L'Allemagne inquiète...puis rassure. Pour un temps.
Les mouvements anti-confinements et anti-restictions se répètent, la droite se divise, l'extrême-droite tente de jouer sa partition, la chancelière était réticente à toute aide partagée en ces périodes d'exception et de menaces économiques qui s'annoncent, mettant en péril les économies européennes et le fragile édifice de ce qui n'est pas encore une unité politique, mais un libre marché sous le règne d'un euro fragilisé.
Après une phase de dé-solidarité renforcée à propos des coronabonds, il semblerait qu'on assiste à un nouveau départ, une certaine prise de conscience berlinoise de l'urgence de l'union renforcée et de l'aide mutuelle, même si elle n'est pas à la hauteur des enjeux, même si l'aval de tous les pays n'est pas encore acquis.
« Nous devons agir en Européens pour que l’Europe sorte renforcée par cette crise », a avancé Angela Merkel pour justifier le glissement de la position allemande. Voilà un ton nouveau, qui contraste avec les rigidités précédentes, l'orthodoxie économique imposée, l'ordolibéralisme officiel, les avis de Karlsruhe. Le renforcement européen dont elle parle est en fait un égoïsme bien compris. Que seraient la surproduction allemande sans débouchés assurés, sans partenaires solvables
L'ancien chancelier E. Schmidt parlait "... d’une Allemagne dont la puissance économique inquiète les autres Européens. Or, cette puissance, souligna-t-il, n’aurait pas été possible sans le plan Marshall, sans la communauté européenne, sans l’OTAN, « sans l’aide de nos voisins ni sans l’effondrement du bloc de l’Est ». Cette « solidarité reçue », l’Allemagne en était donc redevable, lorsque à leur tour, ses « voisins » frapperaient à la porte de la solidarité. Ce chancelier qui, par dérision, conseillait aux hommes politiques se vantant d’avoir une vision d’aller voir un médecin, pouvait évidemment se montrer visionnaire lui-même : l’Allemagne, résuma-t-il ce jour-là, « a besoin de l’intégration européenne – ne serait-ce que pour nous protéger de nous-mêmes ».
L’arrêt de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe contestant la prééminence du droit de l’Union, le 5 mai, semble avoir servi de choc, en favorisant un repositionnement européen de la chancelière.
Au milieu des turbulences et des oppositions ouvertes ou masquées, rien n'est encore joué, quand la menace plane sur la monnaie unique, dans la montée des pulsions souverainistes ou de retrait d'un certain muticulturalisme.
Merkel reprend à son compte, contre Karlsruhe, les paroles J. Delors: "Il faut une union politique, une union monétaire ne suffira pas. " C'est un peur tard, mais dans l'urgence, il est plutôt rassurant que la chancelière s'engage vers plus de solidarité, d'union concertée, même si le fédéralisme est encore de l'ordre de la chimère. Mais le temps presse et les défis à court terme sont gigantesques .. L'ordolibéralisme d'outre-Rhin risque de poursuivre encore longtemps.son cours
____".....Sur le plan juridique (tout d’abord), dans la mesure où la Cour allemande se dresse contre la Cour de justice de l’Union, qui avait jugé légal, en 2018, le «quantitative easing» de la Banque centrale européenne, l’arrêt pose la question de la primauté du droit communautaire sur les droits nationaux. Le principe de primauté est ancien, il a été posé par la Cour de justice de l’UE dans un célèbre arrêt de 1964, Costa c/Enel. Sans doute les États membres ne se rendaient-ils pas compte à l’époque de la portée de cette jurisprudence car aucun n’a protesté. Mais cette portée est immense.
La CJUE écrit notamment qu’«à la différence des traités internationaux ordinaires, le traité CEE a institué un ordre juridique propre intégré au système juridique des États membres». Elle énonce ensuite que l’engagement européen des États entraîne pour eux «une limitation définitive de leurs droits souverains contre laquelle ne saurait prévaloir un acte unilatéral ultérieur». En somme, la Cour sort le droit communautaire de la catégorie «droit international» et invente un ordre juridique nouveau, intégré aux ordres juridiques nationaux. Elle le place au sommet de leur hiérarchie des normes et affirme qu’aucun acte de droit interne - même ultérieur - ne doit le contredire. Ce faisant, elle fait du droit communautaire une sorte de droit «quasi constitutionnel». Les juristes parlent d’ailleurs de «constitutionalisation des traités européens».
