samedi 20 avril 2019

Autant en parler

OTAN:
                Plus que jamais, la question est posée aujourd'hui, surtout dans le nouveau contexte international, après le Kosovo, la Libye...
                                    Comment s'en désengager?
      Point de vue:

« Je ne veux pas d’une Europe qui soit juste une zone de libre-échange attachée à l’OTAN… » (Ségolène Royal). Qu’est-ce que l’OTAN ? L’OTAN est une des expressions de l’atlantisme. Qu’est-ce que l’atlantisme ? L’atlantisme est le courant politique conceptualisé au début de la guerre froide qui prône une alliance militaire centrée sur les États adjacents à l’océan Atlantique Nord et, par extension, entre l’Europe et l’Amérique du Nord (spécialement les États-Unis et le Canada). Cette alliance s’accompagne d’une coopération dans les domaines politiques, économiques et culturels. Ce courant politique donne pour objectifs à cette alliance d’assurer la sécurité des pays membres et de protéger les valeurs qui les unissent : la démocratie, les libertés individuelles, et l’État de droit (rule of law)1. Un retour en arrière s’impose pour mieux appréhender cette problématique de l’OTAN, de l’atlantisme et d’une éventuelle défense européenne, sorte de serpent de mer.
           4 Avril 1949, création de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN ou NATO sous son acronyme en langue anglaise)2. 4 avril 2019, soixante-dix après, qu’est devenue cette institution internationale ? Le résultat est mitigé, en demi-teinte. Le moins que l’on puisse dire est que le cœur n’y est plus tant ses évolutions intervenues depuis la fin de la Guerre froide, soit trente ans après, soulèvent de multiples questions importantes que pose Donald Trump3. Si tôt posées, si tôt évacuées tant elles mettent en cause les dogmes intangibles d’une église dont les fondations se fissurent. Un simple sommet des ministres des Affaires étrangères pour célébrer l’évènement4. Rappelons la genèse de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord en 1949 avant de nous souvenir du tournant de la fin de la Guerre froide en 1989 qui voit la renaissance de l’Alliance atlantique pour conclure sur les interrogations légitimes au sujet de la pertinence et de la pérennité de la structure en 2019 (« toujours vitale » pour certains, « en finir avec l’OTAN » ou « lui accorder sa retraite », pour d’autres) !
Comment définir simplement l’Alliance atlantique créée en 1949 pour protéger les démocraties occidentales européennes et le Canada d’une menace de déstabilisation par l’ours soviétique et ses satellites ? Pour être un outil de sécurité, l’OTAN n’en demeure pas moins un instrument d’asservissement.
Reportons-nous à la situation de l’Europe en 1945 et aux accords de Yalta ! Avec la fin de la Seconde Guerre mondiale et la défaite de l’Allemagne nazie en mai 1945, la suspicion grandit entre les alliés du temps de la guerre. L’entrisme de Moscou à l’est inquiète à l’ouest. En mars 1946, l’ambassadeur des États-Unis à Moscou, George Kennan incite Washington à contenir (« containment ») l’expansion de la Russie avec vigilance et fermeté. Winston Churchill parle de « rideau de fer descendu à travers le continent de Stettin à Trieste ». Staline l’accuse de « calomnie ». En 1947, « l’année terrible » est marquée par l’entrée dans la « guerre froide » (Walter Lippmann), l’approfondissement des failles idéologiques entre Moscou et Washington. Deux Europe s’affirment sous la tutelle des deux Grands. En 1948, on assiste au « coup de Prague », au blocage des secteurs occidentaux de Berlin. L’antagonisme est-ouest constitue alors l’élément fondamental structurant l’ordre international de l’après-guerre.
A l’ouest, la réaction s’organise. Britanniques et Français concluent un traité d’alliance et d’assistance mutuelle le 4 mars 1947 à Dunkerque. Il s’élargit aux trois pays du Benelux (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg) qui créent « l’Union occidentale » à Bruxelles le 17 mars 1948. Ce traité comporte un engagement d’assistance automatique en cas d’agression. Mais comment convertir la défense européenne en défense occidentale ? Des négociations se tiennent d’abord entre anglo-saxons, élargies par la suite à plusieurs autres États entre les deux rives de l’Atlantique. Elles débouchent finalement par la signature du traité de l’Atlantique nord le 4 avril 1949 à Washington. Ses parties sont les cinq États du traité de Bruxelles auxquels se joignent le Canada, le Danemark, les États-Unis, l’Islande, l’Italie, la Norvège et le Portugal. Ce sont donc douze États qui forment l’avant-garde de la défense occidentale face à l’URSS5.
