La finance mènerait-elle maintenant le monde?
L'argent est un bon serviteur et un mauvais maitre.
Si l'argent est nécessaire pour toutes formes d'échanges marchands, il est rarement neutre, surtout quand il prend une place prépondérante, qu'il perd de vue l'objectif qui devrait être le sien: favoriser l'économie, le développement matériel et humain.
Quand l'argent revient à l'argent, dans un seul but de spéculation et d'accumulation, sa fonction est dénaturée et le système économique dans son ensemble est perverti.
Entre violence et confiance, comme le titre une étude de M.Aglietta et A. Orléan, la finance est ambivalente.
C'est dire l'importance des institutions créées pour la créer, la gérer, en contrôler les flux.
La finance qui dépasse les bornes, qui s'auto-alimente à l'infini en fonctionnant "hors-sol" au détriment et de la répartition et de la richesse collective, est mon adversaire, disait quelqu'un, qui a depuis perdu la mémoire.....
On a pu parler de guerre, de guerre financière, quand elle prend une place centrale au détriment des choix politiques, comme le dit F. Gayraud:
Depuis les années 1980, la Finance occupe une place centrale dans le
fonctionnement des sociétés contemporaines. Sa position de surplomb par
rapport aux échanges économiques et aux classes politiques font que
cette matière ne peut plus être analysée simplement avec la focale de la
"science économique", surtout orthodoxe. Derrière la technicité se
dissimulent des enjeux politiques et des luttes de pouvoir majeurs. Le
diagnostic demeure incomplet et biaisé tant que la perspective
"économiste", positiviste et néoclassique, est privilégiée. Car ce qui
se trame, au sens de la dramaturgie, relève de la Politique. Ainsi,
fondamentalement, il n’y a jamais de crises financières, mais des choix politiques ayant des conséquences financières.
Rechercher les seules explications techniques et ignorer les racines
politiques, consiste à privilégier des causes immédiates et à s’aveugler
sur les causes premières. Depuis la mise en œuvre des politiques de
dérégulation, d’abord aux Etats-Unis puis en Europe,
la finance est devenue un phénomène de pouvoir, avec de véritables
puissances, en partie autonomes poursuivant des objectifs propres. La
dérégulation a sorti le génie de la lampe : depuis, la haute finance
s’est émancipée au détriment des Etats et des peuples. De là, le concept
de guerre ne relève pas de la métaphore facile mais d’une claire prise
en compte des véritables enjeux imposés par la domination inédite de la
finance depuis les années 1980. Comprenons bien ce qui se joue : des
puissances financières développent des formes d’hostilité en
direction des Etats et des peuples ; telle est la signification exacte
du concept de guerre. Il faut avoir une conception réductrice de la
guerre, donc de l’hostilité, pour ne l’envisager que sous le seul angle
des affrontements militaires. Ce serait oublier que l’hostilité a
toujours revêtu dans l’histoire des formes diverses : certes militaire
mais aussi politique, culturelle, économique ou finalement financière.
Par ailleurs, cette hostilité est en partie criminelle quand on prend en
compte deux dimensions. D’abord, les fraudes gigantesques, souvent
systématiques et parfois à effet systémique, dont la finance se rend
coupable. Ensuite les conséquences destructrices sur les populations de
ses actions.
... la guerre financière, ainsi que je le démontre dans mon livre, s’appuie
sur une quadruple migration : des capitaux, des élites, des dettes et
des responsabilités. Ces phénomènes migratoires sont une clef
d’explication importante pour comprendre la puissance des institutions
financières qui mènent de véritables "guerre de mouvement"..
Globalement, les crimes financiers majeurs sont impunis.
Ou lorsqu’ils le sont, c’est de manière imparfaite car trop souvent
dans un cadre transactionnel, ainsi que les Américains nous ont habitué à
la faire avec leurs dispositifs de plea bargaining et de deffered prosecution.
Les sanctions sont alors principalement financières. Elles peuvent donc
être socialisées et elles fonctionnent de fait comme de simples taxes sur la fraude. Comme elles ne touchent que rarement à titre personnel les banquiers, l’incitation à la récidive est gravée dans le marbre.
Les raisons de cette impunité sont multiples. Derrière les nombreuses
explications conjoncturelles et techniques, il y a une causalité
politique unique. Les grands crimes financiers
sont des crimes engageant les élites, et non les classes modestes de la
société. Les politiciens ne sont donc pas a priori incités à organiser
la poursuite d’individus appartenant au même monde qu’eux ou finançant
leurs campagnes. Il est par ailleurs aisé de nier l’existence de ces
crimes, tant les obstacles sont évidents à leur émergence :
caractérisation intellectuelle subtile, définition juridique complexe,
invisibilité matérielle fréquente, et administration de la preuve
souvent diabolique....
...A ce titre, le bilan de la crise de 2008 aura été caricatural et
révélateur des véritables rapports de force à l’œuvre aux Etats-Unis.
Aucun banquier n’aura comparu devant la justice pénale. Seuls deux
cadres intermédiaires auront eu ce "privilège", dont un Français employé
chez Goldman Sachs. Les fraudes avaient pourtant été évidentes et elles
seules ont pu expliquer une partie de la formation de bulles
immobilières et boursières à l’origine de cette crise. D’un point de vue
historique, il s’agit d’une véritable régression. Il convient de se
souvenir qu’après les crises de 1929 et celle des Savings and loans
dans les années 1980, les Etats-Unis avaient su réagir, même
imparfaitement, en usant de l’arme pénale. Ce diagnostic criminel s’est
semble t-il perdu en route, étouffé par le catéchisme néolibéral et par
le poids politique de Wall Street. On ne décrira jamais assez la combinaison perverse du mécanisme dual Too big to fail et Too big to jail....
Les termes sont sans concessions, et quand on regarde de près le comportement des grandes banques, on rejoint les analyse de Stiglitz et de bien d'autres économistes.
Les marchés financiers ne sont pas vertueux par nature et ne relèvent pas de phénomènes de la nature, comme la pensée néolibérale veut le faire croire, en évoquant des lois autorégulées, intouchables et quasiment providentielles.. (Tina: il n'y aurait pas d'autres alternatives...) .Les Echos se font l'écho critique de cette croyance aux conséquences parfois dramatiques que nous connaissons. Le fétichisme de l'argent a des retombées sur la gestion de l'Etat, les services publics, les salaires...
Quand les banques dérivent, deviennent folles, quand plus grand chose n'est maîtrisé, mais devient matière à casino, surtout de la part de l'Etat devenu dépendant par son propre consentement, la finance devient prédatrice. Pas seulement à Wall Street.
Un contrôle urgent s'impose, comme a su le faire partiellement l'Islande. On en est loin....
«Qui
est responsable ? Les banques, évidemment, qui ont oublié que le coeur
de leur métier était d'évaluer les risques, et qui, pis encore, les ont
transférés à d'autres. Mais les pouvoirs publics également : ils ont
conduit des politiques à courte vue, et, surtout, ils ont été des
régulateurs déficients.«Qui est coupable ? En arrière-fond, c'est un modèle idéologique, libéral et anglo-saxon qui a failli. On ne peut impunément se préoccuper exclusivement du profit à court terme.» Voilà ce qu'écrivent Matthieu Pigasse et Gilles Finchelstein . L'un est vice-président de la banque Lazard, l'autre directeur de la Fondation Jean-Jaurès. Pas des révolutionnaires, quoi...
_________________________________
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire