lundi 11 juin 2018

Drôle de citoyen

Au hasard des lectures
                                       On fait parfois des rencontres inattendues.
          Sans sortir de chez soi.
    Certaines livres laissent des impressions mitigées, même salués par les jurys et la presse
          D'autres laissent une empreinte plus forte, mais peu durable.
  Pourquoi me suis-je mis à lire Sylvain Tesson? Un peu par hasard et sans conviction initiale. Par curiosité aussi, à partir d'un document télévisé qui m'a mis la puce à l'oreille sur cet auteur réputé singulier, atypique, qui parlait d'aventures, mais avec un talent rare.
      J'ai commencé le récit de son séjour solitaire dans la forêt sibérienne et je ne l'ai plus quitté.    J'allais de découvertes en découvertes.
    Quelle claque! Quel talent! Des trésors à chaque page. Une imagination littéraire débordante. Un style rare. Des formules lapidaires, un souffle unique, des images loin des lieux communs. Et pourtant le récit de six mois de solitude choisie en Sibérie n'invitait pas a priori à la lecture de passionnantes expériences.
    Comment qualifier cet auteur, difficilement classable, qui écrit avec ses passions, un peu folles parfois, loin de ses origines conventionnelles et bourgeoises parisiennes, à contre-courant de l'enracinement conservateur paternel.? Ce déraciné volontaire, qui tient de Rousseau et de Nietzsche., qui se cherche frénétiquement, jusque dans les expériences les plus improbables, parfois les plus dangereuses. Qui nous réveille dans nos médiocrités ordinaires, comme un exilé de la vie programmée..
   Un voyageur? Mais un itinérant bien particulier depuis sa jeunesse. Une soif inextinguible de fuir la routine, en quête de nouveaux horizons, loin des villes, du bruit, d'une civilisation souvent honnie.
Pour se trouver et éprouver fortement ce que l'on ignore sans le savoir ou qu l'on ne voit plus, sous le poids de habitudes acquises. Une sorte de plongée dans le Tao fondateur, aux sources vitales.
    Une quête inlassable de soi, loin du bruit, presque monacale, mais celle d'un moine laïque, qui ne se séparait jamais, au cours se son séjour de six mois a bord du lac, de Defoe, de Sénèque, de Rousseau et de quelques autres.
   Une sorte d'aventurier philosophe aux yeux grands ouverts sur le monde, attentif au moindre détail, à l'imperceptible même, qui ne sépare jamais son expérience personnelle, son vécu propre, de son expérience locale et cosmique, en bon géographe de formation, prêt à prendre tous les risques, même les plus fous, se mettant en danger parfois mais trouvant dans l'expérience des limites une joie profonde et, dans les échecs, de stimulants rebondissements.
    Toujours dans une autodérision rare; dans cette passion de vivre, parfois aux limites du raisonnable, toujours prêt à aventurer sa vie.
   Jusqu'à l'accident qui aurait pu lui être fatal, qui lui a donné une sale gueule , dont il se moque lui-même. On ne fait pas impunément le mariole, même si l'on peut "réparer les vivants".
   Les confessions de Sylvain solitaire prennent le lecteur aux tripes, bien plus que celle de Jean-Jacques dans la paisible forêt d'Erménonvile. Les paysages qu'il traverse ou les lieux où il choisit de séjourner sont d'une nature moins accueillante.
       Le défi et la jubilation. Le pur bonheur d'exister décrit sans lassitude.
   Après sa chute accidentelle, l'alpiniste, miraculé d'une chute de dix mètres, écrit:
« Ces trois mois de repos, de sobriété, de silence, d’examen de moi-même ont été bénéfiques. Ma vie était un carnaval endiablé et légèrement suicidaire, il était bon de ralentir un peu les chaudières intérieures, de descendre du train. Je conserve une paralysie de la face qui me donne un air de lieutenant prussien de 1870. J’ai aussi perdu l’ouïe à l’oreille droite mais, étant partisan du silence, que René Char appelait “l’étui de la vérité”, je ne m’en plains pas. Notre société est devenue hystérique et bruyante.
    Le Wanderer  en chute libre, adepte de «stégophilie», se remet de tous les maux, de toutes les solitudes. Celui que l'on a parfois appelé le Prince des chats, comme son ami Jean-Christophe Rufin, surmonte les épreuves choisies ou subies, dans une résilience dont le secret est dans sa force intérieure et inextinguible, renforcée par ses nombreuses lectures philosophiques. Sénèque est son ami.
    Difficile d'être plus bavard sur ce zygoto qui sait être taiseux, mais plume à la main, comme dans les Forêts de Sibérie, dont le silence bruissait de présences.
     Comme le dit Sylvain, ...Les arbres nous enseignent une forme de pudeur et de savoir-vivre. Ils poussent vers la lumière en prenant soin de s'éviter, de ne pas se toucher, et leurs frondaisons se découpent dans le ciel sans jamais pénétrer dans la frondaison voisine. Les arbres, en somme, sont très bien élevés, ils tiennent leurs distances. Ils sont généreux aussi. La forêt est un organisme total, composé de milliers d'individus. Chacun est appelé à naître, à vivre, à mourir, à se décomposer - à assurer aux générations suivantes un terreau de croissance supérieur à celui sur lequel il avait poussé. Chaque arbre reçoit et transmet. Entre les deux, il se maintient. La forêt ressemble à ce que devrait être une culture. 
    Vivre fortement, mais aussi s'abandonner à vivre. La volonté et l'abandon: La tension est permanente. Une dialectique qui est un ressort. Même dans la vie de cabane, loin de tout et de tous, au bord du lac BaIkal, qui n'avait rien des paisibles rivages du lac du Bourget de Jean-Jacques:
 ...La fuite est le nom que les gens ensablés dans les fondrières de l'habitude donnent à l'élan vital. Un jeu? Comment appeler autrement la mise en scène d'une réclusion volontaire devant le plus beau lac du monde? Une urgence? Assurément ! Je rêvais d'une existence resserrée autour de quelques besoins vitaux. Il est si difficile de vivre la simplicité...
                        La liberté, ce vertige...

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