À l’est, la riposte s’organise. Le pacte de Varsovie est une ancienne alliance militaire groupant les pays d’Europe de l’Est avec l’URSS dans un vaste ensemble économique, politique et militaire.
Il est conclu le 14 mai 1955 entre la plupart des pays communistes du bloc soviétique par un traité d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle. Nikita Khrouchtchev, qui en fut l’artisan, l’avait conçu dans le cadre de la guerre froide comme un contrepoids à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) qui avait vu le jour en avril 1949. La principale raison ayant motivé la formation du pacte de Varsovie, selon l’exposé des motifs, fut l’adhésion de la République fédérale d’Allemagne « en voie de remilitarisation » au traité de l’Atlantique nord au moment de la ratification des accords de Paris le 9 mai 1955. Le pacte de Varsovie est dissout en juillet 19916.
Sur le plan de l’étymologie : le terme d’atlantisme est un dérivé d’atlantique, concept contenu dans l’appellation de l’« Organisation du traité de l’Atlantique Nord » (OTAN sous son acronyme français et NATO en anglais). Le mot atlantique est issu du grec atlantikos, Atlantique. Il est un dérivé d’Atlas, du nom d’une chaîne de montagnes situées en Afrique du Nord. L’adjectif "atlantique" qualifie ce qui concerne l’Océan atlantique et les pays riverains.
L’atlantisme désigne une politique extérieure caractérisée par le soutien apporté aux Etats-Unis, notamment dans le cadre de l’OTAN. Conceptualisé au début de la Guerre froide, l’atlantisme prône une étroite coopération entre les Etats-Unis, le Canada et les pays européens dans les domaines politique, militaire, économique et culturel. L’objectif avoué consiste, en principe, à assurer la sécurité des pays membres de l’OTAN (clause de solidarité de l’article 5 qui veut qu’une attaque contre l’un de ses membres est considérée comme une attaque contre tous) et de protéger les valeurs qui les unissent : démocratie, libertés individuelles et Etat de droit.
L’atlantisme désigne aussi l’attitude politique, l’opinion, la doctrine de ceux qui font du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) la base de leur action extérieure et qui, au nom de ces principes, s’alignent de manière plus ou moins systématique, idéologique sur la politique extérieure des Etats-Unis qu’elle soit entièrement justifiée ou totalement infondée, ce qui arrive parfois7.
C’est que l’Amérique, le pays à la destinée manifeste, n’est pas une nation sentimentale. Accorder une assurance tout-risque à ses alliés comporte un prix, un prix fort que ces derniers doivent acquitter sous peine d’excommunication. Sur le plan politique, d’abord, cela signifie un alignement inconditionnel sur toutes les positions diplomatiques américaines, y compris les plus critiquables. On se souvient des foucades du général de Gaulle contre l’impérialisme américain (Cf. le discours de Phnom Penh de 1966 au cours duquel il critique l’intervention américaine au Vietnam) et de sa volonté de ne pas adhérer automatiquement à la politique étrangère de Washington. Sur le plan économique et commercial, ensuite, cela signifie se plier au primat du dollar comme monnaie d’échange et aux règles de droit américain sur le commerce international. Sur le plan militaire, enfin, cela signifie faire sienne, d’endosser la doctrine du Pentagone en matière d’interventions extérieures (Afghanistan, Irak, Syrie…) et surtout acheter exclusivement du matériel américain au nom du sacro-saint principe de l’interopérabilité. L’Amérique, c’est aussi « Buy American First ».
    Quarante ans après sa création, l’OTAN est confrontée à un défi qu’elle n’avait pas envisagé, la disparition de l’ennemi (l’URSS et du Pacte de Varsovie) qui en était sa principale justification et de la menace (nucléaire et conventionnelle) qui pesait sur ses membres.
   Que faire logiquement lorsque l’ennemi (le méchant ours russe) disparait ainsi que l’organisation qui lui servait de bras armé (le Pacte de Varsovie). Telle est la question de nature existentielle qui est posée à l’Amérique et à ses alliés fin 1989 et durant toute l’année 1990 ? Alors que certains prévoyaient sa fin, nous assistons à une sorte de renaissance de l’OTAN.
