mercredi 19 octobre 2022

En passant...

 Après le 18 Octobre

                       Un mot (irrévérencieux?) de Céline. Pas un secret... Et pourtant, ils travaillent... L'épuisement guette.

                    Enseigner, ce n'est pas se taire...



Salut Pap, Alors, il paraît que tu veux que je travaille le midi Pap ? Toi aussi finalement tu trouves, comme des milliers de gens, que je n’en fais pas assez, qu’il faudrait que je travaille un peu plus ?

Déjà que je n’en branle pas une et que je passe mon temps à me plaindre, quand je ne suis pas en grève ou en vacances, il serait temps de se rebrousser les manches, hein Pap ? Finalement, Jean-Mich’ avait raison, n’est-ce pas ?
Comme tes prédécesseurs tu parles sans savoir, Pap. Parce qu’en fait, le midi, je travaille déjà. Selon les jours, je participe à des réunions, je siège dans des commissions éducatives, j’appelle ou je reçois des parents, je corrige des copies, je monte des projets avec mes collègues, je fais des photocopies... Mais ce n’est pas grave, parce que si tu préfères que je surveille Romain et Mohammed en train de tâter du ballon sur le bitume de la cour – toujours pas végétalisée - de mon collège, entre midi et deux, on trouvera une solution : on me collera les réunions le soir et les copies je les corrigerai après, quand j’aurai le temps. Quant aux projets et aux parents… on verra !
Parce que t’as dit que la violence des cours d’école et de collège t’effraie. Et tu penses que si tu nous envoies surveiller la cour, la violence va baisser. Ok Pap. Si tu le dis.
Pourtant, avant, je t’aimais bien. J’ai lu tes bouquins, j’ai largement partagé tes points de vue, j’ai apprécié tes prises de position, j’ai admiré ta constance et ta cohérence. Oui parce que tu sais, avant d’être maton de cour d’école, j’ai fait des études. Et tiens-toi bien : des études d’histoire. Comme toi. Et même que j’ai fait hypokhâgne et khâgne. Comme toi. Dans un « grand lycée parisien ». Comme toi. Et maintenant je suis professeur dans un collège un peu difficile, depuis 12 ans, et je gagne 1800 € par mois.
Pas comme toi.
Je suis fatiguée et usée Pap.
Cette proposition nous ramène encore et toujours au même constat : notre ministre, quel qu’il soit, pense qu’on ne travaille pas à temps plein. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Que ma coiffeuse ou mon voisin pensent ça, ok. Mais toi ? Tu es censé savoir que je travaille à temps plein. Je ne travaille pas que 18h par semaine. Personne ne réduit le temps de travail d’un restaurateur au service du midi, ou celui d’un avocat à sa plaidoirie. Alors pourquoi en ce qui nous concerne tout le monde pense toujours que nos cours se préparent seuls, que nos copies s’auto-corrigent, que des clones rencontrent les parents, se réunissent et montent les projets à notre place ? Je dépasse largement les 50h de travail par semaine, je bosse aussi pendant les vacances scolaires, mais bizarrement chaque nouveau ministre se dit que je pourrais bien en faire un peu plus.
Et, je t’en supplie, ne me parle pas des professeurs allemands qui, eux, surveillent la cour ! Ca tombe mal, parce que j’ai enseigné 4 ans en Allemagne, dans deux Länder différents et dans 3 établissements. Alors la comparaison je peux la faire toute seule, sauf que si on compare, il faut tout comparer.
Oui les professeurs allemands surveillent à tour de rôle la cour.
Oui les professeurs allemands enseignent entre 22 et 25h par semaine selon les Länder.
Mais 1h de cours dure 45 minutes en Allemagne contre 55 minutes chez nous, alors même si tu es plutôt un littéraire, Pap, tu peux faire un calcul rapide et te rendre compte que le temps devant élève est sensiblement le même (surtout qu’ici, on est plus à 20h d’enseignement en moyenne qu’à 18).
Un professeur allemand termine très rarement après 15h, contrairement à nous.
Et, le pauvre, il n’a pas mes 26 réunions annuelles qui ont lieu après 18h, il ne sait pas ce qu'il rate.
Lui, il remplace les collègues absents, et ça, ça vous plaît rue de Grenelle.
En revanche, il ne gagne pas un peu plus que moi, mais 2,5 fois plus.
Alors si tu veux qu'on fasse tout comme lui, il va falloir investir.
2,5 fois plus.
Bref, l’herbe est rarement plus verte ailleurs, que l’on choisisse l’un ou l’autre côté du Rhin, les collègues allemands ne sont pas mieux ou plus mal lotis, tout comme les professeurs des écoles ou des lycées, on souffre tous du même mal. Alors arrêtez avec ces comparaisons stériles qui n’ont qu’un but : diviser pour mieux régner afin, surtout, de nous faire travailler plus.
Et puis il y a un autre truc que je ne comprends pas et que je ne comprenais déjà pas du temps de Jean-Mich’. Moi je croyais que « revaloriser » cela voulait dire « mieux rémunérer », c’est-à-dire redonner de la valeur à une profession, mieux la considérer, notamment financièrement. Mais non, apparemment rue de Grenelle, « revaloriser » ça veut dire « travailler plus ». Si tu me paies plus parce que je travaille plus, ce n’est pas une revalorisation, parce que le taux horaire reste le même non ? Qu’est-ce qui est revalorisé si tu me demandes d’aller surveiller la cour en échange de quelques billets ?
Je suis fatiguée et usée Pap.
La seule vraie réforme qui pourrait un peu améliorer le système c’est de baisser le nombre d’élèves par classe. 20 dans l’idéal, 25 si on veut trouver un compromis. Pour le bien de tous. Mais il paraît que ça coûte cher. Si tu as besoin de crédits, va faire un tour du côté de chez Wauquiez. Il paraît qu’en son château de La Chaize il donne des dîners pour 1100 € par tête par soirée financés intégralement avec de l'argent public. Un élève de collège coûte 6000€ par an, je pense que Lolo pourra t’aider.
Sans baisse d’effectifs, rien ne fonctionne ni ne fonctionnera : ni l’inclusion, ni la différenciation pédagogique, ni la construction d’une vraie mixité. Rien. Ma salle de classe est devenue une cour des miracles que je tente malgré tout de tenir et d’intéresser, mais pour combien de temps encore ?
Il y a deux ans, mon collègue, notre collègue, Samuel Paty était décapité. Sa famille porte aujourd’hui plainte contre ton ministère et celui de l’Intérieur. La hiérarchie l’a abandonné, l’a renvoyé vers un « référent laïcité », ne l’a pas écouté ni protégé. Le jour de sa mort on a retrouvé un marteau dans son sac.
Il est venu travailler avec un marteau.
Dans ton « pacte enseignant » Pap, t’as prévu un marteau ?

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