a d’un côté une sorte de coalition allemande, avec
des pays qui défendent les règles et les positions de l’eurozone. C’est
le cas de la Slovaquie, complètement intégrée au système productif
allemand, ou des pays baltes qui ont fait d’énormes efforts pour
intégrer la monnaie unique et la zone euro. En face, il y a des pays
avec des intérêts économiques différents. L’énorme surplus du commerce
extérieur en Allemagne provoque des déséquilibres très importants sur
les pays de la « périphérie ». La taille de l’économie allemande crée
une grande instabilité en Europe, comme à l’époque sa domination
militaire. Dans cette lutte, la France se retrouve au milieu..."
L’historien allemand Ludwig Dehio a parlé pour cette période d’une Allemagne en situation de « semi-hégémonie »...
Le célèbre sociologue allemand Ulrich Beck, récemment décédé, parle de l’Allemagne comme d’un « empire accidentel ». « Il
n’y a pas de plan stratégique, pas d’intention d’occuper l’Europe, pas
de base militaire. La discussion sur un Quatrième Reich est donc
déplacée. Mais cet empire a une base économique »...Il n’est pas le seul à l’avoir utilisée. George Soros ou Martin Wolf du Financial Times ont eux aussi parlé d’un empire. Mais c’est un terme à la fois très chargé et flou...
Si l'on continue dans la direction prise en Europe ces cinq dernières
années, le risque est grand d’aller vers une Europe très différente du
projet des Pères fondateurs. Comme le souligne le penseur allemand
Wolfgang Streeck [lire ici un entretien d’Antoine Perraud sur Mediapart],
nous risquons d’aller vers une Europe plus brutale, technocratique,
autoritaire, où la politique économique est de plus en plus isolée du
contrôle démocratique. D'ailleurs, même si l'on parvenait à une union
politique, rien ne dit qu’on pourrait changer les fondamentaux de la
politique économique. Quand Wolfgang Schäuble parle d’un pas
supplémentaire dans l’intégration, il parle en réalité d’une Europe qui
suivrait les règles allemandes...
Au départ, l’Union européenne n’est pas un projet néolibéral. Pour la
droite britannique, dont une partie veut quitter l’euro, c’est même
encore un projet de gauche ! Mais de fait, avec le marché commun,
le compromis Delors-Thatcher, et plus récemment la crise des dettes
souveraines en Europe, il y a eu une sorte de « néolibéralisation » de l’Europe. Et plus exactement, une « ordolibéralisation »
de l’Europe. Or quand on y regarde de près, l’ordolibéralisme est une
forme plus extrême du néolibéralisme. Ce que l’Europe impose à la Grèce,
avec la non-possibilité de dévaluer sa monnaie et le refus de réduire
la dette, va au-delà des préconisations du FMI...
L’Europe de Jean Monnet, décidée en juin 1965 à Washington, entre les responsables du département d’ Etat américain et Robert
Marjolin, le représentant de la CEE, est morte.
"La création de l’euro devait « rester secrète jusqu’à ce que ce soit irréversible. "
____________On est loin des fluctuations de De Gaulle
L'euro, qui fut d'abord une monnaie allemande, doublement bénéficiaire, est devenu l'instrument de sa domination.
Une domination cependant fragile, au modèle souvent contesté, non généralisable, où s'exerce le primat de la règle.
Mais en Allemagne, quelques grandes voix se sont exprimées pour critiquer l'accord grec et
l'austérité, comme celle de l'ancien chancelier social-démocrate Helmut Schmidt ou du philosophe Jürgen Habermas, horrifié que son pays ait « dilapidé en l’espace d’une nuit tout le capital politique qu’une Allemagne meilleure avait accumulé depuis un demi-siècle ». « Le
gouvernement allemand a revendiqué pour la première fois une Europe
sous hégémonie allemande – en tout cas, c’est la façon dont cela a été
perçu dans le reste de l’Europe, et cette perception définit la réalité
qui compte. » S'il était encore en vie, le prix Nobel de
littérature Günter Grass, décédé il y a quelques mois, aurait peut-être
rédigé une suite à Europas Schande (La Honte de l'Europe), poème qu'il publia en 2012 pour rappeler à l'Europe qu'elle « clou[ait] au pilori » son « berceau...
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-L'euroscepticisme gagne dans l'opinion allemande
-Défaire ou refaire l'Europe?
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- Relayé par Agoravox
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