    Chargée de protéger les pays occidentaux face à la menace du bloc soviétique, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) n’aurait-elle pas dû naturellement disparaître avec la fin de la Guerre froide, l’effondrement de l’URSS et la dissolution du Pacte de Varsovie (1991) ? Et cela d’autant plus que, dès avant la fin des années 1980, les « ennemis » avaient décidé de se lancer dans une politique de détente entre l’Est et l’Ouest, entre les deux Allemagnes. N’allait-on pas enfin substituer au vieux système d’alliances celui de la sécurité collective, fondement de la Charte de l’ONU ?8 Les prémisses d’un tel système n’existaient-elles pas avec les différents accords conclus durant la Guerre froide : accord d’Helsinki, document sur les mesures de confiance et de sécurité, traité sur les forces classiques en Europe, traité ciel ouvert, accords américano-soviétiques (SALT, START, ABM…) ? Les internationalistes se plaisent alors à le croire.
     La fin de la Guerre froide ne signifie-t-elle pas à terme la solution de tous les conflits, y compris les conflits menés par procuration par les deux Grands ? Ne rend-elle pas l’OTAN obsolète, décalée par rapport au monde de paix et de sécurité qui se dessinait après 1989, « année de toutes les ruptures » ? L’ONU ne va-t-elle pas enfin jouer son rôle de pourvoyeuse de stabilité par la mise en place d’une diplomatie préventive des conflits potentiels ? « L’Agenda pour la paix » adoptée en 1992 à New York par l’institution new yorkaise ne préfigure-t-il pas une sorte de paix universelle et perpétuelle chère à Emmanuel Kant ? Tel est le rêve secret que l’on caresse à Paris. François Mitterrand envisage la mise en place d’une « confédération européenne » excluant les États-Unis et le Canada, laissant aux Européens le monopole de leur avenir (1989) ayant pour conséquence la fin de la « Sainte-Alliance » (Cf. sa diatribe lors du sommet de l’OTAN à Rome, 1991). En vain !
Malheureusement, l’Histoire est tout autre. Au lieu d’une logique d’effacement, l’OTAN va petit à petit renaître de ses cendres, Washington a quelques idées sur la question après avoir été un temps dépassé. Désormais qualifiée d’ «Alliance unique », elle subit une triple transformation sans modification de son traité constitutif : élargissement à ses anciens adversaires sans pour autant en définir les limites géographiques ; modification de sa doctrine d’emploi pour une meilleure prise en compte des nouvelles menaces et mue en bras séculier de l’ONU, de l’OSCE, voire de l’Union européenne qui ne parvient pas toujours à mettre sur pied une défense européenne autonome en dépit de l’absorption de l’UEO (Union de l’Europe occidentale). La fin de la Guerre froide s’accompagne de la multiplication des guerres concrètes, réelles. L’éclatement de l’ex-Yougoslavie lui fournit une première occasion de désigner un nouvel ennemi9.
     La guerre du Kosovo, contre la Serbie de Slobodan Milosevic, est lancée au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Elle crée un précédent sur la possibilité d’attaquer sans aval de l’ONU un pays ne constituant pas une menace pour la sécurité des membres de l’OTAN. A cette époque, Moscou fait part de son opposition à cette manière de procéder avertissant que ce précédent sera utilisé par la Russie le moment venu (ce sera parole tenue). Cette première intervention est suivie d’une seconde, hors du continent européen (qualifiée en son temps de hors-zone), par l’attaque de l’Afghanistan conduite au titre de la « guerre contre le terrorisme » après les attentats du 11 septembre 2001. Ainsi, l’Alliance atlantique place les armées de ses pays membres en ordre de bataille10. Devenue le gendarme du monde, l’OTAN prête main-forte à la coalition internationale chargée de renverser le guide libyen au titre de sa contribution aux « printemps arabes ». Elle guerroie également au Proche et au Moyen-Orient avec les succès que l’on sait…
     Soixante-dix ans après sa création que faire de cet enfant légitime de la (première) Guerre froide alors que le monde a changé, que de nouveaux acteurs ont fait leur apparition sur la scène internationale et que certains évoquent une « Guerre froide, deuxième version »12, à quoi sert l’OTAN ? Œuvre-t-elle pour le renforcement de la paix et de la sécurité internationales et donc pour le bien des peuples ou pour les seuls intérêts bien compris des États-Unis et de son puissant lobby militaro-industriel ?
