Juste quelques notes.
Depuis la Libération, les classes moyennes modestes et ouvrières ont décru spectaculairement sur les bancs de l'Assemblée nationale et le présidentialisme renforcé a fini de lui conférer un rôle majeur, jusqu'à devenir parfois une simple chambre d'enregistrement. Ce n'est pas seulement une affaire de sociologie. Pas étonnant alors de constater d'années en années une indifférence croissante vis à vis de la chose politique et une participation aux élections en diminution constante. Lié à cela , un consumérisme galopant, un manque de formation civique manifeste et un déficit d'investissement public des élites, dans un système où la bipolarisation joue un rôle délétère. Pour ne pas parler de trahison des élites dans certains cas, au coeur d'institutions qui ne ne sont plus ajustés aux intérêts réels de la nation, d'un empiètement progressif des intérêts privés dans la chose publique.
"...Qui se rappelle encore le taux d'abstention aux élections législatives de 2017? Il mérite pourtant qu'on s'en souvienne: 51,3%, un niveau record. Et ce chiffre est particulièrement spectaculaire quand on le compare à celui de l'abstention aux élections présidentielles. Entre 1965 et 2017, l'abstention à l'élection présidentielle est passée de 15,2% à 21,3%, soit une augmentation de 6,1 points, tandis qu'aux élections législatives elle est passée de 18,9% à 51,3% soit une augmentation de 32,4 points entre 1967 et 2017 (tableau 1 ci-dessous). Quel est le problème spécifique que posent les élections législatives? De réforme en réforme, celles-ci sont devenues un appendice de l'élection-reine, la présidentielle: une élection de confirmation, une simple formalité. Le passage du septennat au quinquennat pour le mandat présidentiel, soit une durée équivalente au mandat législatif, et l'inversion du calendrier électoral qui place la présidentielle avant les législatives, ont vidé cette consultation de son autonomie politique. Les électeurs ont cessé progressivement de s'intéresser à ces élections parce qu'elles sont à ce point couplées à l'élection présidentielle qu'elles en sont devenues, aux yeux de nombre d'entre eux, une consultation inutile. Cette évolution est très inquiétante parce qu'elle contribue à affaiblir la démocratie représentative et les partis politiques qui en organisent le fonctionnement....Le scrutin majoritaire à deux tours avec un seuil de 12,5% des inscrits déforme de manière excessive la représentation des opinions. À défaut de modifier le mode de scrutin en instillant une dose de proportionnelle, il faudrait au moins modifier le seuil de 12,5%, dont les effets sont délétères. C'est une réforme simple, qui aura sans aucun doute l'assentiment de la plupart des formations politiques, et qui donnera aux Français le sentiment d'être un peu mieux représentés...." On ne s'étonnera pas d'une certaine désertion citoyenne dans un système devenu opaque et dont la dépendance par rapport à l'exécutif pose question. De Montesquieu ou de Rousseau, il reste encore beaucoup de principes simples à réinventer, contre la quasi-professionnalisation de la fonction politique, le domination des experts et l'affairisme délétère.. Pas seulement au niveau du discours. Repenser la démocratie est devenu une urgence. Elle est toujours en péril.
"J'ai toujours pensé que la démocratie dite représentative n'est pas une vraie démocratie. Ses représentants ne représentent que très peu les gens qui les élisent. D'abord, ils se représentent eux-mêmes ou représentent des intérêts particuliers, les lobbies, etc. Et, même si cela n'était pas le cas, dire : quelqu'un va me représenter pendant cinq ans de façon irrévocable, cela revient à dire que je me dévêts de ma souveraineté en tant que peuple. Rousseau le disait déjà : les Anglais croient qu'ils sont libres parce qu'ils élisent des représentants tous les cinq ans mais ils ne sont libres qu'un jour tous les cinq ans : le jour de l'élection. Et même cela n'est pas vrai : l'élection est pipée, non qu'on bourre les urnes, elle est pipée parce que les options sont définies d'avance. Personne n'a demandé au peuple sur quoi il veut voter. On lui dit : "votez pour ou contre Mastricht ", par exemple. Mais qui a fait Mastricht ? ce n'est pas nous. Il y a la merveilleuse phrase d'Aristote répondant à la question "qui est citoyen ? Est citoyen quelqu'un qui est capable de gouverner et d'être gouverné". Y a-t-il quarante millions de citoyens en France en ce moment ? Pourquoi ne seraient-ils pas capables de gouverner ? Parce que toute la vie politique vise préciséement à leur désapprendre à gouverner. Elle vise à les convaincre qu'il y a des experts auxquels il faut confier les affaires. Il y a donc une contre éducation politique. Alors les que gens devraient s'habituer a exercer toutes sortes de responsabilités et à prendre des initiatives, ils s'habituent à suivre des options que d'autres leur représentent ou à voter pour elles. Et comme les gens sont loin d'être idiots, le résultat, c'est qu'ils croient de moins en moins et qu'ils deviennent cyniques dans une sorte d'apathie politique." (Cornélius Castoriadis 1996) _____________
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