dimanche 31 juillet 2022

En deux mots

__ Inertie hospitalière

__ Folie du prince

__ Ehpads: suite

__ Ubuesque!                                     

__ Unions "sulfureuses"

__ Faut bien vivre...

__ Suède: privatisations santé

      ____ * Revue de presse        

samedi 30 juillet 2022

Service public de santé en danger.

      Deux mots sur l'origine des mutations et des dégradations du système  [notes de lecture]

                               Depuis au moins 2005, le mal s'approfondit dans les système de soin de notre pays, pour arriver aujourd'hui dans cet état de crise majeure, reconnu par tous, même verbalement une fois à l'Elysée, la crise de la covid ayant servi de révélateur. qui ne prend pas pourtant les mesures qui s'imposent pour éviter un glissement plus sérieux encore. La fuite de certains personnels hospitaliers est un révélateur inquiétant de dysfonctionnements que certains soignants voyaient venir depuis longtemps. Le "grand corps malade" l'est surtout du fait de ses mutations purement gestionnaires, de son lean management accentué, de ses choix technocratiques, de la perte progressive de sens qui affecte de plus en plus les rapports médicaux et hospitaliers.   L'exemple suédois est en cours...


                                                                                                                   Point de vuechanger de paradigme:               "...Le système de santé français a longtemps fait office d’exemple à l’international, au début des années 2000 il était même considéré comme le meilleur au monde. A la suite d’une destruction incrémentale du fondement même de notre système de santé, quel que soit les majorités gouvernementales, celui-ci est dorénavant à l’agonie. Les déserts médicaux progressent et l’hôpital public est au bord de l’implosion du fait de la diminution du nombre de lits, l’introduction en force du Nouveau management public et la dégradation des conditions de travail entraînant le départ en masse de personnels soignants épuisés et écœurés.  Nous considérons que le point d’entrée dans le système de santé pour l’immense majorité de la population est l’hôpital public par le biais des urgences et ce que nous nommerons les professionnels de santé de premier recours (PSPR), par définition conventionnés en secteur 1. Ces derniers sont représentés par les médecins généralistes principalement mais il existe également d’autres « portes d’entrée » subtiles et souvent méconnues. C’est le cas notamment des pharmacies d’officine et, dans une moindre mesure, des infirmier(e)s et kinésithérapeutes libéraux. Pour les jeunes enfants, la Protection Maternelle et Infantile (PMI) lorsqu’elle existe encore sur le territoire peut également avoir ce rôle. Les chirurgiens-dentistes et les sage-femmes font également partie des PSPR.   Mais d’une façon générale et majoritaire, lorsqu’un patient a un problème de santé (en dehors des grosses urgences) il va se rendre chez son médecin généraliste ou chez son pharmacien. C’est uniquement si ces deux voies sont fermées qu’il se rendra aux urgences directement.   La pénurie médicale et la fermeture progressive des pharmacies d’officine, notamment en milieu rural, entraînent donc une suppression pure et simple de l’accès au système de santé, en particulier pour les classes populaires. Les services d’urgence, en grande souffrance, ne peuvent compenser la pénurie médicale de généralistes sur le territoire.   La situation est complexe et assez catastrophique par bien des aspects, en particulier parce qu’elle relève de décisions gouvernementales qui, pour des raisons budgétaires mais pas uniquement, ont choisi délibérément de mettre en danger sanitaire la population française dans son ensemble. Cependant, les effets sont encore plus dramatiques pour les plus démunis, témoignant ainsi d’une politique de classe très violente : nous parlons ici de ceux qui ont la possibilité de se soigner ou pas. Nous allons revenir brièvement sur l’histoire de l’organisation puis de la désorganisation des médecins généralistes et de l’hôpital public, ensuite nous évalueront la situation actuelle (peu brillante) en termes d’effectifs soignants. Nous proposerons pour terminer une analyse politique et nos propositions pour changer de paradigme....Le maillage de la médecine générale et son organisation correspondent à notre sens à une forme de service public, mais implicite. En effet, jusqu’à une période récente l’accès aux soins était équivalent sur tout le territoire, les gardes étaient assurées, ce qui fait que tout français pouvait obtenir une consultation ou une visite 24/24h et 7/7j. La seule différence, surmontable selon nous, avec un service public « classique » relève du paiement à l’acte et donc de l’avance de frais. Mais, étant donné que les actes sont remboursés par la Sécurité sociale et les mutuelles, nous pouvons considérer que les médecins généralistes et par extension tous les PSPR (pharmaciens, infirmiers, kinésithérapeutes, dentistes, sage-femmes) forment, sans en avoir conscience, un vaste service public de premier recours mais celui-ci est imparfait et implicite.                                        
A partir des années 60, les lois hospitalières ont consacré l’apparition du praticien hospitalier et de l’hôpital public, deuxième pilier de l’accès aux soins. Ce dernier est un service public explicite, avec la gratuité complète pour les patients. Cela marquait un tournant dans la reprise en main par la puissance publique du système de santé, non sans résistance des syndicats de médecins libéraux. Ceux-ci finiront par accepter le conventionnement avec la Sécurité sociale en 1980, mais en gardant un pouvoir de négociation très important, toujours en vigueur aujourd’hui.                    La création des praticiens hospitaliers représentait une première entaille au pouvoir médical historique, ce qui explique la traditionnelle opposition entre les hospitaliers et les « libéraux» . Il est clair qu’en 2022, cette opposition n’a plus aucun sens en particulier pour les PSPR.  Pour résumer, gardons à l’esprit que le système de santé français (en particulier les PSPR qui nous intéressent tout particulièrement ici) reposait donc sur deux piliers : un réseau de médecins disséminé faisant office de service public (qui deviendront les médecins généralistes avec l’apparition des spécialités médicales) et le système hospitalier public fraîchement élaboré à partir des années 60.                                               