Il est important de connaître la genèse de la primauté du droit communautaire et de savoir que c’est la Cour de Luxembourg qui en posé le principe. À vrai dire, lorsqu’on nous a fait voter sur le projet de Traité constitutionnel européen (TCE) en 2005, la «quasi-constitution» était déjà là. Cela dit, le principe de primauté ne vaut que si les juridictions nationales y consentent. C’est-à-dire si elles acceptent, lorsqu’elles jugent de quelque chose, de l’appliquer strictement. En France, ça a pris du temps. La Cour de cassation ne s’y est mise qu’en 1975 (avec l’arrêt société des cafés Jacques Vabre), et le Conseil d’État en 1989 (arrêt Nicolo).
Puisqu’on parle du TCE, il faut maintenant parler de son clone, le traité de Lisbonne, et de la manière dont il a été reçu en Allemagne. Sa réception éclaire en effet beaucoup l’arrêt du 5 mai. Même s’il y a un raidissement évident aujourd’hui, la Cour de Karlsruhe avait déjà exprimé que la primauté du droit communautaire n’était pas absolue pour elle. En 2009, les juges de Karlsruhe étudient le traité de Lisbonne pour vérifier sa compatibilité avec la loi fondamentale allemande. Ils rendent alors un arrêt magistral, l’arrêt «Lisbonne», sorte de longue réflexion philosophique sur ce que sont un peuple, un État, sur ce qu’est la souveraineté. Ils rappellent que même si elle en a certaines caractéristiques, l’UE n’est pas un État fédéral mais une organisation internationale. Ils insistent sur le fait qu’il n’existe aucun peuple européen comme source de légitimité, et préviennent que la fédéralisation ne peut pas se faire «en douce» mais qu’un «saut fédéral» ne peut intervenir qu’à la suite d’une décision explicite du peuple allemand de s’autodissoudre dans plus grand.
Concernant la primauté du droit communautaire, qu’une annexe au traité de Lisbonne prévoit de consacrer, la Cour de Karlsruhe prévient que «la République fédérale d’Allemagne ne reconnaît pas une primauté absolue d’application du droit de l’Union» et que cette primauté s’arrête là où commence «l’identité constitutionnelle» des États. Elle se réserve donc le droit d’écarter parfois l’application du droit européen («il n’est pas contradictoire avec l’objectif d’ouverture à l’égard du droit européen, c’est-à-dire à la participation de la République fédérale d’Allemagne dans la réalisation d’une Europe unie (...) qu’à titre exceptionnel et sous certaines conditions strictes, la Cour constitutionnelle fédérale puisse déclarer inapplicable le droit de l’Union européenne en Allemagne») et de s’opposer s’il le faut à la CJUE ( «La Cour constitutionnelle fédérale ne peut, toutefois, reconnaître le caractère définitif des décisions de la Cour de justice «qu’en principe».» ).
Oui, et c’est ce qu’elle a fait le 5 mai en estimant que la jurisprudence de la CJUE sur l’action de la BCE ne la liait pas. Indépendamment du contenu de ce jugement et des mots très durs qu’il contient (les juges allemands qualifient l’arrêt de la CJUE d’«incompréhensible» et d’ «arbitraire», ce qui est d’une violence rarissime), il faut donc replacer ce conflit de légitimité dans le contexte de cette «guerre du dernier mot» entre juridictions qu’a longuement étudiée Alain Supiot. Car ce sont bien deux légitimités qui s’affrontent. Celle du Tribunal constitutionnel allemand d’une part, né des dispositions de la loi fondamentale allemande qui le créent et fixent ses attributions. Celle de la CJUE d’autre part, qui s’est en quelque sorte arrogée sa propre compétence de surplomb, puisque c’est elle-même qui a décidé de la primauté du droit européen et que, ce faisant, elle s’est auto-instituée - par une simple jurisprudence - en Cour suprême...."(Coralie Delame Figarovox)
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