      L’OTAN (faux-nez de Washington) s’intronise gendarme du monde à la maladie duquel elle contribue grandement. Elle pousse à l’effacement de l’Europe, à l’alignement de la France. Tel est le bref bilan que l’on peut dresser d’une organisation alors qu’un nouveau siècle commence.
     « Nous allons vous rendre le pire des services, nous allons vous priver d’ennemi ! » prédit Alexandre Arbatov, conseiller diplomatique de Mikhaïl Gorbatchev en 1989. C’est panique à bord à l’OTAN au début des années 1990. Il faut se trouver un nouvel ennemi13 pour justifier de son existence. C’est d’abord l’ex-Yougoslavie, ensuite le terrorisme après les attentats du 11 septembre 2001 et, par un bégaiement de l’histoire, de nouveau la Russie depuis les crises géorgienne (2008) et ukrainienne (2014). A Washington, on méprise de plus en plus les Nations unies et le multilatéralisme qu’elles représentent. On préfère déporter les problèmes de New York vers Evere, les alliés y étant réduits au rôle de faire-valoir des États-Unis. Tout ce beau monde est mû par une double force : une inertie phénoménale qui pousse au statu quo et un panurgisme qui pousse à la servitude volontaire. « On vous demande la quadrature du cercle : trouver une solution militaire à une crise politique »14. Il y a un déficit de lucidité sur les risques inhérents aux solutions préconisées par Washington et entérinées par ses alliés en dépit des déconvenues régulières. Le discours politique devient synonyme de mensonge.
     Le sommet des chefs d’État et de gouvernement de Varsovie (8- 9 juillet 2016) est marqué par des décisions qui ne sont ni rassurantes, ni de nature à créer de la confiance et de la sécurité entre l’Occident et la Russie15 : exercice de 2000 soldats en Pologne pour tester les nouvelles capacités de réaction de l’OTAN dans un pays voisin de la Russie dans le cadre d’une opération militaire d’entraînement comme il n’en avait pas été élaboré depuis 1989 et la fin du système communiste ; déploiement de quatre bataillons d’ici 2017 en Pologne et dans les pays baltes16 ; activation d’un nouveau site de défense antimissile en Roumanie qui devrait être suivi par un autre en Pologne (« initiative de réassurance européenne » lancée en juin 2014 par Barack Obama) ; protocole d’accession d’un 29ème État membre, le Monténégro qui aura le statut d’observateur (réunion des ministres des Affaires étrangères des 19 et 20 mai 2016) : étude des candidatures de la Bosnie, de la Géorgie17 et de la Macédoine ; dissuasion ; adaptation aux nouvelles menaces…
     Malgré la reprise annoncée des activités du conseil OTAN/Russie ou COR (13 juillet 2016), ce sommet est frappé au sceau de la « menace russe » et sur la nécessaire « fermeté » de l’Alliance (Barack Obama). Pour se démarquer, François Hollande déclare au quotidien Le Monde que la Russie n’est « ni un adversaire, ni une menace ». Comprenne qui pourra ! Aujourd’hui, certains insistent sur la « nécessité de relancer le conseil OTAN/Russie »18
     Force est de constater qu’à Washington, on ne sait pas reconnaître ses échecs. « Les États-Unis sont en partie responsables de la multiplication de leurs propres ennemis »19. Aujourd’hui, rien ne menace son pouvoir, sinon son propre hubris. Or, les Vingt-Huit (les Vingt-Sept bientôt ?) sont incapables de mettre sur pied une politique de sécurité et de défense, faute de s’entendre sur une vision commune alors même que la défense de l’Europe, c’est l’affaire des Européens. Ces derniers sont « drogués à l’hégémonie américaine, préféreraient une grande Suisse à une Europe puissance »20. Notre réintégration de la structure militaire intégrée n’a en rien changé les choses. Pourquoi dupliquer les missions de l’OTAN à l’Union européenne, nous rétorquent nos partenaires ? La PESD n’est qu’une coquille vide qui satisfait la grande majorité d’entre eux. La défense de l’Europe se pense, se fait à Evere et non au Berlaymont, plus encore après le « Brexit » et en dépit de la déclaration commune OTAN/UE adoptée à Varsovie. De l’UEO qui devait préfigurer une défense européenne robuste, il ne reste qu’un vague souvenir. Les traités de Maastricht et de Lisbonne se bornent à la réaffirmation de principes sans la moindre consistance. En masquant des intentions différentes, ils font au moins autant partie du problème que de sa solution.