Il est donc tout à fait remarquable de constater que les pouvoirs publics aient méthodiquement attaqué les deux piliers de notre système de santé, sans prévoir aucune alternative pour la population malgré les conséquences désastreuses que l’on pouvait anticiper sans grande difficulté. Et cela, avec une régularité et un acharnement tout à fait spectaculaire alors que de nombreuses institutions, sans grand caractère révolutionnaire particulier, n’ont cessé d’alerter les pouvoirs publics dès le début des années 20002 !   Concernant la médecine libérale, l’objectif officiel avancé par les décideurs publics était la maîtrise des dépenses de santé dès le début des années 70, dans un contexte où il était considéré qu’il y avait trop de médecins en France. Selon la politique de l’offre, celle-ci crée sa propre demande. Ce qui sous-entendait qu’une partie des soins (laquelle précisément ?) prise en charge par la collectivité était inutile, puisque simplement « produite » par l’offre médicale trop importante. Dans cette logique simpliste pour ne pas pas dire absurde (comment prouver l’inutilité d’une consultation ou d’un soin ?), il suffisait alors de diminuer l’offre pour que la demande s’ajuste miraculeusement sans dépense superflue.               Cette logique allait aboutir à la création du numerus clausus en 1971, qui correspond au nombre d’étudiants autorisés à s’inscrire en deuxième année de faculté de médecine selon leur classement au concours de première année, auquel viendront s’ajouter d’autres dispositifs à partir de 2010 (passerelles avec d’autres filières, droit au remords). Ce nombre est fixé par le gouvernement permettant la régulation précise du nombre de médecins formés chaque année. Ainsi il devenait possible de diminuer l’offre libérale et, par ricochet, celle des médecins hospitaliers. La longueur des études médicales entraîne un effet d’inertie important de ce dispositif. Les effets sur le terrain se faisant sentir à la hausse comme à la baisse sur une échelle de 10 ans en moyenne. C’est à dire que la situation actuelle résulte de décisions non prises à la fin des années 2000. Les syndicats de médecins libéraux ont ici une co-responsabilité dramatique avec les gouvernements des années 2000-2010. En effet, si les représentants des médecins se souciaient peu du niveau des dépenses de santé, il se souciaient beaucoup plus des revenus des médecins libéraux. Or, ces derniers étant rémunérés à l’acte, un trop grand nombre de médecins entraîneraient automatiquement moins d’actes par médecin donc une baisse de leurs revenus. C’est ainsi qu’est né l’argument de la « pléthore de médecins » repris en boucle au moment des débats sur la création du numerus clausus, et l’appui des syndicats de médecins à cette réforme3.                            La peur de la « pléthore » dans un système de paiement à l’acte reste bien ancrée dans l’imaginaire médical. Les syndicats ont réussi à ce que cette restriction de l’offre médicale ne soit pas associée à une régulation territoriale de l’installation des futurs praticiens par la puissance publique. Il est vrai que la densité médicale qui existait jusqu’au début des années 2000 provoquait une forme de régulation territoriale automatique puisqu’il était possible, du fait du paiement à l’acte, de ne pas gagner sa vie en cas d’installation dans une zone déjà bien pourvue en médecins, ce qui apparaît difficilement imaginable en 2022. Toujours est-il que cette absence de régulation géographique persiste encore aujourd’hui, dans un contexte démographique bien différent. A propos de la médecine générale, qui va beaucoup nous occuper dans cet article, le dernier rapport de novembre 2021 de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS)4, permet de mesurer les merveilleux effets de cette politique. Le rapport évoque avec pudeur une « pénurie manifeste » et avance quelques chiffres alarmants : – 64 % des Français renonceraient à se soigner à cause des délais de rendez-vous des praticiens ; – 10 % de la population n’a pas de médecin traitant dont plus de la moitié en cherche un et une part non-négligeable est atteinte de pathologie(s) chronique(s) ;  – 3 médecins généralistes sur 4 (72 %) admettent ne pas pouvoir répondre à la totalité des demandes de consultations non programmées pour le jour même ou le lendemain et 55 % d’entre eux estiment pouvoir répondre à moins de la moitié de ces demandes ;   – 148 cantons (sur 4055) étaient dépourvus de médecins en 2017. 80 % ont vu baisser leur démographie médicale au cours des dernières années. Pour avoir quelques données en tête : la densité standardisée moyenne5 de généralistes pour 100 000 habitants est passée de 173 début 2000 à 155 en 2012 puis 139 en 2021, soit une diminution de 20% en 20 ans.          Il existe également de fortes disparités territoriales. Sur la même période, la population a augmenté, vieilli et le temps de travail hebdomadaire par médecin a baissé, point sur lequel nous reviendrons. Ce qui signifie qu’une approche centrée sur la seule densité médicale sous-estime la baisse « réelle » du niveau d’accès aux soins. L’hôpital n’échappe pas à cette règle d’une longe érosion de ses moyens au cours des vingt dernières années. Différentes réformes successives7 ont abouti à son démantèlement en installant une bureaucratie de plus en plus puissante, à imposer une logique financière de tarification à l’activité et à réduire le nombre de lits.     Progressivement, le modèle de gestion s’est rapproché de celui de l’entreprise privée. Alors que le service public hospitalier a longtemps représenté un secteur préservé du Nouveau management public, il est désormais un acteur agissant et innovant dans cette nouvelle voie managériale. L’hôpital public est désormais géré comme une entreprise privée par des logiques gestionnaires de « rationalisation des coûts » et de mise en concurrence des structures entre elles, voire des services médicaux entre eux, visant «  l’efficience économique » et faisant de l’hôpital «  une nouvelle industrie ».                Finalement, l’ensemble de ces différentes réformes a entraîné une diminution forte du nombre de lits d’hospitalisation conventionnelle, dont la rhétorique habituelle consiste à contre-balancer cette baisse par l’augmentation parallèle du nombre de lits d’hospitalisation partielle, modalité qui ne répond pas à l’ensemble des défis à venir et déjà présents : maladies chronique et vieillissement de la population. Entre 2003 et 2019, le nombre de lits est passé de 468.000 à 393.000 et avec une forte disparité nationale.......    