Ceux que l'on s'obstine à opposer du côté de Tel Aviv ou ailleurs ont et ont eu une histoire plus commue qu'on ne le croit, si l'on se donne la peine de remonter une peu dans le temps et de sortir de certains mythes et des conflits nés sur les ruines de l'empire ottoman et les ambitions d'un sionisme expansionniste.
« Ce n’est pas un peuple en errance qui a traversé les mers mais une idée, animée d’une puissante dynamique missionnaire : le monothéisme, développe-t-il. C’est dans les bagages des Phéniciens que le judaïsme a gagné Carthage, avant d’être adopté par des tribus berbères et de s’étendre dans l’arrière-pays. Résistant à l’expansion chrétienne puis à celle de l’islam, ces Maghrébins juifs ont contribué à une authentique civilisation judéo-musulmane partageant une langue, une culture et même un substrat religieux. »
Selon les circonstances, il y eut de l’inimitié, de la cordialité ou de l’indifférence entre juifs et musulmans, et pas nécessairement pour des raisons religieuses. Mais leur histoire profonde est commune : au Maghreb, ce sont les mêmes populations. En disant cela, j’ai l’impression de révéler un secret de Polichinelle.
La grande différence par rapport à l’Europe et à la chrétienté, c’est que le monde musulman ne s’est pas dogmatiquement constitué par opposition au judaïsme. À sa naissance dans la péninsule Arabique, l’islam s’était distingué du judaïsme sur le plan des pratiques, c’est-à-dire sur un plan formel. C’était d’autant plus important que les dogmes sont proches, donc il fallait au moins que les rituels soient distincts, tout en étant reliés l’un à l’autre : l’islam a simplifié les règles alimentaires juives, tout en en conservant l’essentiel, la prière s’est orientée vers La Mecque et non plus vers Jérusalem, l’usage du vin a été proscrit dans le rituel, la période de jeûne a été allongée.
L’islam, au fond, c’est la continuité du judaïsme. Et c’est notamment le retour d’un prosélytisme que le judaïsme avait progressivement abandonné, tout en demeurant une alternative au christianisme trinitaire. Le christianisme s’est, quant à lui, construit sur la base d’un peuple juif déicide. Pour toutes ces raisons, on ne trouve pas dans l’histoire longue du Maghreb une hostilité aux juifs aussi violente et rancunière que celle qui a fermenté dans la chrétienté.
Pour le dire de manière synthétique, les juifs d’Afrique du Nord sont, pour l’essentiel et exactement au même titre que les musulmans d’Afrique du Nord, des Berbères arabisés ayant adopté un monothéisme : le judaïsme pour les uns, l’islam pour les autres. Il faut ajouter qu’il y eut des va-et-vient entre les deux. Autrement dit, les juifs africains ne sont pas issus de populations extérieures ayant migré depuis la Judée, singulièrement après la destruction du temple de Jérusalem par Titus en l’an 70, pas plus que ceux d’Europe d’ailleurs. Aucune source n’atteste un tel exil, matériellement peu vraisemblable. ...."
_______Cette étude rejoint largement celles d' l'historien israëlien Shlomo Sand, entre autres, et les récentes recherches d'autres historiens, qui montrent combien les histoires ont été mêlées:
Arte a diffusé il y a peu une émission très intéressante sur un sujet généralement peu abordé, parce que mal connu par le grand public, qui est pourtant une toile de fond de certains problèmes aigüs toujours présents au Moyen-Orient. Remonter aux origines permet bien souvent d'éclairer et de relativiser les problèmes d'aujourd'hui.
Une plongée assez méconnue et troublante dans l'histoire longtemps commune des communautés arabes et juives depuis le 7° siècle, d'abord dans la péninsule arabique puis une grande partie du bassin méditerranéen jusqu'au milieu du 20° siècle.
Un document qui coïncide avec la sortie d'un important ouvrage collectif sur l' Histoire des relations entre Juifs et Musulmans, un livre à plusieurs voix, pas toujours forcément convergentes sur tout, qui va " à l’histoire réelle, tout en ne lâchant pas les mythes qui ont influencé les comportements."
L'histoire y est rendue dans sa complexité et son dynamisme. On comprend mieux l'intrication des deux cultures et des destins, des relations parfois apaisées, parfois conflictuelles.