       L’explosion de sa première bombe nucléaire (1960), la fin de la guerre d’Algérie (1962), le remboursement de ses dernières créances conduisent le général de Gaulle à s’émanciper de la tutelle pesante des États-Unis en quittant la structure militaire intégrée de l’OTAN en 1966. Cette distance vis-à-vis de Washington vaut à la France un capital de sympathie inestimable dans le Tiers-Monde. Ceci va évoluer : « Si tu y pensais un peu plus souvent, tu ne ferais pas tout le temps des propositions idiotes »21. Jacques Chirac amorce un mouvement de rapprochement avec l’Alliance : réintégration du comité militaire, tentative de retour dans certains commandements du flanc sud sans passer la ligne rouge. Nicolas Sarkozy s’enorgueillit de retrouver la « famille occidentale » en rejoignant en 2009 la structure militaire intégrée quittée en 1966 pour démontrer son indépendance face à Washington22. Indépendance par rapport à « l’hybris, la folie des grandeurs, une ignorance condescendante du monde extérieur : ‘The West and the Rest’, dit-on outre-Atlantique »23. Le rapport Védrine ne remet pas en cause ce retour qui s’accompagne de l’émergence d’un courant néo-conservateur au Quai d’Orsay diffusant au sein des plus hauts cercles de l’État24. Manifestement, le plus jeune président de la Cinquième République, Emmanuel Macron s’agite beaucoup (il brandit les mots de défense européenne, d’armée européenne…) mais ne parvient pas pour l’instant à emporter les suffrages de ses partenaires européens, qui ne pensent que NATO pour leur sécurité. Son opération de charme auprès de Donald Trump tourne court25. L’Allemagne ne succombe pas aux sirènes jupitériennes.
    Quel constat peut-on dresser en 2019 sur l’OTAN, sur son fonctionnement, sa pertinence ? Si l’OTAN n’est pas aussi solide que ses thuriféraires le prétendent, c’est bien parce qu’elle est bâtie sur de nombreux malentendus, sous-entendus que le temps et Donald Trump mettent à nus.
  « Historiquement, on n’a jamais vu une alliance survivre longtemps à la disparition des causes qui l’ont créée »26. Au stade où nous sommes parvenus, le temps n’est plus à la diplomatie déclaratoire aussi inutile qu’inefficace. Tel un médecin, le diplomate se doit d’abord de porter le diagnostic pertinent sur le malade NATO (le temps du constat objectif) avant de lancer le temps du remède approprié (le temps de la réflexion sans tabou)27.
      Un sérieux doute sur son efficacité. Tous les théâtres d’opération extérieurs de l’OTAN présentent la même caractéristique : une bataille gagnée, une guerre perdue. Aucun n’échappe à la règle : Afghanistan (presque vingt ans après les avoir chassé d’Afghanistan dans la foulée des attentats du 11 septembre 2011, Donald Trump négocie dans le dos des alliés le retour des Talibans) ; Irak (le pays n’a toujours pas retrouvé la paix après la ballade de la coalition en 2003 effectuée sans l’aval du Conseil de sécurité de l’ONU et cela en dépit de la victoire annoncée sur l’EIIL le 22 mars 2019 par Donald Trump) ; Libye (presqu’une décennie après l’intervention prétendument humanitaire de l’Alliance atlantique, le pays et la zone sahelo-sahérienne ne sont toujours pas remis de ce tsunami atlantiste et de la folie de Nicolas Sarkozy particulièrement bien inspiré par le philosophe-diplomate BHL) ; Syrie ( en voulant chasser Bachar Al-Assad, la coalition l’a conforté comme elle a contribué à un renforcement de la présence russe et iranienne dans le pays et chez ses voisins ici aussi en dépit de la défaite de Daesh sur le terrain28)… Veut-on/peut-on tirer les leçons qui s’imposent de cette chronique de défaites annoncées ? Veut-on se souvenir que toutes les alliances sont mortelles ? Nous n’en avons pas l’impression.
