Sévère bilan
Un économiste s'exprime sur ce sujet si controversé.
Pas n'importe lequel, mais celui dont les récents travaux sur les inégalités ont connu un succès jusqu'aux USA, Thomas Piketty.
Donc pas révolutionnaire, ancien conseiller de F.Hollande pendant sa campagne, en accord avec D. Cohen... et d'autres.
Il fait un constat sévère, comme économiste modéré, qui n'a rien d'une tête brulée, sur une loi âprement discutée, dans le cadre des orientations libérales européennes.
Certes ce n'est pas parce qu'on est économiste qu'on a la lumière infuse.
Les économistes proposent leurs analyses, mais avec leurs moyens, leurs limites, parfois leurs parti-pris, leurs engagements et leurs... aveuglements potentiels,même quand on est Prix Nobel.
Dans la science humaine qui est la leur, parfois trop humaine, leur neutralité est loin d'être toujours assurée. Ils ont même souvent failli, comme certains le reconnaissent.
Mais ce n'est pas une raison pour ne pas tenir compte de leur avis, comme celui qui est exprimé ici par le professeur d'économie de Paris, qui a tellement reproché au Président de ne pas avoir entamé la réforme du système des impôts, qu il s'était pourtant engagé à faire comme une priorité:
On retrouve avec la loi travail le même mélange d’impréparation et de
cynisme. Si le chômage n’a cessé d’augmenter depuis 2008, avec à la clé
un million et demi de chômeurs supplémentaires (2,1 millions de
demandeurs d’emploi de catégorie A à la mi-2008, 2,8 millions mi-2012,
3,5 millions mi-2016), ce n’est pas parce que le droit du travail serait
subitement devenu plus rigide. C’est parce que la France et la zone
euro ont provoqué par leur excès d’austérité une rechute absurde de l’activité en 2011-2013,
à rebours des Etats-Unis et du reste du monde, transformant ainsi une
crise financière venue d’outre-Atlantique en une interminable récession
européenne.
Si le gouvernement commençait par reconnaître ses erreurs,
et surtout en tirait les conséquences pour une refonte démocratique de
la zone euro et de ses critères budgétaires, il serait beaucoup plus
facile de mener les débats par ailleurs nécessaires sur les réformes à
mettre en œuvre en France.
C’est d’autant plus regrettable que le droit du travail aurait mérité
de vraies discussions. Le recours croissant aux CDD par les entreprises
françaises n’a jamais permis de réduire le chômage. Il serait plus que
temps d’adopter un système de bonus-malus permettant de mettre davantage
à contribution les employeurs qui abusent de la précarité et de
l’assurance-chômage. Plus généralement, il faudrait restreindre l’usage
des CDD aux cas où ils se justifient vraiment, et faire du CDI la norme
pour les nouvelles embauches, avec pour contrepartie une clarification
des conditions de rupture, qui comportent souvent trop d’incertitudes,
pour les salariés comme pour les employeurs. Il y avait là les
conditions pour une réforme équilibrée, fondée sur le donnant-donnant,
que le gouvernement a malheureusement été incapable de présenter au
pays.
Le débat se focalise maintenant sur l’article 2 de la loi travail,
qui entend désormais faire des accords d’entreprise la nouvelle norme,
susceptibles de déroger aux accords de branche comme à la loi nationale,
notamment pour ce qui concerne l’organisation du temps de travail et le
paiement des heures supplémentaires. La matière est complexe et ne se
prête pas à des réponses simples, comme l’illustre d’ailleurs l’épaisseur du projet de loi (588
pages pour l’ensemble du projet, dont 50 pages pour le seul article 2).
Il est évident que certaines décisions très spécifiques sur les pauses
et les horaires ne peuvent se prendre qu’au niveau de l’entreprise. A
l’inverse, il en existe d’autres, plus structurantes, qui doivent être
tranchées au niveau national, faute de quoi la concurrence généralisée
entre entreprises risque de conduire au dumping social. Par exemple, les
pays qui n’ont pas de législation nationale ambitieuse sur les congés
payés se retrouvent à prendre très peu de congés, en dépit de la
progression historique des salaires, ce qui peut être collectivement
absurde...
De façon plus générale, la principale faiblesse de la loi travail est de
ne pas suffisamment prendre en compte la faiblesse syndicale française,
et les moyens d’y remédier. Pis encore : la loi travail comporte des
dispositions susceptibles d’affaiblir encore un peu plus les syndicats
et leurs représentants. C’est le cas notamment des mesures sur les
référendums d’entreprise présentées dans l’article 10. L’objectif est de
permettre aux employeurs d’imposer par référendum – et dans des
conditions qui peuvent s’apparenter souvent à du chantage – des accords
qui auraient pourtant été refusés par des syndicats représentant jusqu’à
70% des salariés de l’entreprise lors des dernières élections
professionnelles. On comprend que la CFDT puisse dans certains cas y
trouver son compte : cela peut lui permettre avec 30% des voix de
contourner les autres syndicats, et en particulier la CGT, et de
négocier directement un accord avec l’employeur. Il reste que ce
contournement des élections professionnelles – qui ont lieu tous les
quatre ans – revient à revenir en arrière sur les timides avancées
démocratiques des réformes de la représentation syndicale qui venaient
tout juste d’être mises en place en 2004-2008, et qui avaient donné pour
la première fois aux syndicats réunissant 50% des voix le rôle décisif
pour la signature des accords d’entreprise (alors que le régime
antérieur permettait à chacun des cinq syndicats historiques de 1945 de
signer des accords, quelle que soit leur représentativité dans
l’entreprise, ce qui n’a guère réussi au modèle social français). Tous
les exemples étrangers le montrent : la démocratie économique a besoin
de corps intermédiaires. Ce n’est pas en renvoyant une bonne partie des
syndicats et du corps social français dans l’opposition et la
frustration que l’on sortira la France de la crise....
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