Le peuple, par sa faute, a perdu
La confiance du gouvernement
Et ce n’est qu’en travaillant doublement
Qu’il pourra la regagner.
Ne serait-il pas plus simple
Pour le gouvernement
De dissoudre le peuple
Et d’en élire un autre ?
La critique de Bertold Brecht met l'accent sur le décalage qui peut se produire dans un régime qui ignore ou quitte les voies de la démocratie et parfois en trahit les principes essentiels.
La notion de peuple est une notion d'emploi délicat et non exempte d'ambiguïté.
Le pire régime l'a revendiqué pour cautionner ses propres projets antidémocratiques.
Notion floue, qui ne prend un sens politique fort qu'avec l'avènement de la démocratie, partiellement chez les Grecs anciens, plus pleinement avec la période révolutionnaire, où il s'identifie à la souveraineté, quand s'effondrent les institutions féodales et royales. Le peuple souverain, oui, mais éduqué, éclairé, ne délégant temporairement son pouvoir qu'à des représentants librement choisis et contrôlées, selon des règles acceptées par tous.
C'est dire qu'en démocratie tout est toujours imparfait et, telle qu'elle fonctionne, qu'il existe toujours un décalage plus ou moins marqué entre le peuple et ses représentants. Décalage d'intérêts, dans une démocratie parfois purement formelle.
La légitimité réduite du peuple en Europe telle qu'elle fonctionne fait problème, comme le mettent en évidence les débats de fond sur le déficit de souveraineté, à propos du Brexit, après le cas de la Grèce, les referendums oubliés...
Le Brexit , malgré ses malentendus et ses ambiguïtés sanctionne vingt années d’errements de la construction
européenne, dont les dirigeants (Commission, Conseil, Parlement
européen, Cour de Justice) ont voulu, construit, consolidé un espace
économique et social mettant systématiquement les travailleurs et leurs
systèmes de protections en concurrence, vue par les élites comme
le moyen de dynamiter les avantages sociaux obtenus par les salariés
dans le vieux monde keynésien des années 70. Dans ce combat douteux, les
gouvernements britanniques de droite et de gauche ont joué un rôle
moteur. C’est un commissaire anglais conservateur, Sir Leon Brittan, qui
a mis au point la doctrine de la concurrence sans frein de l’Union
européenne, qui a conduit au démantèlement des grands groupes
industriels. C’est aussi un conservateur John Major, qui refuse la
directive temps de travail. C’est le travailliste Tony Blair qui refuse
la charte sociale européenne, etc…
L'Europe s'est donc faite dans le dos des peuples, dans les intérêts des gagnants d'une mondialisation ultralibérale, avec la complicité des élites.
La consultation du peuple, rare et biaisée, n'a été qu' un alibi pour entériner des décisions déjà prises et enrobées de discours à l'apparence démocratique.
L'isolement des élites, souvent autoproclamées, apparaît de plus en plus.
Une grande part des institutions européennes et de leurs décisions échappe au contrôle de ceux à qui on a demandé la confiance et à qui on a caché l'essentiel.
Comme le signale assez bien JP Chevénement.
On ne s'étonnera pas du développement du national-populisme en Europe, symptôme de l'abandon progressif de souveraineté et conséquence de l'installation d'une austérité pour le grand nombre, surtout suite à une crises révélatrice.
L'exigence d'une autre Europe fait son chemin, mais le renversement sera difficile. Les changements actuellement reconnus comme nécessaires risquent de se limiter à des aspects seulement annexes ou superficiels, sans toucher les questions de fond.
Sauver l' Europe, disent-ils. Oui, mais comment? Sinon en recréant un espace enfin réellement démocratique, une autre forme de légitimité, (*)
Mais, au vu des résistances, des dénégations et des aveuglements en tous genres, on peut redouter (ou souhaiter?) une issue plus que problématique.
____________
(*) , l’actualité des semaines les plus récentes suffit à illustrer à
quel point l’UE est empêtrée dans ce que les milieux bruxellois
appellent une « poly-crise ». Confrontée à sa propre désagrégation,
embarrassée par la gestion de ses frontières, aux prises avec une crise
économique et sociale interminable, l’UE voit sa légitimité s’effriter
de manière significative. Non seulement les opposants à l’intégration
européenne existante ont gagné plusieurs référendums, mais de nombreux
scrutins ont vu la montée en puissance de forces politiques étrangères
aux trois familles (conservateurs, libéraux et sociaux-démocrates) qui
gouvernent l’Union ensemble.
___Le consentement populaire à ce consensus élitaire est bien en train de décliner, comme l’indique également une récente enquête du Pew Research Center.
Avant
même le résultat du référendum sur le Brexit, de nombreux responsables
politiques évoquaient d’ailleurs la nécessité d’initiatives pour
redonner du sens à l’intégration européenne, ou en tout cas juguler tout
risque de contagion. Fait révélateur, la revue scientifique Politique européenne fêtait récemment son cinquantième numéro
en s’interrogeant sur la façon de prendre en compte le désenchantement
produit par l’UE. Le professeur Yves Mény, présenté comme un « Européen
convaincu » et défenseur assumé du traité constitutionnel en 2005, y
affirme sans ambages que les « outils extrêmement intrusifs » de l’UE ne se sont guère accompagnés d’« instruments de légitimation suffisants », et même que « le pouvoir [à ce niveau] est aujourd’hui détenu par des bureaucrates ».
Le fameux scepticisme qui rôdait autrefois en marge de ce champ d’études
aurait ainsi tendance à gagner même les plus fervents partisans de
l’Europe...
Le territoire physique de l’UE est mouvant et tend à l’expansion, le
marché commun est particulièrement ouvert à la globalisation productive
et financière, les systèmes légaux publics de l’UE ne sont plus
considérés comme les seuls producteurs de droit (comme en atteste la
reconnaissance croissante de normes globales et/ou d’origine privée), et
ce sans qu’un sentiment significatif d’appartenance commune ait été
créé. La consolidation du centre européen par les élites dirigeantes de
l’UE, mais sans possibilité d’intégrer les citoyens dans une communauté
politique préalablement structurée sur les plans territorial, juridique,
économique et culturel, nourrit l’impuissance des électorats nationaux.
Il ne faut dès lors pas s’étonner de leur loyauté déclinante envers
leurs systèmes représentatifs et les traditionnels partis de
gouvernements, ni de leurs réponses déplaisantes lorsqu’ils sont invités
à s’exprimer sur des enjeux spécifiquement européens...
_________________________________
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire