Géostratégie du gaz sur échiquier européen
A l'heure où les questions de l'énergie prennent un tour crucial, les bruits de bottes autour de Minsk nous rappellent nos dépendances et nos urgences. Sur fond de guerre froide mal refroidie et de ses séquelles géopolitiques. Le néo-tsar lorgne vers son son "pré carré" ou une partie des influences passées à la trappe depuis le fin de l'ex-Urss et tente de contrer toute influence atlantique à ses portes. Du moins c'est ce que l'on croit comprendre à travers le parcours de la diplomatie poutinienne, qui peut sembler erratique, tentant de jouer sur les divisions et les intérêts, en bon joueur d'échec.. Le gaz est à la manoeuvre, en arrière-plan. Beaucoup de bruit pour rien diront certains. Danger périlleux de glissements guerriers, malgré les mises en garde et les atermoiements, jugent certains. ___Gazprom inquiète. La géopolitique des tuyaux est la toile de fond des tensions actuelles et des divergences entre pays européens impliqués, l'Allemagne ayant tendance à temporiser, consciente de sa dépendance dans sa difficile transition énergétique. On se rappelle de la nomination de l'ancien Président Schröder à la tête du consortium russe.
L'Oncle Sam aux commandes de l'Otan, pourtant honni par Trump, tient à garder ses intérêts Outre-Atlantique, malgré ses dénis, et impose ses vues bien contradictoires et manichéens au coeur d'une UE sans politique étrangère commune. _______ Démonstration de force, sans aucun doute... La décision de Clinton d'élargir vers l'Est l'OTAN est à l'origine des problèmes récurrents du côté du Donbass, contrairement aux engagements de Bush père. Pure bêtise géopolitique. Evident aveuglement par intérêt mal compris et court-termisme lourd de conséquences. Comme l'Otan représente les intérêts de la puissance impériale, le projet d'étendre la zône d'influence de Washington débouche sur les tensions d'aujourd'hui, qui ne sont pas nouvelles. ___L'Oncle Sam avance ses gros sabots dans une situation compliquée, issue d'une histoire complexe. Ce qui va rendre toujours plus difficile tout compromis, toute tentative de normalisation. Le soutien militaire, avoué ou non, ne pourra qu'envenimer les choses, compromettre tout compromis futur. "Attitude provocatrice" osent certains. Il y a une ligne rouge à ne pas franchir. S'il n'y a pas à crier au loup, la situation peut évoluer avec une diplomatie adaptée et des visées moins rigides, comme en Iran ou dans d'autres conflits passés qui ont amené les ambitions de Washington vers un mur. Mais l'Europe vassale suit... C'est mettre de l''huile sur le feu. Comme on le disait il y a sept ans déjà, rien n'est joué à Kiev. Le temps semble suspendu, dans l'attente des élections du 25 mai, tandis que les initiatives continuent d'un côté comme de l'autre. J.Kerry défend l'idée d'un retrait de l'influence poutinienne sur le pays, tandis que la Russie souhaite un acheminement de l'Ukraine vers un fédéralisme, tout en prônant l'apaisement: « Nous partageons la nécessité de trouver des points d'accord pour arriver à un règlement diplomatique de cette crise »
Mais les braises couvent encore, même si le gouvernement provisoire fait enfin un peu le ménage.Pourtant, le parti neo-fasciste SVOBODA qui fit environ 10% de voix aux dernières élections y dispose de 6 ministres sur 19.
La réalité est plus complexe que ce qu'en disent nos medias de référence.
Confronter les points de vue sortant de la langue de bois mal informée est toujours utile. Sortir de la morale un peu courte et d'une histoire mal revisitée permet de prendre en compte des éléments de géopolitique qui nous échappent souvent.
Voici des avis qui ne coïncident pas toujours, mais qui révèlent quelques lignes de convergence.
Par exemple:
1) Celui de J.Attali, qui par ailleurs dit parfois des bêtises, a produit là-dessus un article intéressant et presque à contre courant de la bien-pensance:
"...Qu’on ne s’y trompe pas. On n’a jamais lu sous ma plume une approbation du régime actuel de la Russie. Ni de sa stratégie internationale. Et je ne parle ici que de l’intérêt de l’Occident, et plus précisément de l’Europe. Et, pour moi, l’intérêt de l’Europe n’est pas de se lancer dans un affrontement avec la Russie. Mais au contraire de tout faire pour intégrer notre grand voisin de l’Est à l’espace de droit européen.
Les historiens de l’avenir auront à mon sens beaucoup de mal à comprendre pourquoi nous nous sommes lancés dans une escalade aux conséquences potentiellement terrifiantes avec la Russie, pour s’opposer au vote majoritaire d’une province russophone, russe pendant des siècles, et rattachée en 1954 à une autre province de l’Union soviétique par le caprice du secrétaire général du parti communiste d’alors, Nicolaï Krutchev. Un rattachement jamais pleinement reconnu par la majorité des habitants de la Crimée, qui ont toujours voulu conserver leur autonomie à l’égard du gouvernement de Kiev, comme l’affirmait encore la première constitution ukrainienne de 1992.
