mardi 27 mars 2018

DRH

Silence, on licencie
                              Ressources humaines en question.
     On se souvient du film de Laurent Cantet qui mettait en évidence au coeur d'une entreprise les ravages de l'idéologie managériale telle qu'elle s'est installée dans les grands groupes industriels surtout depuis les années 1980, dans le contexte de la financiarisation progressive des entreprises soumises à la loi de la mondialisation, d'une concurrence exacerbée, de rachats de secteurs de production dans l'intérêt privilégié des actionnaires grands et petits.    (*)
      Hier, ce sont les pratiques inavouables des grands groupes qui sont dénoncées par un ancien DRH, à partir de son expérience personnelle.
   L'auteur met en avant le caractère inhumain de certaines gestions du personnel (comme on disait autrefois), à seule fin de procéder à une sélection le plus souvent éliminatoire, où le dégraissage prime sur le reste, dans une logique qui est souvent, paradoxalement, loin de l'intérêt bien compris de l'entreprise. "Certaines méthodes deviennent même contre-productives, telles que la sous-notation forcée, qui établit un quota de personnes à licencier, même si c’est dommageable pour la bonne marche de l’entreprise. Il faut immoler pour contenter le dieu Chiffre. Cette pratique, le forced ranking, venue des États-Unis, a été condamnée par la justice en France en 2013. Illégale, elle est donc inavouable, mais reste encore pratiquée, permettant notamment départs volontaires et gains de compétitivité.
  Didier Bille lâche le morceau et avoue avoir licencié plus de 1.000 salariés, décrivant un véritable délitement du lien social en entreprise, reflet ce qui se passe dans nos sociétés. Les hommes ne sont plus au centre du système.
   Il sont devenus des ressources . Au terme usuel de « ressources humaines », relativement impersonnel, on revient aux sources de ce qui constitue l’individu, en suggérant que l’on ne gère pas des « ressources humaines » (interchangeables, par nature), mais des « hommes », des êtres uniques dotés chacun d’attentes, d’aspirations, de leur personnalité propre et de leurs qualités intrinsèques, qui attendent d’être valorisées et de trouver leur place et leur plein épanouissement au sein de la structure d’accueil."
       Une  folle dérive, qui ne vise que le quantifiable, au sein d'une logique souvent arbitraire et inhumaine.
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     (*)    Une gestion barbare mais à visage humain. "... Ressources humaines constitue une illustration parfaite de quelques ouvrages récents dénonçant les dégâts de l'idéologie managériale, à l'oeuvre depuis le début des années 80. Le sociologue Jean-Pierre Le Goff parle ainsi de «barbarie douce» (1). «La barbarie telle qu'on l'entend aujourd'hui implique une violence et une cruauté qui s'appliquent à des régimes totalitaires et dictatoriaux. Celle qui sévit dans notre société apparaît aux antipodes. Elle ne laisse guère apparaître les signes d'une agressivité première, n'agit pas par la contrainte externe et la domination. ["] L'"autonomie, la "transparence et la "convivialité sont ses thèmes de prédilection. Elle s'adresse à chacun en ayant de cesse de rechercher sa participation, et ceux qui la pratiquent affichent souvent une bonne volonté et un sourire désarmants.» Résultat: «l'entreprise individualisée», comme la nomme Jean-Pierre Le Goff, est peuplée d'employés parfaitement «autonomes», qui, parce qu'ils sont «consultés», «responsabilisés» pensent que ce qui est bon pour l'entreprise est bon pour eux. Le Goff rend responsable de cet état de fait «la gauche moderniste» issue de 1968 qui, en réhabilitant l'entreprise et en stimulant les valeurs d'autonomie, de créativité, bref des «ressources humaines», a accru (à son insu?) la violence molle et le brouillage des cartes. Le jeune héros du film incarne en cela un digne héritier désarmé des doctrines du business cool. Il met en oeuvre une consultation, donc il croit bien faire, mais celle-ci révèle plus tard qu'elle cache un plan de licenciement.
     Cette rupture du «contrat social» (et moral) le fait basculer dans la défiance. Le «miroir aux alouettes» entrepreneurial qu'on lui avait tendu pendant si longtemps (son père en premier) se révèle une belle entourloupe. Les sociologues Luc Boltanski et Eve Chiapello en développent certains aspects dans le Nouvel esprit du capitalisme . «Les situations de travail en entreprise aujourd'hui sont de fait particulièrement susceptibles de faire l'objet d'accusation de "manipulation, expliquent-ils. En effet, si le management consiste toujours à "faire faire quelque chose à quelqu'un, la manipulation et le soupçon de manipulation se développent quand il devient difficile de recourir aux formes classiques de commandement, consistant à donner des ordres ["] Or, les vingt dernières années ont plutôt été marquées par l'affaiblissement des ordres conventionnels et des relations hiérarchiques ["] Dans un tel contexte, on est amené à substituer au commandement hiérarchique dans le plus grand nombre de cas possibles des pratiques visant à amener les gens à "faire d'eux-mêmes, et comme sous l'effet d'une décision volontaire et autonome, ce qu'on désire "leur voir faire.»
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