Nous refuserons ici l’hypothèse de l’incompétence de nos dirigeants, même si elle est souvent tentante et probablement pas complètement absente, ou encore de l’ignorance, puisque les données présentées ici sont connues depuis longtemps. Nous considérons au contraire que la situation sanitaire actuelle, tant de l’hôpital public que des PSPR, est le résultat d’une stratégie volontaire bien qu’en apparence un peu chaotique. La nomination de Jean Castex, qui a été la cheville ouvrière de la tarification à l’activité, donc de la destruction de notre hôpital public, au poste de Premier ministre en est l’illustration éclatante. Sa nomination en pleine pandémie est de ce point de vue une véritable provocation qui en dit long sur les intentions réelles du Président de la République.    Cette stratégie organisée repose sur une intrication de trois facteurs : sociologique, idéologique et institutionnel.    Le premier facteur est sociologique, de classe en réalité, il concerne la structure sociale de nos gouvernants qui sont par définition exclus du système de santé « normal ». En effet, leurs réseaux, leur position sociale, leur capital symbolique et financier les mettent à l’abri des dysfonctionnements qu’ils ont pourtant induits. Aucun ministre actuel ou ancien, ni aucun ancien Président, ni aucun de leurs proches ne connaissent les déboires d’attendre 3 mois un rendez-vous chez le spécialiste, ou de rester 48h sur un brancard aux urgences en attente d’un lit. En cas de problème de santé, un simple coup de fil suffit à trouver une solution, le passage par une consultation privée avec un dépassement à 3 chiffres ne posera pas de problème. L’attente, l’angoisse, la douleur, tout ce qui est majoré par la pénurie organisée, c’est pour les autres, le bas peuple. Le fait de ne pas sentir dans leurs corps les effets catastrophiques de leur politique est valable également pour leur politique sociale bien entendu, mais concernant le système de santé l’effet est visible et peut servir de catalyseur car le prix à payer pour la population est direct et très élevé : il s’agit de la vie ou de la mort. Le système de santé est un marqueur de classe très fort et visible, il faut s’en servir.       Afin d’aider à une salutaire reconnexion avec le réel, tout en restant dans l’anglicisme dont raffole nos gouvernements, nous proposons d’instaurer un « flat rate ministériel « (« forfait ministériel ») consistant à refuser toute autre prise en charge que par les urgences pour les ministres responsables et leurs proches, que nous étendrons volontiers aux anciens Présidents et parlementaires qui auront voté et approuvé l’ensemble des réformes délétères. Ainsi, après une attente de quelques jours sur un brancard aux urgences, peut-être que la réalité du terrain prendra une forme plus concrète que celle des courbes, graphiques et autres camemberts powerpoint admirés bien assis dans une salle confortable. Cynisme mis à part, cette déconnexion du réel est profondément structurante car, de leur point de vue, le système fonctionne bien malgré la politique d’austérité.      Le second facteur concerne l’idéologie capitaliste dans sa version néolibérale actuelle. Dans cette conception du monde, la concurrence doit devenir la règle partout, dans l’éducation comme dans la santé. Les dépenses publiques de ces deux postes doivent être diminuées au maximum et transférées sournoisement au secteur privé, forcément plus efficace. Toute dépense publique, autres que les cadeaux fiscaux aux plus riches ou aux entreprises, doivent donc être bannies et la santé comme l’éducation sont des « coûts » à réduire par tous les moyens.        Au début des années 2000, lorsqu’il est devenu clair que la pénurie allait s’installer, les gouvernements successifs ont augmenté le numerus clausus brutalement. Cela signifie qu’ils étaient conscients des difficultés qu’allaient rencontrer les Français à moyen terme. Ils auraient pu choisir d’augmenter drastiquement les effectifs pour faire face à ce risque. Pourtant, la solution retenue a été d’augmenter les effectifs de façon insuffisante pour laisser persister une pénurie, mais une pénurie moindre, qui devrait éviter une explosion sociale. D’où l’importance du facteur sociologique ci-dessus, seules des personnes immunisées contre les effets de leur propre politique pourraient se lancer dans une telle aventure avec autant de cynisme, mais avec quels objectifs ?    La seule hypothèse logique serait l’application de la recette néolibérale fétiche consistant à mettre en tension un service public ou une institution pour la forcer à se réformer. « Affamer la bête » comme les néoconservateurs américains l’ont théorisé. Sur le plan de l’hôpital public, la bête semble effectivement bien affamée. La prochaine étape dans cette stratégie serait le transfert définitif au privé de pans entiers des hôpitaux publics (hypothèse défendue également par l’économiste Gaël Giraud).               En revanche pour la médecine générale et les soins de premiers recours sinistrés, l’objectif paraît moins net, bien qu’une privatisation rampante soit envisageable par le biais de centres de santé privés. Nous pensons qu’il s’agit de prendre le contrôle, sous une forme étatique et donc bureaucratique, de l’ensemble des soins libéraux de premiers recours. Cela implique de revenir sur la liberté d’installation des médecins et d’augmenter les rémunérations forfaitaires afin de pouvoir contrôler de plus en plus les prescriptions, à l’aide d’objectifs évaluables donc chiffrés, exactement comme à l’hôpital. Le but ultime étant bien évidemment de pouvoir diminuer les coûts mais, ne nous y trompons pas, il y a également la volonté de prendre le contrôle des professionnels libéraux qui échappent actuellement pour une large part à l’emprise néolibérale par le biais de notre système de protection sociale qu’il s’agit, in fine, de détricoter. Il y a une raison structurelle à cela : notre Sécurité sociale représente une enclave hors marché intolérable, une possibilité d’alternative généralisée à l’économie marchande et donc au capitalisme néolibéral qui doit absolument être anéantie. Il ne faut pas d’espoir, il n’y a pas d’alternative. De plus, cette tension permanente sur le terrain est également utilisée comme une arme, afin de ne pas laisser aux professionnels de santé le temps de réfléchir aux causes réelles des dysfonctionnements. La tête dans le guidon en permanence, sous tension, l’organisation d’une résistance et d’une riposte en ville comme à l’hôpital s’avère très difficile. Elle serait pourtant très féconde si les PSPR et les hospitaliers parvenaient à s’allier autour de revendications communes.      