Il y a loin de la parole aux actes
Les intérêts financiers et politiques conjugués viennent contrecarrer les belles annonces officielles. Non il n'y en aura pas pour tout le monde. Et pourtant les exigences sont partout les mêmes de par le monde et les intérêts sont croisés: nous sommes de fait solidaires dans l'épidémie, c'est de l'ordre de l'intérêt bien compris. Beaucoup on signalé la nécessité de revoir la logique des brevets qui font obstacles à une solidarité nécessaire dans ces occasions exceptionnelles. Les intérêts privés devraient passer au second rang et les égoïsmes politiques s'effacer. Il y a de fait une vraie géopolitique du vaccin. Certains élus réclament la levée des brevets sur les vaccins, qui devrait être un bien commun. Malgré les critiques. Mieux vaudrait réguler la course au profits à laquelle se livrent les grands groupes pharmaceutiques et retrouver une souveraineté dans ce domaine comme dans d'autres.. Des stratégies peu cohérentes. Une sorte de hold up à l'échelle planétaire, une arme diplomatique, parfois.. En Afrique comme ailleurs. Une course de vitesse. Les risques sont énormes.
E.Macron le disait lui-même: «... Serons-nous prêts, lorsqu’un premier vaccin [contre le Covid-19] sera mis sur le marché, à en garantir l’accès à l’échelle planétaire et à éviter à tout prix le scénario d’un monde “à deux vitesses”, où seuls les plus riches pourraient se protéger du virus et reprendre une vie normale..." et " Le 18 janvier 2021, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), M. Tedros Adhanom Ghebreyesus, dressait ce constat accablant : « Plus de trente-neuf millions de doses de vaccin ont maintenant été administrées dans au moins quarante-neuf pays à revenu élevé. Seulement vingt-cinq doses ont été administrées dans un des pays aux revenus les plus faibles. Pas vingt-cinq millions ; pas vingt-cinq mille ; seulement vingt-cinq. » Il évoquait la probabilité d’un « échec moral catastrophique ». (*) _____On se souvient du déluge de bonnes intentions formulées lors du confinement du printemps 2020. Dans la société généreusement refondée qui allait suivre, les vaccins devraient être des « biens publics mondiaux ».... Pourtant, à l’initiative de l’OMS, deux instruments avaient été mis en place pour traduire dans les faits cet élan de solidarité internationale. Tout d’abord, le mécanisme Covax, censé permettre le « groupement des achats pour les vaccins contre le Covid-19 afin de garantir à cent quatre-vingt-dix pays et territoires un accès juste et équitable aux vaccins ». Un contrat de quarante millions de doses de vaccin (à ARN messager) avec l’américain Pfizer (allié à la start-up allemande BioNTech) a été signé, puis un autre avec AstraZeneca (allié à l’université d’Oxford) pour cent vingt millions d’unités supplémentaires. L’objectif affiché était très ambitieux : fournir deux milliards de doses d’ici à la fin 2021. Second mécanisme : le pool d’accès à la technologie de la vaccination contre le Covid-19, ou C-TAP (acronyme de Covid-19 Technology Access Pool), qui aurait dû garantir le partage de la propriété intellectuelle, des connaissances et du savoir-faire nécessaires pour produire des vaccins à grande échelle, y compris dans les pays en développement. Las, le C-TAP est, à cette heure, une coquille vide, tandis que le mécanisme Covax connaît des difficultés à décoller, au point que l’OMS évoque désormais l’échéance 2022, voire 2024… Prisonniers de leurs déclarations publiques, les États et l’Union européenne manient le double discours. Dans les faits, la realpolitik l’a emporté, au profit des multinationales du médicament. Malgré la grande opacité qui entoure les « accords d’achat anticipés », des éléments édifiants ont fuité. Et l’on s’aperçoit une fois de plus que s’applique la loi d’airain du capitalisme néolibéral : la socialisation des pertes et la privatisation des profits. Les laboratoires ont été subventionnés à coups de milliards d’euros par les États et la Commission européenne — qui a versé plus de 2 milliards pendant la mise au point des vaccins — pour la recherche et le développement puis la production massive des doses, limitant de facto les risques des entreprises. Pourtant, ces dernières conservent la haute main sur les brevets, négocient âprement les prix avec les États et restreignent les dons et les reventes éventuels aux pays en développement. Selon la secrétaire d’État au budget belge, Mme Eva de Bleeker, les tarifs négociés par Bruxelles iraient de 1,78 euro pour AstraZeneca à 10 euros pour CureVac et 14,68 euros pour Moderna. Les clauses de livraison apparaissent des plus flexibles, ce qui a laissé la Commission européenne dans le plus complet désarroi lorsque AstraZeneca l’a informée, en janvier, qu’il