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Le numérique et nous (bis repetita) . Histoire d'une schizophrénie
Nous sommes en plein dedans, que nous le voulions ou pas, que nous en soyons conscients ou pas, que nous le refusions ou pas. Nous sommes baignés dans un univers virtuel sans même nous en rendre compte. Un univers qui ne pourra que croître. Pour le meilleur ou pour le pire. Pour les avancées technologiques et médicales qu'il nous permet, dans le meilleur des cas. Pour l'importance souvent démesurée que nous accordons à certaines données discutables à certains de ses emplois, devenus envahissants, chronophages, voire aliénants. Les récentes avancées dans le domaine de l'IA que nous concoctent les gars parfois illuminés de la Silicon Valley, qui ont des moyens considérables et un projet sociétal et politique derrière la tête, devraient nous alerter. Les conséquences de la course en avant vers le tout numérique sont déjà bien visibles, même ai niveau de la vie quotidienne. Les injonctions qui nous poussent à nous "moderniser" dans les plus brefs délais ne fait pas que des chanceux ou des winners. Et il y a les risques et les coûts finaux. Et la 5 G laisse entrevoir des dimensions nouvelles. Il n'y aura pas de réversibilité, on s'en doute, malgré les défaillances parfois problématiques: on le voit quand un hôpital est paralysé par un piratage inattendu, quand un service ne répond plus suite à une panne massive de réseau. S'est mis en place un système certes performant mais fragile et énergétivore, quelles que soient les précautions et les rustines.
Mise à part cette fragilité, il y a un aspect ignoré que l'on peut appeler la "pollution numérique", car ce que nous considérons comme "'immatériel" est tout à fait matériel, avec des impacts non négligeables sur l'environnement. Le bilan carbone n'est pas neutre, loin de là, que ce soit dans l'extraction des matières nécessaires ou dans l'énergie croissante que nécessite son fonctionnement. Certains l'avaient déjà noté depuis un moment; G. Pitron étudie le problème sous toutes ses facettes, après un travail minutieux de recherche, comme il l'avait déjà fait avec la question du "tout électrique" dans le domaine automobile, jugé déraisonnable si l'on y regarde de près. Nous allons à grands pas vers une "obésité numérique", dont nous ne sommes guère conscients, une fuite en avant inscrite dans le processus en cours, qui connaîtra, certes, des mutations, mais qui ne changera pas de nature. De ce point de vue, l'avenir peut paraître hallucinant. Le problème est que nous pourrons de moins en moins envisager un retour en arrière, ni même des inflexions significatives. Du moins avec les perspectives d'aujourd'hui. "Pour un selfie de plus..." comme note l'auteur, un like envoyé, multiplié des milliards de fois, des masses de messages et des photos envoyés à la vitesse de la lumière, nous contribuons à renforcer l'impact écologique que nous souhaitons réduire par ailleurs. Notre ignorance sur la question est savamment entretenue surtout par ceux qui vivent de ces flux numériques toujours plus importants. ...Autant de questions que les utilisateurs d’outils connectés en tout genre ne se posent pas. _____Et pourtant, la légèreté du net pourrait bien s’avérer insoutenable. Trois ans après sa formidable enquête sur les dessous des énergies vertes, "La guerre des métaux rares" (plus de 70.000 exemplaires toutes éditions confondues, traduit en plus de 10 langues) , Guillaume Pitron nous propose une enquête fascinante qui interroge le coût matériel du virtuel...." _ Sommes-nous au bord d'une prise de conscience sur les véritables coûts du développement incontrôlé des géants du net auquel nous participons allégrement, aveugles à la face cachée du système? Il y a beaucoup à apprendre sur les toujours croissantes consommations électriques de data center, etc...Plus de 10 % de la consommation mondiale électrique serait actuellement affecté à leur fonctionnement. Il y a aussi les effets parfois pervers de certaines applications, dont on nous dit qu'elles vont prendre le relai de certaines fonctions "intelligentes" et dont on attend beaucoup, voir de prendre le relai pas seulement de notre mémoire, mis de notre créativité... Or, comme le signale Anne Alombert, " La notion de « schizophrénie numérique » a pour fonction de décrire un tiraillement entre deux discours contradictoires qui semblent traverser notre époque : d’un côté, des discours au sujet de l’intelligence artificielle, de l’apprentissage