Enfin, le troisième facteur est structurel : nous l’appellerons une « procrastination institutionnelle» . Les traités européens ont sanctuarisé l’ensemble des outils macro-économiques permettant habituellement à une nation souveraine de pouvoir orienter sa politique économique. Ainsi, la perte de contrôle de notre monnaie, la libre circulation des biens et des capitaux, puis le contrôle du budget par la Commission Européenne ont entraîné des conséquences désastreuses, en France tout particulièrement du fait de son histoire économique et sociale. Le pays s’est désindustrialisé, ce que toute la classe politique reconnaît en cette année électorale, bien que les modalités de réindustrialisation varient fortement d’une famille politique à l’autre. Dans le cas français, notre système de protection sociale étant majoritairement basé sur la cotisation sociale employeur/salarié, la destruction du tissu industriel devait automatiquement provoquer de fortes tensions pour le financement de notre Sécurité sociale. En l’absence de remise en cause du carcan européen, les gouvernements successifs enchaînent les années d’austérité budgétaire, dont la santé, l’éducation et de façon générale l’ensemble des politiques sociales subissent les effets délétères, au contraire d’autres dispositifs « incitatifs » centrés sur les entreprises dont les montants peuvent atteindre des sommes astronomiques.     Concernant la santé, et devant les projections catastrophiques de démographie médicale, il était donc tentant pour chaque mandature de remettre le problème à plus tard tout en faisant semblant de le prendre au sérieux. Cette attitude est possible du fait de l’inertie du système, une décision se jugeant à plus de 10 ans, la responsabilité n’apparaît pas immédiatement. Le système médiatique permet également aux anciens gouvernements de s’en sortir à moindre frais puisque le manque de lits et les déserts médicaux sont systématiquement présentés comme des données naturelles, malencontreuses certes, mais détachées de toute connotation politique. Cette procrastination institutionnelle est également facilitée par les structures économiques évoquées, qui jouent spontanément pour le maintien de l’austérité et donc à la réduction permanente et obsessionnelle des « coûts » que représenterait la santé.      Dans l’esprit bureaucratique, s’attaquer de front au problème et y remédier en augmentant drastiquement le numerus clausus dès 2005 par exemple, impliquait forcément une explosion des « coûts » insupportable. Les choix faits en matière de démographie médicale ont donc consisté à limiter la pénurie mais pas à la résoudre, en transférant ce délicat problème à la mandature suivante en détournant le regard des conséquences pour la population. Le creusement budgétaire ne pourrait donc pas leur être reproché, charge au gouvernement suivant de s’en débrouiller. Cette procrastination institutionnelle nous a fait perdre 20 ans dans le domaine de la santé, tout comme elle bloque actuellement toute prise en compte sérieuse de la destruction environnementale en cours.     Mais il ne faut pas que la population vienne perturber ce doux programme en ayant l’outrecuidance de résister à ce rouleau compresseur. Il faut donc la diviser et en particulier les professionnels de santé susceptibles d’obtenir une adhésion populaire en cas de résistance. L’opposition historique entre syndicats de médecins libéraux et hospitaliers a ici constitue un atout pour les gouvernements néolibéraux : il suffisait de se laisser porter par ce conflit ancien en l’alimentant subtilement de temps en temps. Ainsi, de rapports en rapports, la crise des urgences s’expliquerait par les manquements des médecins libéraux, et des généralistes en particulier. Entendons-nous bien, nous ne disons pas que les généralistes et leur organisation seraient parfaits et qu’il n’y aurait rien à redire, mais simplement que ce n’est pas le problème principal. On estime qu’environ 29% des consultations aux urgences pourraient relever de la médecine générale, mais celles-ci concernent des actes courts à la suite desquels les patients quittent le service.       Tous les médecins passés aux urgences (donc tous les généralistes puisque c’est un stage obligatoire durant l’internat) savent bien que la cause principale de l’embolisation des services d’urgence vient du manque de lits d’aval. Un urgentiste du CHU de Limoges témoigne, «  Actuellement, on a près de 130 passages par jour et on sait qu’on ne peut en hospitaliser qu’une quarantaine. »      C’est surtout parce qu’il n’y a pas de lits disponibles dans l’hôpital que la situation est intenable aux urgences. Donc le problème est de la responsabilité directe du pouvoir politique qui a organisé cette pénurie. Mais il est plus commode de prétendre que cela viendrait de la mauvaise organisation des généralistes, même si elle serait bien évidemment perfectible, cela n’ouvrira pas de nouveaux lits.                      La communication des gouvernements, depuis au moins 2010, pointe systématiquement la responsabilité des professionnels dans un objectif de division. Les problèmes de l’hôpital viendraient d’une mauvaise organisation interne, les déserts médicaux d’une mauvaise coordination des professionnels libéraux, la surcharge des urgences de la faute des généralistes. Curieusement, la responsabilité des pouvoirs publics, pourtant écrasante comme nous l’avons démontrée, est systématiquement écartée des rapports officiels. Il est évident que le pouvoir refuse d’endosser la responsabilité de la situation, il est préférable que la population l’ignore pour que celle-ci retourne son angoisse et sa colère contre les professionnels de santé et pas contre eux.    Malheureusement cette stratégie semble fonctionner pour le moment d’où l’importance de travailler à une alliance entre les hospitaliers et les PSPR, puisque leur interdépendance est manifeste. Ils sont victimes des mêmes logiques structurelles, et celles-ci ne pourront trouver une résistance suffisamment puissante qu’en s’alliant sur des propositions claires. Une telle alliance aurait vocation à s’ouvrir ensuite à l’ensemble des citoyens afin de sensibiliser la population aux problématiques de protection sociale et débuter une forme d’éducation populaire à la gestion de ce système, comme le souhaitaient les fondateurs de la Sécurité sociale...."    [souligné par nos soins.,]              _______________________________