      Un sérieux doute sur sa pérennité. Depuis, l’arrivée à la Maison-Blanche de Donald Trump29, les alliés de Washington semblent avoir découvert, qu’un jour ou l’autre, les États-Unis pourraient, au mieux, revoir la nature de leur engagement à leur égard (en particulier l’automaticité de la mise en œuvre de la clause de solidarité prévue à l’article 5 du traité de Washington), au pire décréter que soixante-dix ans, ça suffit et qu’ils ont mieux à faire qu’à assurer la sécurité en Europe surtout lorsque cette dernière ne prend pas suffisamment sa part du fardeau financier. En un mot, l’assurance tout-risque a un coût. Au cours des dernières semaines, la ministre des Armées, Florence Parly a mis les pieds dans le plat lors d’une visite au Grand Frère. Elle déclare le 18 mars 2019 lors d’une visite à Washington que l’Europe s’inquiétait de la pérennité de l’engagement des Etats-Unis dans l’OTAN et a implicitement critiqué l’attitude de Donald Trump vis-à-vis de l’Alliance atlantique. « Ce qui préoccupe les Européens est de savoir si l’engagement des Etats-Unis est pérenne », souligne Florence Parly, avant de rencontrer le même jour son homologue américain, le secrétaire d’Etat à la Défense Patrick Shanahan. Nous avions soulevé la question incongrue à l’été 201830. D’autres, plus experts, se la posent sans ambages aujourd’hui alors que règne dans notre pays un silence assourdissant sur le sujet. Il y a urgence à ouvrir ce débat interdit à l’occasion des élections européennes du 26 mai prochain.31.
      Le dispositif militaire en Irak et en Syrie est évoqué lors de cet entretien. Donald Trump réclame régulièrement, depuis son accession au pouvoir en janvier 2017, davantage d’efforts financiers de la part des autres pays membres de l’Alliance et promeut sans relâche les armes et équipements militaires américains. Il exige que les pays membres consacrent 2% de leur produit intérieur brut à leurs dépenses militaires, faute de quoi il menace de retirer les Etats-Unis de l’OTAN. « L’alliance ne devrait pas être soumise à des conditions, sinon ce n’est pas une alliance », a estimé lundi Florence Parly. « La clause de solidarité de l’OTAN est baptisée Article 5 et non article F-35 », a-t-elle ironisé, par allusion à l’avion de combat américain fabriqué par Lockheed-Martin. Les Etats-Unis ne devraient pas considérer comme un geste hostile, ni comme un prétexte pour se désengager, la volonté des Européens d’être plus autonomes sur le plan militaire, estime Florence Parly. En novembre dernier, Donald Trump avait jugé « très insultant » que son homologue français Emmanuel Macron ait proposé la création d’une armée européenne pour que l’Union puisse se protéger de potentiels adversaires32. Au pays de la statue de la Liberté, on n’apprécie pas trop que le dogme de la prééminence américaine sur le plan militaire soit remis en cause par les officiants européens. Le message est particulièrement clair et particulièrement bien ciselé en théorie. Mais, une fois encore, la question est de savoir si tout ceci n’est que bonne parole ou si cela peut déboucher sur une réflexion, et qui sait le moment venu, sur des décisions fortes ? Alors que le 45ème président américain contraint les Européens à s’interroger sur l’essence même de leur projet, ces derniers vont-ils, une bonne fois pour toutes, s’interroger sur l’avenir de la relation transatlantique ainsi que, question connexe, sur l’avenir de la défense européenne ? Quelques mots s’imposent sur la farce de Washington.