ne pourrait fournir le nombre de doses prévues (quatre-vingts millions) dans les délais fixés (le premier trimestre 2021). Il en a résulté un début de crise politique avec le Royaume-Uni, qui voulait garder les doses produites, avant qu’un compromis ne soit trouvé sur la moitié du contrat. Enfin, la responsabilité juridique des entreprises est restreinte au minimum en cas de survenue d’effets secondaires graves, qui seraient assumés là encore par les États signataires. Il serait injuste de n’accuser que les multinationales qui parviennent à imposer des contrats aussi manifestement déséquilibrés. Selon le New York Times, la très officielle Banque européenne d’investissement a accordé un prêt de 100 millions de dollars à BioNTech, qu’elle a conditionné à un prélèvement sur les profits de 25 millions de dollars (3), comme s’il était logique de faire des profits sur les vaccins ! À ces contrats invraisemblables s’ajoute un affrontement géopolitique entre les nations pour le développement, la fabrication et l’accès aux précieux vaccins : la Chine et les États-Unis, bien sûr, mais également la Russie — qui vient d’obtenir une victoire stratégique, la reconnaissance de son vaccin Spoutnik V étant en bonne voie —, l’Allemagne, Israël et le Royaume-Uni. Malgré un départ laborieux et plusieurs cafouillages, Londres a su organiser une campagne de vaccination dynamique, mettant à mal l’argument d’une Union européenne protectrice avancé lors du laborieux et conflictuel Brexit. Dès le mois de mai 2020, le gouvernement de M. Boris Johnson avait créé une Vaccine Taskforce pour développer la recherche, la production et la stratégie vaccinales, nouant par exemple un partenariat avec la société française Valneva pour la production, en Écosse, d’un nouveau vaccin. Aux antipodes de la lenteur et de la passivité françaises, en somme. Au 4 février, le Royaume-Uni avait administré au moins une dose de vaccin à 16,2 % de sa population, contre 4 % en Espagne, 3,9 % en Italie, 3,6 % en Allemagne et… 2,7 % en France. Non seulement celle-ci est à la traîne dans ce concert des puissances, mais les centres de vaccination ont été montés dans la précipitation, en janvier 2021, sous la pression médiatique, et reposent sur les épaules de soignants débordés et épuisés. Pis, contre toute logique, le gouvernement continue à fermer des lits d’hôpital. Sanofi ayant échoué dans la course au « vaccin national », sa participation et celle d’entreprises françaises comme Delpharm ou Recipharm à certaines tâches de sous-traitance (mise en flacons, conditionnement...) a démarré, là encore, avec retard, en février. Dans ce contexte tendu, on comprend que les populations des pays en développement ne soient plus une priorité. Les sociétés pharmaceutiques étant crispées sur leurs brevets, les mécanismes C-TAP et Covax ne fonctionnent pas : 13 % de la population mondiale, vivant dans les pays riches, a précommandé 51 % des doses, selon Oxfam. Et à l’intérieur même de l’Union européenne, les premières livraisons ont révélé des inégalités flagrantes : l’Italie a reçu 9 750 doses, la France 19 500 et l’Allemagne 151 125 (4). Même ramenés à la population respective de ces pays, ces écarts demeurent inexplicables et semblent suggérer que certains sont plus égaux que d’autres. L’Allemagne, de surcroît, négocie de gré à gré pour se procurer des doses supplémentaires, en dépit de son adhésion au mécanisme d’achat conjoint de vaccins par la Commission . Garantir l’« égalité de la valeur des vies » entre le Nord et le Sud, entre les pays du Nord et à l’intérieur de chaque pays, impliquerait de revoir de fond en comble les règles du marché pharmaceutique. La crise actuelle fournit d’ailleurs un cas d’école des aberrations du modèle économique dominant appliqué à ce secteur. En effet, à la faveur du tournant des biotechnologies et de la génomique, les laboratoires externalisent de plus en plus le processus de recherche et développement (R & D) — et donc ses risques — vers des start-up bénéficiant souvent de fonds publics et adossées à des universités . C’est le cas de BioNTech et de Moderna. Or, en dépit de cette intrication croissante entre recherche fondamentale, fonds publics et secteur privé, les droits sur la propriété intellectuelle ne cessent de se renforcer. De surcroît, les fonds publics, par le biais des systèmes de santé, rendent solvable le marché pharmaceutique, qui fonctionne selon un mécanisme d’enchères : les multinationales mettent les pays en concurrence pour obtenir les prix voulus, quitte à concéder secrètement des remises en fonction du volume des ventes. Face à la prédation des ressources publiques et à la pénurie.." _______________________
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