vendredi 29 juillet 2022

Limites de la croissance (suite)

 Les petits gestes et les immenses enjeux

                                                  Les arbres ne montent pas jusqu'au ciel, dit un proverbe chinois. On le sait mieux maintenant, même si tout nous pousse à ne pas le voir ou à ne pas y croire: sur notre terre finie et à la peine, qui de plus se modifie rapidement sous nos yeux, Le dogme de la croissance infinie, qui est encore bien ancrée dans le système économique en vogue et dans la plupart des croyances et les comportements individuels, ne résiste pas au simple examen de bon sens.                      _____Ce ne sont pas l'addition de quelques gestes individuels ajoutés les uns aux autres qui vont modifier la logique d'un système qui fonctionne en aveugle depuis le début de l'ère industrielle, sous la loi du profit capitaliste, qui changera fondamentalement les choses. Marginalement sans doute, à condition que tous "jouent le jeu" de manière convaincue, raisonnée, non punitive. Il ne s'agit pas de "sauver la planète" (qui en vu d'autres), mais plutôt de permettre à l'humanité de se perpétuer autrement, plus solidairement, plus sûrement, par quelques gestes citoyens nécessaires, comme réduire sa consommation d'eau, limiter drastiquement son bilan carbone, diminuer son train de vie, etc...  Ce n'est pas une question de morale, de bons sentiments, mais une impérieuse nécessité éthique et politique politique, car il va falloir agir sur les leviers qui commandent la course folle au développement toujours plus effréné aux biens dont la production met en péril les conditions d'une vie décente, d'une vie tout cours...Il y a une logique économique qui doit s'inverser, et non pas seulement être modifiée à la marge. Et vite! Qui s'y attèlera? comment agir pour entraîner une conviction assez large pour être capable d'entamer cette mutation générale et consentie? Immense défi!     

                                                        Dès les années 1970 déjà, la question de fond était soulevée: sur sa lancée irréfléchie dans la course au développement et à la richesse: l'humanité court un péril mortel, mettant en danger les conditions de son propre développement. Sauf virage rapide et peut être improbable, l'histoire des hommes n'est pas assurée de durer, du moins dans des conditions relativement sereines. L'économie n'est pas une connaissance dogmatique, mais se développe selon les présupposés et les mécanismes qui lui donne son aspect à un moment donné de l'histoire. Elle est question de choix, qui peuvent être revus et corrigés, en fonction de ses effets. Le dépassement du capitalisme, du moins sous ses formes actuelles, n'est plus sujet tabou pour de plus en plus d'économistes qui ont intégré la dimension historique et humaine dans leur schémas de pensée.  Le productivisme seulement conditionné par la valeur du PIB, est à repenser de fond en comble. Consommer moins, consommer autrement doit devenir non seulement tendance, mais nécessité. Sans auto-punition, mais par raison, par réflexion. Encore faut-il que les décisions politiques suivent et que les convergences internationales se dessinent rapidement, malgré les inégalités de développement. C'est là que le doute peut s'installer, concernant l'efficacité de l'effet d'entraînement des pays les plus volontaristes, soutenus par des opinions les plus éclairées et les plus déterminées. Enorme pari, qui ne peut attendre encore des décennies...                                                                                                                                           "....L'écologie est-elle soluble dans les démocraties capitalistes? voilà u lne question clé, car, quoique nous faisons, si le système ne change pas, ce ne seront que quelques gouttes d'eau dans l'océan. Cette question est d’autant plus pertinente, lorsqu’on sait à quel point il peut être difficile de prendre des décisions radicales, capables de répondre aux urgences, dans un moment où les positions hégémoniques du néolibéralisme font pression pour conserver une politique des « petits pas ». Le philosophe et juriste Sam Adelman a ainsi montré que le principe même du « développement durable » repose sur des objectifs de croissance économique, rigoureusement incompatibles avec les défis de l’urgence climatique. Si la question peut paraître un brin provocatrice, remettre en question le modèle économique de croissance basé sur un extractivisme matérialiste qui transforme biens, vivants et humains en ressources, semble nécessaire. D’autant que dans beaucoup de cas, lorsque l’écologie est prise en considération, elle relève du greenwashing. Ou, pour le dire autrement, l’écologie elle-même devient une ressource pour la communication et le marketing, avant d’être transformée en politique ambitieuse.    Pour le professeur Pieter Leroy, qui enseigne la politique environnementale aux Pays-Bas, la réponse est claire : notre organisation politique ne nous permettrait pas de pouvoir répondre dignement aux effets liés au changement climatique. Même lorsque des grands conglomérats proposent de baisser la consommation d’énergie par exemple, cela sert d’abord des buts économiques et financiers....En 2004, la politiste Wendy Brown associe les difficultés et les écueils des démocraties contemporaines à l’essor du capitalisme néolibéral, en expliquant notamment que :

« la rationalité néo-libérale […] soumet chaque aspect de la vie politique et sociale au calcul économique : plutôt que de se demander, par exemple, ce que le constitutionnalisme libéral permet de défendre, ce que les valeurs morales et politiques protègent et ce dont elles préservent, on s’interrogera plutôt sur l’efficacité et la rentabilité promues – ou empêchées – par le constitutionnalisme. »

Dans cette optique, où le constitutionnalisme libéral est à entendre comme l’exaltation des libertés individuelles face au pouvoir étatique, le politique ne devient qu’un instrument au service de la rentabilité – rendant de facto toute réforme écologique et environnementale difficile à implanter, à partir du moment où elle menace des intérêts économiques et financiers immédiats.   Un peu plus tard, en 2009, la professeur de science politique Jodi Dean va encore plus loin dans un ouvrage qui propose une critique de la version néolibérale des démocraties. Selon elle, les démocraties se retrouvent menacées par une confusion entre libre expression et stratégies de communication ; en d’autres termes, rien ne permet de distinguer les intérêts de celles et ceux qui utilisent leur droit à la liberté d’expression dans la sphère publique.      Ainsi, la sphère publique démocratique représente un véritable marché de la liberté d’expression où se mêlent tendances énonciatives, stratégies de persuasion, fabrication du consentement, opinions privées, argumentations élaborées et influences médiatiques. Cette confusion ne devient compréhensible et lisible qu’à l’aide d’un réel outillage critique, qui peut permettre à chacune et chacun d’exercer ses droits citoyens ; hélas, cet outillage n’est pas accessible à tous et il est difficile de l’appliquer dans le bruit ambiant.     Au sein de ce marché de la libre expression émerge alors non plus une démocratie réelle, mais une illusion de démocratie, réduite à une incarnation simpliste de liberté d’expression publique et d’abondance de production de messages. Cette analogie du marché n’est pas innocente : elle témoigne, une nouvelle fois, de la gémellité entre économie de marché capitaliste et démocraties contemporaines, soulignée entre autres par le politologue allemand Wolfgang Merkel, dans un article particulièrement lumineux paru en 2014....."      _____________________________

jeudi 28 juillet 2022

Varia

1     ___ L'habit ne fait pas le député:

                                     Cravate ou pas à l'Assemblée?           "....Si l’habit ne fait pas le moine, la cravate fait le député pour l’élu LR Éric Ciotti, qui a solennellement écrit jeudi 21 juillet à la présidente de l’Assemblée nationale pour se plaindre des tenues “relâchées” portées par les députés de la France insoumise dans l’hémicycle. Un combat qui a inspiré l’élu insoumis Louis Boyard, benjamin (métropolitain) du Palais Bourbon.  Dans un courrier reprenant quasiment mot pour mot celui de son collègue de droite, le député du Val-de-Marne demande à Yaël Braun-Pivet de mettre un terme à “l’arrogance vestimentaire” qui sévit selon lui à l’Assemblée nationale. Dans son viseur, des “tenues onéreuses” et autres “costumes aux prix exorbitants”. Des habits qui témoignent selon lui d’un “luxe indécent au regard de l’explosion de la pauvreté dans notre pays”. Louis Boyard considère que ces costumes “renvoient une image déplorable” de la représentation nationale, et appelle donc la présidente de l’Assemblée nationale à se saisir de cette question dès la semaine prochaine lors de la réunion du Bureau de l’Assemblée, exactement comme l’a demandé Éric Ciotti dans son courrier....."

2        ___ Forêts françaises à reconsidérer:    

                               "...Depuis deux décennies, on assiste en effet à une mortalité croissante des peuplements forestiers et à une baisse globale de leur productivité. Si la surface boisée en France métropolitaine ne cesse de croître depuis le milieu du XIXe siècle, c’est en raison du boisement – spontané ou artificiel – de terres agricoles, car la superficie occupée par des forêts anciennes, elle, ne cesse de diminuer. Ce « dépérissement », est généralement attribué aux modifications climatiques. Les sécheresses estivales récurrentes fragilisent les arbres et la douceur hivernale favorise les pullulations de bioagresseurs, en particulier les scolytes et les hannetons.  Le changement climatique en est sans aucun doute une cause essentielle, mais il est aussi le révélateur d’écosystèmes forestiers fragilisés par des décennies de pratiques sylvicoles focalisées sur la production de bois. Non seulement la forêt française fixe moins de carbone par unité de surface, mais l’exploitation des peuplements dépérissants induit des émissions supplémentaires de CO₂ aggravant l’effet de serre et les changements climatiques associés..."

3      ____ Japon: La droite et les sectes         

                            "... Tetsuya Yamagami a voulu attirer l’attention du public sur les injustices que l’Eglise de l’unification commet depuis des décennies. Curieusement, au Japon, les grands médias n’ont pas mentionné le nom de l’Eglise et se sont limités à parler d’« une organisation spécifique » jusqu’à ce que soient passées les élections qui se sont tenues deux jours plus tard. Pourtant, auparavant, les médias japonais avaient largement couvert les pratiques prédatrices de celle qu’on appelle aussi la « secte Moon ». Mais ses liens avec l’aile droite du Parti libéral-démocrate (PLD) au pouvoir, dont Abe était le leader incontesté, sont tabous. Cette dissimulation jusqu’à la fin d’un scrutin remporté sans surprise par le PLD, témoigne de l’influence du groupe religieux sur la vie politique nippone et de la capacité du parti d’Abe à museler les médias..."

4.  ___ Le Pape chez les indiens...un peu tard.        

                      "...Le pape François a demandé lundi 25 juillet « pardon pour le mal commis » contre les autochtones au Canada, notamment ceux  placés de force dans les pensionnats pour enfants amérindiens gérés par l’Église, et a déploré que certains de ses membres aient « coopéré » à des politiques de « destruction culturelle ».     « Je suis affligé. Je demande pardon », a déclaré le pape devant des milliers d’autochtones à Maskwacis, dans l’Ouest du Canada. Évoquant une « erreur dévastatrice », il a reconnu la responsabilité de certains membres de l’Église dans ce système où « les enfants ont subi des abus physiques et verbaux, psychologiques et spirituels »....


5  ___  Les flics français, des pionniers?        

             "...Le 15 mars 1667, par un édit signé à Saint-Germain-en-Laye, le roi Louis XIV confie au magistrat Gabriel Nicolas de La Reynie la charge inédite de lieutenant de police de Paris.    La capitale française compte alors un demi-million d'habitants dont environ 30 000 larrons et mendiants. Pour faire face à cette engeance, il n’y avait jusque là que guets et gardes hérités du Moyen Âge et sans commandement centralisé. Le nouveau lieutenant de police va donc en premier lieu rassembler sous son autorité tous les corps de police (commissariats, prévôté de l'île, archers et exempts du guet, compagnie du lieutenant criminel) et se faire représenter dans les 17 quartiers de la ville par 48 commissaires de police.    Avec une vision extensive de sa mission, il va faire installer l'éclairage dans les rues afin d'en diminuer l'insécurité. Il va aussi faire paver les rues et engager la lutte contre les incendies et les épidémies, faisant de Paris l'une des métropoles les plus propres d'Europe..."

 ___ L'empire du sucre      

                      "....Walvin n’est jamais neutre face à son objet d’étude : il explique dès les premières pages à quel point le sucre corrompt et détruit les hommes, leur santé, leur environnement. L’ouvrage se lit ainsi un peu comme un réquisitoire, martelant que l’histoire du sucre est d’abord celle de la souffrance humaine et de l’exploitation, tant des hommes que de l’environnement. Mais cette étude se présente également comme une mise en garde contre les méfaits futurs et pluriels du sucre, qu’ils relèvent de considérations médicales ou de problématiques économiques liées au monopole de l’industrie agro-alimentaire...."

6    ___   Maux de l'hôpital en Europe.

            "...La pénurie de soignants est généralisée, étendue au monde entier. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu’il manquera 15 millions de professionnels de la santé d’ici à 2030. Si les pays à revenu faible sont particulièrement touchés, tous les pays, quel que soit leur niveau de développement, sont confrontés à des difficultés en matière de formation, de recrutement et de répartition de leur main-d’œuvre....."   