automatique, des agents conversationnels, qui attribuent aux dispositifs technologiques des facultés humaines, et de l’autre, des discours scientifiques qui soulignent les effets néfastes des écrans sur les capacités d’attention, de mémorisation, de concentration. Tout se passe comme si les métaphores anthropomorphiques que nous utilisons pour décrire les machines servaient à masquer les effets des médias numériques sur nos cerveaux et nos pensées. Je crois qu’il faut dépasser cette alternative afin de se demander à quelles conditions les technologies numériques pourraient augmenter nos esprits individuels et collectifs. L’économie de l’attention a émergé avec l’affichage publicitaire et la presse imprimée, mais elle s’est surtout développée à l’époque des industries culturelles télévisuelles : comme l’affirmait en 2004 Patrick Le Lay, le PDG de TF1, le but d’une chaîne de télévision privatisée est de capter le « temps de cerveau » des téléspectateurs grâce aux émissions, afin de le rendre « disponible » pour les publicités. Les consciences sont ainsi vendues à des entreprises sous forme d’un espace-temps télévisé durant lequel elles pourront diffuser des messages publicitaires. Les technologies numériques ont d’abord rompu avec cette logique : elles constituent des médias bi-directionnels permettant aux récepteurs passifs de devenir des producteurs contributifs. Les individus ne sont plus soumis à la temporalité et aux contenus des programmes télévisés, mais peuvent naviguer selon leurs désirs et produire eux-mêmes les contenus. Néanmoins, le passage du Web à l’Internet des plateformes a changé la donne : les dispositifs dominants appartiennent désormais à des entreprises privées d’ampleur planétaire qui fondent leurs modèles d’affaires sur la collecte des données, la génération automatique de profils et le ciblage publicitaire. Les technologies numériques deviennent ainsi des « technologies persuasives », qui influencent les utilisateurs à leur insu en leur suggérant des publicités adaptées et en les incitant à réagir de manière immédiate aux injonctions des algorithmes. Le caractère immersif et ubiquitaire de nos appareils numériques connectés à toute heure du jour et de la nuit rend l’économie de l’attention beaucoup plus puissante et beaucoup plus dangereuse qu’aux époques précédentes, comme en témoigne les nouvelles pathologies attentionnelles qui émergent. Aujourd’hui, une technologie comme ChatGPT peut nous délivrer toutes sortes de contenus textuels très bien construits, mais nous sommes à l’égard de ces textes dans la même position que les auditeurs des sophistes : nous n’exerçons pas nos capacités d’interprétation, de réflexion, de critique et de délibération, nous recevons bêtement un texte automatiquement produit (ni évalué ni certifié). Nous croyons que ce contenu est gratuit, mais à travers l’utilisation du dispositif, nous entraînons les algorithmes : c’est donc l’entreprise OpenAI qui nous utilise, après nous avoir séduit ! En ce sens, un dispositif comme ChatGPT ressemble aux sophistes. Mais heureusement, le numérique ne se réduit pas à ce type de technologie....Tous les réseaux sociaux ne diminuent pas notre sociabilité : par exemple, une encyclopédie collaborative comme Wikipédia constitue bien une sorte de réseau social à travers lequel les différents contributeurs partagent leurs savoirs, délibèrent ensemble et construisent une œuvre collective au service de l’humanité. Et une plateforme numérique comme Bippop constitue un réseau social permettant de renforcer les solidarités locales. En revanche, les réseaux sociaux fondés sur le profilage des individus, l’exposition de soi et la quantification des vues risquent d’exacerber la concurrence entre les individus, le besoin de reconnaissance sociale et les tendances mimétiques ou réactives : il s’agira alors de publier les contenus les plus nombreux et les plus sensationnels possible, ou de réagir le plus vite possible, afin d’accumuler les clics – ce qui permet aux entreprises de maximiser leurs profits, en maintenant les utilisateurs connectés. Ce type de technologie accentue les narcissismes individuels et ne permet pas la constitution de communautés de pairs. Mais on voit bien à travers ces exemples que ce n’est pas le numérique en tant que tel le problème : le problème est de concevoir et de développer des dispositifs numériques renforçant les solidarités locales et l’intelligence collective.... "________________________
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