Aujourd’hui, la Crimée, et la Russie ont choisi de profiter du chaos issu de l’arrivée à Kiev d’un gouvernement fortement antirusse pour se retrouver. En quoi cela nous gêne-t-il ? Pourquoi refuserait-on aux habitants de la Crimée de vouloir choisir leur destin, contre l’avis du pays dont ils sont membres, alors qu’on s’apprête à autoriser les Ecossais à voter sur le sujet, et que les Catalans ont bien l’intention d’en faire autant ? Protestera-t-on contre « l’amputation du territoire de la Grande-Bretagne » si les Ecossais choisissent l’indépendance ? Et que fera-t-on si la Moldavie, la Biélorussie, ou la partie russophone du Kazakhstan réclament leur rattachement à la Russie? Nous nous en mêlerons ? De quels droits ? Au nom de la stabilité de l’idée de nation ? Mais l’a-t-on imposé à la Tchécoslovaquie ? A la Yougoslavie ? Au Kurdistan irakien ? A Gaza ? S’y opposerait-on si le Québec décidait de son indépendance ? Et que ferait-on si la Wallonie demandait son rattachement à la France ?..."
2) Celui de Jean-François Kahn: " ....La sphère médiatique, au sens le plus large, fait preuve, à propos des événements d’Ukraine, de Crimée et de Russie, d’un tel binarisme, d’un tel simplisme, d’un tel infantilisme, que l’on assiste à une autre aberration : le retournement pro-Poutine d’une bonne partie de l’opinion. Cela fait des années que l’on perçoit cette déplorable évolution : une approche de plus en plus bichromique, bicolore et, incidemment, néoconservatrice, des grandes questions internationales, un partage du monde entre des gentils qui ne peuvent se conduire que de façon séraphique et des méchants qui ne constituent qu’un ramassis de Belzébuth : un manichéisme de plus en plus puéril qui n’est pas étranger à la redoutable désaffection du public envers ce qui devrait constituer le coeur et l’âme de la démocratie : les médias... si comparer Poutine à Hitler (certains ont osé) est d’une confondante idiotie, l’homme s’apparente plus, en effet, à un nouveau tsar qu’à un démocrate moderne. On peut à cet égard se demander, d’ailleurs, pourquoi Eltsine, lui qui était bien pire, bénéficia d’une telle indulgence : parce qu’une Russie en voie de quart-mondialisation plaisait ? Or, si un envoyé spécial à Berlin, du temps du nazisme, avait systématiquement décrit, pour complaire, une Allemagne dévaluée, dévalorisée, minable, aux abois, il aurait, fût-ce inconsciemment, péché à la fois contre l’objectivité journalistique et contre la cause du camp démocratique. A-t-on le droit de poser cette question : un pays où la plupart des éditoriaux, parlés ou écrits, paraissent avoir été rédigés par Bernard-Henri Lévy (membre du Conseil de surveillance du Monde) constitue-t-il un exemple de pluralisme ?
Oui, la brutalité avec laquelle a été bousculée, en Crimée, la légalité internationale est inadmissible. Mais pourquoi, lorsque les nouvelles autorités de Kiev ont décidé, dans un premier temps, d’abolir le statut de la langue russe dans les territoires russophones, nos médias n’ont-ils pas mis en garde contre cette décision provocatrice et aventureuse ? Pourquoi le non-respect de l’accord signé par les ministres européens, dont Fabius, à Kiev n’a-t-il suscité dans les médias aucun regret ? Pourquoi aucune prise de distance à l’égard de certains propos extrémistes (c’est une litote) tenus par les leaders radicaux de la révolution de Maïdan, alors que ces outrances faisaient évidemment le jeu de la Russie, qui les a instrumentalisés ?...
Il y a deux principes aussi défendables l’un que l’autre. Le premier, c’est le respect de l’intégrité territoriale des nations. En fonction de quoi, une sécession de la Crimée, même votant son rattachement à la Russie, est incontestablement condamnable. L’autre principe est le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. En fonction de quoi l’OTAN est intervenue militairement pour aider le Kosovo à s’émanciper de la Serbie, ce que souhaitait la majorité de sa population. Les deux principes étant souvent contradictoires, il convient, en droit international, de privilégier une fois pour toutes l’un ou l’autre. Soit l’intégrité territoriale, soit le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Ce qui, en revanche, n’est pas soutenable, c’est de se réclamer de l’un de ces principes les jours pairs et de l’autre les jours impairs..."
3) Celui de Hubert Védrine, qui avance cinq propositions pour sortir de la crise ukrainienne.
4) Celui de Jacques Sapir, qui souligne la responsabilité des pays européens dans cette affaire.
5) Celui de Hélène Carrère d’Encausse, spécialiste de l'histoire de la Russie, remet quelques vérités sur le tapis.
6) Celui, un peu plus tranché, de JL Mélenchon.
_______Si on tient compte des interventions officielles et secrètes des USA en Ukraine, malgré la désescalade diplomatique provisoire, on aura une idée un peu plus complexe et nuancée que la soupe qui est servie journellement sur nos medias favoris.
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-Point de vue
- La presse dit-elle la vérité au sujet de l’Ukraine ?
- Union Européenne et Russie : les inquiétants malentendus de deux visions diplomatiques
- Aux racines économiques du conflit ukrainien
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