                                        __________________________

mercredi 27 juillet 2022

Héritage colonial

La colonisation française et ses profits

          La possession des territoires conquis et occupés jusqu'à la décolonisation, pacifique ou non, a été pour la France une source de richesses en nature de toutes sortes, dans le domaine des produits agricoles et des matières premières. Mais régnait en Afrique, par exemple, une forme de fiscalité particulière, qui n'a pas peu contribué aux sourdes puis ouvertes oppositions à l'égard du colonisateur, qui avait besoin de certains progrès (routes, ponts, chemins de fer...) sur place pour le développement de ses propres intérêts économiques.        "...la France a favorisé des modes de prélèvement bien spécifiques, rapidement rentables et relativement aisés à mettre en œuvre : taxes sur les monopoles de production ou de commercialisation sur des biens tels que l’alcool ; taxes sur les importations consommées par les résidents des colonies ; mais aussi impôts payés par les populations locales tels que l’« impôt de capitation ». Celui-ci consistait à exiger des chefs de village qu’ils collectent une somme forfaitaire auprès de chaque habitant en âge de travailler ou, au Niger et en Mauritanie, sur le nombre de têtes de troupeaux.      Autre procédé rentable pour le colonisateur : le travail forcé, dédié à la construction des routes, ports et chemins de fer. On a ainsi calculé que l’impôt de capitation et le travail forcé constituaient en 1925 la moitié des recettes publiques en Afrique subsaharienne francophone.   C’est seulement après la Seconde Guerre mondiale que des outils fiscaux plus modernes tels que les impôts directs sur le revenu ont été développés. En effet, à cette époque, la France a voulu accélérer les investissements publics dans ses colonies, et, même si les gouvernements d’après-guerre étaient prêts à financer ces dépenses publiques par des subventions, il est devenu nécessaire de développer de nouveaux outils de prélèvements fiscaux au sein des territoires colonisés.... les États nouvellement indépendants ont dû composer avec un mode de prélèvement hérité de la colonisation, dont seules les réformes mises en œuvre plus de 30 ou 40 ans après les indépendances ont semblé atténuer le poids..." 

                   Les diverses formes d'impôts, dont les fruits revenaient in fine essentiellement au colonisateur avaient aussi pour finalité anthropologique déclarée de plier la personne colonisée, réputée "inférieure" et "paresseuse" aux exigences du travail productif, le plus souvent forcé, comme dans les colonies françaises et surtout au Congo belge, propriété personnelle de Léopold II.                                            ____La politique coloniale de la France et ses mythes n' ont pas cessé de faire débat, encore âprement discutés, non sans idéologie, malentendus et ignorances. Même parfois dans les débats historiens. Se libérer d'un passé largement mythique demandera encore du temps et du courage..._______

