Bien malin celui qui peut aujourd'hui se prononcer, tant la situation est encore provisoire, instable, mouvante, imprévisible.
Certes, la tendance dominante est eurosceptique et nettement à droite, cela est sûr, et opposée à une politique d'immigration jusqu'ici jugée généreuse, sinon laxiste, le pays étant, sans aides suffisantes, aux premières loges des arrivées africaines.
Après les incertitudes des débuts, la question de la souveraineté nationale est au coeur des débats et nul ne peut prédire comment réagira l'opinion après les premières mesures, si elles convergent réellement, au sein d'une coalition si hétéroclite.
La manière la plus appropriée au niveau européen n'est certainement pas celle qui vient d'Outre-Rhin. Il est caricatural et contre-productif de mettre au banc des accusés le peuple italien, comme le font certains organismes allemands, après la Grèce, avec menaces à l'appui: ""La troïka (FMI, Banque centrale européenne et Commission européenne devrait marcher sur Rome et prendre le contrôle du ministère des Finances". A l'heure où d'inquiétantes similitudes sont parfois constatées entre membres de la Ligue et fascistes italiens, les amateurs d'Histoire apprécieront le parallèle avec la marche sur Rome conduite en 1922 par Mussolini et ses chemises brunes afin d'intimider les démocrates italiens...
...La racine du problème, c'est que les Allemands ont une réaction morale et religieuse et non pratique. Guillaume Duval ajoute qu'en Allemagne la dureté à l'égard de l'Italie s'étend à l'ensemble de l'Europe du sud: "Les Allemands n'ont jamais accepté que les pays d'Europe du sud soient présents dans la zone euro".
Ces réactions inquiétantes ne peuvent que renforcer les tendances les plus dures dans le monde politique transalpin.
Ce qui est sûr, c'est que l’Union européenne est devenue un problème en Italie:
...Le plus probable est que les deux formations politiques en question biaisent sur cette question de l’euro et des finances publiques. Pour donner le change, elles vont vraisemblablement durcir davantage encore leur position et leurs exigences sur la question migratoire, notamment en proposant que l’État de droit et les libertés constitutionnelles ne régissent plus le droit des personnes étrangères et des personnes migrantes. Une Italie gouvernée par des souverainistes populistes est assurément un risque pour l’UEM. Elle déclenchera plus sûrement encore une européanisation de la xénophobie d’État.Dans la phase qui s’ouvre, les deux formations antisystème accédant au pouvoir chercheront à utiliser les capacités politiques et institutionnelles de l’UE pour fonder un nationalisme européen. Cette politique suscitera beaucoup moins d’opposition des autres États membres que sur l’euro, quand ce n’est pas de l’adhésion....
Mais rien n'est sûr et il ne faut surtout pas souffler sur les braises. La crise de la zone ne peut se résoudre que dans la négociation ou la renégociation des contraintes rigides des traités et du carcan de l'euro surévalué, qui ne profite vraiment qu'à l'Allemagne.
L'Europe ira-t-elle vers une salutaire remise en question, comme on pourrait l'espérer, ou son agonie semble-t-elle programmée?
En tous cas, les réactions à chaud ne poussent pas à l'optimisme;
... Le commissaire européen au Budget, Günther Oettinger qui a avait déclaré «Les marchés vont apprendre aux Italiens à bien voter» dans une interview à la radio publique allemande Deutsche Welle. (*) On a aussi eu Markus Ferber, député au Bundestag de la CSU, le parti allié à Mme Merkel, qui déclarait quant à lui que la « Troïka » (de sinistre mémoire en Grèce) devrait sans doute envahir l’Italie et prendre le contrôle du Trésor italien. Bref, entre les apôtres d’une tyrannie des marchés et les nostalgiques de l’opération Alaric (la prise de contrôle par les armées du IIIème Reich de l’Italie en septembre 1943), Emmanuel Macron est en bonne compagnie."......L’impossibilité pour l’Italie de déprécier sa monnaie par rapport à l’Allemagne et aux pays de l’Europe du Nord, les fluctuations erratiques de l’Euro par rapport au Dollar des Etats-Unis, qui ont conduit à une surévaluation évidente de l’Euro, tout cela a eu un effet très délétère sur la croissance de l’Italie. Les investissements[7] sont tombés en dessous de leur volume de 1994-1996 et sont, aujourd’hui, à un niveau proche de l’Espagne...
..."Au mal-être social généré par des décennies de politiques d’austérité et par une décennie de crise aux conséquences dévastatrices en Italie, se sont ajoutées les peurs du futur nourries par le martellement de la propagande quasi apocalyptique sur la robotisation et le chômage, sur la politique protectionniste du président Donald Trump, qui veut remettre les Etats-Unis sur le toit du monde. Face à de si sombres perspectives, la Lega et le M5S ont pu se présenter comme les seuls partis capables de donner des assurances institutionnelles quant à l’intervention de l’Etat, en faveur des salarié·e·s, qu’ils soient du privé ou du public, des précaires ou des démuni·e·s. La Lega, avec «les Italiens d’abord », le M5S avec «le revenu minimum de citoyenneté». En outre, les deux partis, avec leur discours anti-Union européenne (en ce qui concerne le M5S, il s’agit davantage d’un souvenir du passé qu’autre chose) et, à certains égards, «anti-mondialisation», ont su toucher d’importantes couches d’artisans, de commerçants, de petits et moyens industriels. Ce discours a été payant, parmi ces secteurs sociaux, du fait de l’invasion croissante de l’e-commerce, des entreprises low cost, des super-pouvoirs des transnationales basées à l’étranger qui impartissent les conditions contractuelles aux entreprises italiennes de moindre importance, des sanctions imposées à la Russie, douloureuses pour de nombreuses entreprises du Nord, etc. Chacun à sa façon, Lega et M5S se sont donné les atours des défenseurs les plus actifs de l’intérêt national, justement là où le PD et Forza Italia sont apparus comme ayant bradé les intérêts nationaux aux capitaux globaux, pour leurs stricts intérêts de boutique.
Le vent «national-populiste» était alors prêt à souffler sur l’Italie. D’autant plus que le pays a une structure sociale favorable à ce genre de glissement. Non seulement ses couches moyennes, modestes accumulatrices de capital, sont anormalement nombreuses, constituant jusqu’à 25% de sa force de travail (en Allemagne il s’agit tout au plus de 10%), mais en outre cette idéologie a de robustes traditions politiques auxquelles se raccrocher...
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- (*) Faire confiance aux marchés?
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- (*) Faire confiance aux marchés?
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