L'objectif des auteurs est ambitieux: "A l'heure où les conflits perdurent au Moyen-Orient, que les relations se durcissent entre communautés, tout porterait à croire, pour des esprits myopes historiquement, que l'animosité entre Musulmans et Juifs existerait depuis les origines, comme entre des extrêmes. Les tensions actuelles observables ici et là, faussent notre jugement et trouble notre vision d'un passé, où les deux religions se sont fécondées mutuellement et culturellement pendant des siècles et ont coexisté plus ou moins harmonieusement dans diverses parties du bassin méditerranéen..."
____Les auteurs parlent d' ennemis intimes pour désigner l'ambivalence de ces relations à travers les siècles. Quatorze siècles d'histoire commune tout de même, pendant lesquels les influences réciproqques furent multiples...
Aujourd'hui, tout est brouillé, surtout depuis la montée des nationalismes européens puis arabes, suite à la dissolution de l'empire ottoman, les nouvelles formes d'antisémitisme en Europe, exportées dans le bassin méditerranéen, la gestation du sionisme depuis T.Herzl et sa concrétisation tragique en 1947, par l' expulsion des Palestiniens.
[Tous les juifs ne sont pas sionistes (certains en refusent encore l'idée et ses funestes conséquences) et tous les arabes ne sont pas musulmans, comme tous les musulmans ne sont pas arabes et il y a des arabes chrétiens et athées et des juifs incroyants... La réalité est moins simple que les schémas simplistes qui circulent.]
Le recul historique permet de comprendre un peu mieux la complexité et les tension repérables encore en partie aujourd'hui
Si loin, si proche.... A-t-on affaire à ce que Freud appelait le paradoxe des petites différences? Ce serait trop simple...
A la naissance de Mahomet, en 570, «on pouvait trouver des juifs dans toutes les sphères de la société arabe, nous apprend le chercheur américain Gordon D. Newby, ils étaient marchands, nomades, fermiers, poètes, artisans et guerriers. Ils vivaient dans des forteresses, en ville, ou sous la tente, dans le désert. Ils parlaient l'arabe classique, le judéo-arabe et l'araméen...»
Que l'islam soit né dans un milieu largement irrigué de judaïsme, aucun texte islamique des origines ne le nie. Le premier rédacteur de la vie de Mahomet, Ibn Ishaq, qui écrit sa biographie, la Sira, un siècle après la mort du prophète de l'islam, a même interviewé les juifs quittant Médine pour la Terre sainte au fur et à mesure que les musulmans acquéraient les terres des non-musulmans. Que le Coran reflète une ambivalence vis-à-vis des juifs - de la reprise admirative de leur héritage à la détestation et aux massacres des tribus -, c'est tout aussi indéniable. Mahomet a observé et étudié les juifs, puis tenté de les gagner à lui en reprenant clairement la plupart de leurs rituels et légendes : la prière vers Jérusalem (abolie après la rupture), les interdits culinaires, les jeûnes, les prophètes, la saga biblique..."
Les échanges culturels furent très nombreux et très riches, malgré les tensions, perceptibles dès le début. Tensions d'abord peu marquées, parfois plus manifestes, jusqu'aux ruptures parfois brutales [1]
Les Juifs sont d'abord des arabes comme les autres
_____ Hier, la coexistence relativement harmonieuse des Juifs de très ancienne implantation et des Palestiniens était bien visible à Jaffa, avant que la discorde ne s'installe, pour les raisons que l'on sait.
Mais l'israëlisation à marche forcée et la résurgence des mythes, notamment celui de l'exil, les dérives de la militarisation et de la colonisation, qui ont exacerbé des formes d'islamisme intransigeant, ont contribué à créer un fossé, une déchirure, les extrêmes s'attisant, au coeur même du monde juif et de la société israëlienne, dont on voit mal comment elle pourrait être réparée dans un avenir proche. Rompre l'engrenage paraît de plus en plus difficile. Hébron en est le témoin tragique.
_____Espérons que ces documents, à approfondir, contribueront à raviver les mémoires d'un côté comme de l'autre...pour retrouver le meilleur d'un passé, qui n'est pas tout à fait passé.
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