mardi 26 juillet 2022

Totalement pas imposable

 Les veinards

                       En cette période de crise énergétique et de fortes tensions d'approvisionnement de carburants, notre fleuron national fait un effort sur les prix à la pompe: une petite baisse sur le prix de l'essence, le temps de voir passer l'orage ukrainien. C'est sympa, mais c'est surtout un acte commercial en passant, qui va sans doute affaiblir ses concurrents sur le territoire national, surtout les indépendants au fond de nos campagnes. La philanthropie n'est pas une valeur cardinale chez le géant pétrolier, qui voit loin et qui a les coudées franches en matière d'impôts dans son propre pays: pas d'impôts, c'est chouette, non?  Tout cela malgré des profits records!                                                                       On dira: oui, mais le groupe pétrolier n'est pas le seul à péter dans la soie. C'est vrai, mais cela ne légitime pas ses pratiques fiscales une peu particulières et la "générosité" de Bercy. C'est un peu l'arbitraire. Parmi les géants du Cac 40, la transparence n'est toujours pas de mise: "...Les plus prompts à donner le détail sont évidemment les sociétés qui font le plus gros chèque d'IS au fisc. Trois d'entre elles paient 1 milliard ou plus : LVMH, Crédit agricole et Vinci.  Leur chèque est particulièrement élevé en 2017, année où une surtaxe exceptionnelle sur les grandes sociétés a été votée pour combler le trou créé dans les finances publiques par l'annulation par le Conseil constitutionnel de la taxe de 3% sur les dividendes voulue par François Hollande. Cette surtaxe a fait passer de 33,3% à 38,3% le taux de l'IS pour les entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse 1 milliard d'euros et de 33,3% à 43,3% pour celles dont le chiffre d'affaires dépasse les 3 milliards. Elle a pesé particulièrement sur le Crédit agricole, qui, du fait de sa structure mutualiste, ne versent pas – ou peu – de dividendes. Viennent ensuite Engie (393 millions), Orange et Hermès (autour de 200 millions d'euros), puis Bouygues (188 millions) et Total (160 millions). La surprise, c'est la vitesse à laquelle cet impôt décroît et sa faible ampleur par rapport aux résultats des groupes. Petit rappel du bénéfice net part du groupe en 2017 des entreprises citées ci-dessus : LVMH : 5,129 milliards d'euros__Crédit agricole : 3,649 milliards d'euros __Vinci : 2,747 milliards d'euros __Engie : 1,423 milliard d'euros ___Orange : 1,906 milliard d'euros _Hermès : 1,22 milliard d'euros __Bouygues : 1,085 milliard d'euros __Total : 7,656 milliards d'euros....                               Même si ces groupes sont très internationalisés et tirent leurs bénéfices des marchés étrangers, les ordres de grandeurs paraissent bien faibles pour certains. Et plus on descend dans le tableau, plus l'écart est saisissant : Vivendi paie 84 millions d'IS, Dassault Systèmes verse 70 millions, Schneider Electric acquitte 60 millions pour des résultats compris entre 519 millions et 2,1 milliards. Michelin et Valeo paient respectivement un IS de 17 et 12 millions d'euros pour des résultats globaux de 1,7 milliard et 886 millions d'euros.                 "Dans l'industrie, les marges sont faibles en France et les impôts de production sont élevés", nous explique-t-on à l'Afep, l'association qui réunit les grandes entreprises françaises. N'empêche les chiffres sont étonnants. Sodexo, qui paie 7 millions d'euros d'IS en France pour un résultat de 723 millions d'euros, présente aussi la France comme un pays à faibles marges, faible rentabilité, contrastant avec les Etats-Unis ou le Mexique. Il faut donner un petit coup de chapeau aux groupes les plus transparents, comme Valeo, un des tout premiers à donner ces chiffres même s'ils peuvent paraître faibles pour la France. Michelin a aussi été rapide et précis. Ce qui n'est pas le cas des deux constructeurs. Tout d'abord Peugeot, qui ne paie pas d'impôt sur les sociétés en France du fait de reports déficitaires, et ce malgré un résultat de 1,9 milliard d'euros. Ensuite, Renault, 5,1 milliards de bénéfices, qui n'a pas daigné répondre, en dépit de son actionnariat en partie public et de l'image de jongleurs fiscaux que peut donner l'affaire Ghosn à l'Alliance Renault-Nissan. Un bon point aussi pour la Société générale, qui a été l'une des premières et des plus précises dans sa réponse, sans dissimuler qu'elle a reçu un chèque de près de 13 millions du fisc en 2017 grâce aux crédits d'impôt (CICE et PTZ) et à l'imputation de la perte colossale de Jérôme Kerviel. En revanche, BNP Paribas, qui affiche un bénéfice net de 7,8 milliards, n'a pas voulu nous indiquer le bon chiffre. En règle générale, les groupes discrets sur leur impôt sur les sociétés – comme Carrefour ou Peugeot – sont ceux qui n'en paient pas......Reste un mystère : le groupe Sanofi, champion des bénéfices en 2017 avec 8,4 milliards d'euros, est muet sur son empreinte fiscale. Grâce à la concurrence fiscale entre pays pour attirer leurs activités, les groupes pharmaceutiques bénéficient d'une fiscalité avantageuse sur les brevets. En France, ils sont aussi parmi les plus gros bénéficiaires du crédit d'impôt recherche. Ils ont enfin des batteries d'experts fiscaux pour réduire leur facture. Est-ce suffisant pour annuler l'impôt sur les sociétés de Sanofi en France ? Si ce n'est pas le cas, seul un peu de transparence de la part du groupe dirigé par Olivier Brandicourt aurait permis de le savoir...."                                               Total est particulièrement intouchable.    Comme toutes les grandes multinationales qui ne sont plus guère attachées à leurs pays d'origine, même fiscalement, qui ont assez de puissance pour avoir parfois une profonde influences sur la marche de certains Etats et sur certaines de leurs grandes décisions, possédant souvent plus de moyens financiers que certains d'entre eux. Total a un vaste réseau d'influences, ses nombreuses filiales lui permettant d'être présent sous des formes diverses et dans des lieux multiples de par le monde des affaires, en particulier autour du domaine si crucial de l'énergie, aujourd'hui en pleine mutation. Mais pas seulement.                                                                    Il est sur tous les fronts. Les affaires sont florissantes, mais sont loin d'être toujours claires de par le monde.  Un groupe d'une puissance généralement mal mesurée. Un pouvoir quasi intouchable.    Total-ment en prétendant ne pas s'immiscer dans les affaires des Etats, ne pas faire de la politique, ne pas influencer le monde de la recherche et de l'enseignement, par un lobbying qui ne dit pas son nom, au service de ses propres intérêts, contre les mouvements, parfois officiellement en place pour agir contre la puissance des pétroliers suivant leur logique propre et leurs visées à court terme, tout en se donnant bonne conscience. Le groupe est en fait très politique, dans un sens bien particulier.

             "...Les entreprises polluantes ne sont plus les bienvenues au sein des universités. Une véritable mobilisation éclot en ce moment dans les établissements les plus prestigieux de France, à l'initiative d'étudiants qui rechignent de plus en plus à les rejoindre, une fois leur diplôme en poche. A Polytechnique par exemple, une grande partie d'entres eux s’opposent farouchement au projet du groupe pétrolier Total d'installer un centre de recherche sur le campus de l'école.   L'entreprise parle d'un centre de recherches sur les énergies propres, mais les étudiants, eux, ne décolèrent pas. 61% d'entre eux ont voté contre ce projet, une révolution dans cette école où les élèves sont sous statut militaire. Soumis par ailleurs à un devoir de réserve, parler aux médias peut leur coûter leur diplôme. Europe 1 a tout de même pu interroger l’un d’entre eux, à condition de modifier sa voix. "Comment c'est possible que ce soit aussi gros et que personne n'ait vu le problème ? Le business majeur de Total, ça reste l'industrie pétrolière. Ils sont tout à fait capables d’influencer l’école, comme ils sont capables d’influencer la stratégie européenne sur les énergies", s'indigne-t-il                 ______Selon Le Monde, "...Total est une autorité souveraine d’un genre nouveau, capable de rivaliser avec des Etats et de générer un nouveau rapport à la loi. Elle est composée d’un réseau d’entités indépendantes partout dans le monde, via 882 sociétés présentes dans 130 pays. Aucun Etat n’est à même d’encadrer Total, puisque la firme évolue sur une échelle qui échappe à leur portée législative. C’est une firme qui, en étant éclatée et active dans un très grand nombre de secteurs, ne peut être réduite à sa seule filière pétrolière...."                      _______"...Christophe de Margerie [PDG du groupe de 2010 jusqu’à sa mort en 2014] disait : « Tant que ce n’est pas interdit, c’est permis. » Mais en affirmant « c’est légal », la firme ne dit pas que c’est parce qu’elle a parfois bénéficié de la complicité d’un Etat, d’autres fois parce qu’elle a profité de la passivité d’un parquet, d’un vide juridique ou de l’exploitation de la lettre de la loi au détriment de son esprit grâce à une armée d’avocats...."               _______ "...Elle profite du fait que les filiales ne sont pas solidaires de la maison mère et qu’elles sont donc des entités autonomes qui répondent de la législation du lieu où elles sont actives. Quand Total dit qu’elle a agit légalement aux Bermudes, ça veut dire que sa filiale respectait le droit des Bermudes, celle du Qatar, le droit Qatari… "   ___________