         L’avenir de la relation transatlantique. Une fois de plus, les Européens devraient accepter de débattre de questions qui les embarrassent, et cela, le plus rapidement possible pour éviter de se trouver, un jour prochain, devant la politique du fait accompli, grand classique de Washington à l’égard de ses alliés, de ses vassaux. Dans quels buts, l’OTAN créée pour faire face à la menace des États communistes, URSS en tête, n’a pas été dissoute à la disparition de leur pacte de Varsovie ? Quels sont les intérêts de toutes natures qui poussent les États-Unis à remettre sur la table la question du partage de la charge financière de l’Alliance ? Rappelons que dans le cadre de la présentation du rapport annuel sur les dépenses de Défense des membres de l’Alliance, « l’Allemagne a été appelée par le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg à respecter son engagement d’augmenter ses dépenses de Défense », rapporte l’AFP. Alors que ces dépenses à 1,23 % du PIB sont « demeurées inchangées en 2018 », certains qualifient Berlin de « mauvais élève de l’OTAN ». Jens Stoltenberg affirme que « les risques que fait courir Huawei à la sécurité des futurs réseaux de communications mobiles de cinquième génération doivent être pris au sérieux ». En effet, « les Alliés, américains et européens s’inquiètent des négociations avec le groupe chinois pour le déploiement de la 5G, notamment en Allemagne ». On constate que, derrière des intérêts sécuritaires, se dissimulent souvent des intérêts encore plus importants, de nature commerciale, à savoir la compétition entre Pékin et Washington. Pourquoi, les Européens sont-ils dans l’incapacité structurelle d’organiser leur défense de manière indépendante alors que « l’Alliance atlantique court aujourd’hui un risque mortel » ?33 Les Européens veulent-ils ou se poser les questions existentielles sur l’avenir de la relation transatlantique ?34 En dernière analyse, revient de manière récurrente une question lancinante : ce qui est bon pour l’OTAN est-il bon pour l’Europe ?35
        L’avenir de la défense européenne36. Manifestement, les Européens restent encore, pour une durée indéterminée, sous tutelle de l’Oncle Sam et cela d’autant plus qu’ils sont divisés sur la meilleure façon de garantir la sécurité du continent. Les ministres de la Défense se réunissent régulièrement et collectivement à Evere pour pratiquer la liturgie otanienne et vont individuellement faire leurs dévotions au Pentagone (comme vient de le faire la ministre des Armées, Florence Parly). Cela ne changera pas encore de sitôt malgré les grandes annonces successives de l’Union européenne empêtrée dans les méandres d’un « Brexit » fluctuant37 : coopération structurée permanente (CSP), Fonds européen de défense, Initiative européenne d’intervention… Au mieux, le « soft », c’est pour l’Europe, le « hard », c’est pour les Américains. Car, au-delà de la conception théorique de la défense, un problème plus technique mais plus politique se pose à travers le concept d’interopérabilité. Pour être plus efficaces, parlons la même langue (l’anglais), achetons les mêmes matériels et les mêmes munitions (américaines), adoptons les mêmes manières de conduire la guerre (à l’américaine38) avec les succès que l’on sait… Le Pentagone n’a aucune raison de voir les choses évoluer dans le sens d’une plus grande intégration militaire européenne au risque de perdre tous ses avantages industriels et ils sont nombreux. La volonté européenne – si tant est qu’elle existe – se heurte à la réalité d’une Alliance dominatrice qui étend sa toile jusqu’aux confins russes. Au mieux, les États-Unis consentiraient à la mise en place d’une annexe européenne de l’OTAN (le fameux pilier européen qui n’a jamais existé) baptisée « défense européenne » pour tromper le gogo et augmenter la note payée par l’Union européenne (revendication chère à Donald Trump)39. On comprend mieux pourquoi l’idée d’une « armée européenne » chère à Emmanuel Macron relève à ce stade de la chimère ou de l’utopie pure. L’idéal serait de dissoudre l’OTAN pour sauver l’Europe40. Et surtout de savoir ce que nous attendons véritablement d’une Europe de la défense41.
       La farce de Washington. Le sommet de l’OTAN de Washington au niveau des ministres des Affaires étrangères (3-4 avril 2019) est un pur exercice de diplomatie déclaratoire sans lendemain. Le discours du secrétaire général de l’Alliance atlantique, le norvégien Jens Stoltenberg devant le Congrès frise le ridicule. Il met en garde contre la menace que fait peser sur l’Alliance une « Russie plus affirmée » sur la scène internationale ». Toujours la même rhétorique consistant à désigner un ennemi pour resserrer les rangs de la mauvaise troupe. Et d’ajouter : « L’OTAN n’a aucune intention de déployer des missiles nucléaires terrestres en Europe. Mais elle prendra toujours les mesures nécessaires pour fournir une dissuasion crédible et efficace ». Un exercice d’autosatisfaction ne peut pas faire de mal. Et notre servile courtisan de se présenter l’OTAN comme « l’alliance la plus efficace de l’Histoire ». Rien de moins… « L’OTAN a été bénéfique pour l’Europe, mais aussi pour les Etats-Unis », a-t-il insisté. Le dirigeant norvégien s’était entretenu le 2 avril 2019 avec le président américain, qui lui a dit que ses coups de pression sur les Alliés, à commencer par l’Allemagne, les avaient conduits à augmenter leur contribution financière. « Depuis mon arrivée à la présidence, cela a décollé en flèche », lui a-t-il notamment déclaré. « Nous avons récupéré 140 milliards de dollars en investissement supplémentaire, et il semble que nous aurons au moins 100 milliards de dollars de dépenses en plus par les pays (…) d’ici 2020 ». Réclamé de longue date par Washington, ce rééquilibrage de l’effort de défense entre alliés de l’OTAN a pris une nouvelle dimension depuis son arrivée à la Maison blanche. Pour sa part, Mike Pence, le vice-président américain, a une nouvelle fois ciblé l’Allemagne, critiquant la décision de Berlin de soutenir la construction du gazoduc Nord Stream 2. « Nous ne pouvons garantir la défense de l’Ouest si nos alliés se rendent dépendants de la Russie », a-t-il déclaré42. Russie accusée de s’ingérer dans les processus électoraux en Occident43. C’est pourquoi l’OTAN est contrainte, à son corps défendant, de durcir sa posture vis-à-vis de la Russie44. La Russie, toujours l’ennemi russe. Encore, une carabistouille atlantiste. Quant au secrétaire d’État, Mike Pompeo, il appelle ses alliés de l’OTAN à s’adapter aux nouvelles formes de menaces à travers le monde, pour faire face notamment aux ambitions de la Russie, à la concurrence stratégique de la Chine, à la menace iranienne et aux migrations incontrôlées. Certains en appellent l’Allemagne à plus contribuer au budget de l’Alliance et à trop faire preuve d’attentisme sur les sujets stratégiques45. D’autres stigmatisent l’attitude de la Turquie qui s’apprête à acquérir des missiles de fabrication russe46. En un mot, tout va très bien madame la marquise du côté d’Evere « for ever ».
     Même si ce n’est pas la fin du monde, nous approchons de la fin d’un monde. À l’instar d’autres institutions internationales qu’elles soient universelles ou régionales, l’OTAN ou organisation sur l’insécurité et la coercition, sorte de nouveau gendarme du monde libre, commence à vaciller sur ses fondements sous les coups de boutoir répétés du 45ème président des États-Unis. On s’y querelle sur des chiffres en lieu et place de s’interroger sur sa pertinence réelle en ce début de XXIe siècle. La machine otanienne tourne à vide. Plus elle s’élargit en nombre, plus elle se dégonfle en substance ! Mais, les atlantistes et autres néo-conservateurs continuent de la vénérer tel le Saint Chrême. Quoi de mieux que de la célébrer à échéances régulières pour faire oublier aux croyants dubitatifs la remise en cause des évangiles américaines repris par les idiots utiles européens ! L’absence de grand-messe au niveau des chefs d’État et de gouvernement pour les cérémonies du 70ème anniversaire de sa création (Washington, 3-4 avril 2019) traduit à l’évidence un malaise certain sur le devenir de cette organisation, héritage de la Guerre froide.
    Manifestement, les Européens sont indécrottables lorsqu’il s’agit de l’OTAN47. Ils pratiquent à la perfection la politique de l’autruche. La perle revient à Florence Parly, précitée qui déclare, sans trembler et avec la plus grande piété, lors de son dernier voyage de dévotion à Washington : « Une Europe forte n’est pas synonyme d’un lien transatlantique distendu ». Bravo, Miss OTAN ! Toute brillante énarque que vous êtes, vous n’avez toujours pas compris la différence entre être allié et être aligné. Vous seriez bien inspirée de relire quelques excellents discours du général de Gaulle et l’éternel Discours de la servitude volontaire d’Etienne de La Boétie en lieu et place des notes que vous préparent vos brillants conseillers néo-cons. Quant à notre stratège de « Breton madré » du Quai des Brumes présent à cette grand-messe atlantiste, on peine à comprendre sa pensée tant elle brille par le flou, par le brouillard marin. (Guillaume Berlat)

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