samedi 22 juillet 2023

Décroissance en question

Dans le vent? (notes de lectures)

                           Voilà un thème qui fait florès dans certains milieux écologiques, mais qui est âprement discuté. Avec raison. Car si l'idée, bien que radicale, peut paraître comme l'unique solution comme parade à l'évolution climatique préoccupante, en prônant un mouvement global inverse de la logique suivie depuis le début de l'ère industrielle: la course en avant vers toujours plus de biens, de technologies et de ressources en tous genres, on voit mal comment on pourrait, dans les perspectives actuelles, à l'échelle mondiale, opérer un tel renversement. Si un retour en arrière n'est pas envisageable sans drame, un arrêt de la course folle et mortifère qui nous pousse vers plus de dégradations du milieu et du climat, en même temps que des ressources naturelles, à commencer par les plus vitales, semble possible et urgent pour d'autres. Il y a bien des perspectives dans les différents milieux écologiques et maintenant les décideurs politiques, à la suite des avertissements déjà anciens et prémonitoires de René Dumont et plus récemment de Serge Latouche. Certains, se voulant réalistes, prônent un changement de paradigme, pour procéder à un tournant rapide et radical, en prônant plus de progrès et de technologies fines pour faire face pragmatiquement aux défis qui nous attendent: ce serait par plus de sciences et plus de technologies d'une autre nature que nous pourrions faire face de façon acceptable, aux défis qui sont déjà d'aujourd'hui. Le débat est loin d'être clos...Il est même devenu parfois âpre.   Il se durcit même, dans une grande incertitude, aux USA:   


                                                                                                               "...Une modélisation de l’Université de Princeton suggère que réduire à zéro les émissions d’ici 2050 requerra, entre autres, entre 80 et 120 millions de pompes à chaleur, une multiplication par cinq des capacités de transmission électrique, 250 grands réacteurs nucléaires (ou 3,800 petits), et le développement d’une industrie complètement neuve – de séquestration carbone. Ainsi, comprend-on pourquoi la gauche radicale, dans sa grande majorité, est en faveur d’investissements publics massifs et planifiés. Dans cette perspective, l’émergence de nouvelles relations sociales dans la production permettra le développement des forces productives nécessaire pour faire face à cette crise historique. ... les « décroissants » en appellent aux « frontières planétaires » – dont les enjeux excèdent ceux du changement climatique, et intègrent ceux de la diversité des écosystèmes ou de la préservation des réserves d’eau. Bellamy Foster écrit : « la science a établi, sans l’ombre d’un doute, que dans l’économie de notre « monde plein » (full-world economy), il faut agir dans le cadre d’un budget d’ensemble du système-Terre, qui tienne compte des flux physiques à disposition ». Cette proclamation sans appel est étrangement suivie d’une citation d’un article vieux de deux décennies, dont l’auteur n’est autre que Herman Daly, partisan d’un contrôle démographique et migratoire [il s’agit d’un proche compagnon de route des fondateurs du Club de Rome et des auteurs du « rapport Meadows » Halte à la croissance ? S’il prétend que son analyse est d’inspiration marxiste, il réactualise également des thèses malthusiennes NDLR].    
Mais sitôt le concept de « frontières planétaires » proposé, il fut intensément débattu et critiqué par des scientifiques de plusieurs bords. Et quand bien même on accepterait que les débats scientifiques sur cette notion soient clos, il n’est aucunement certain que la décroissance ou les réductions agrégées offrent une issue adéquate. Une fois encore : la solution au changement climatique pourra difficilement faire l’économie d’une expansion massive de la production et des investissements en infrastructure......       Que l’on se souvienne que les dangers qui pesaient sur l’une de ces « frontières », l’appauvrissement de la couche d’ozone, ont été combattus à l’aide d’un simple changement technologique initié en 1987 par le protocole de Montréal. Ne peut-on pas poser comme principe que chaque « frontière » est d’une grande complexité, et que leur respect réside une transformation qualitative de secteurs productifs spécifiques, plutôt que des engagements abstraits ou généralisant à « décroître »....                                                 l’article de Bellamy Foster démontre que la décroissance constitue une forme d’austérité, dans le sens originel du terme : un engagement budgétaire à respecter certaines contraintes. Les « décroissants » ne prônent pas des coupes dans les budgets actuellement existants, mais leur discours est imprégné d’un imaginaire de comptabilité et de restriction.    Pour Bellamy Foster, la décroissance équivaut à « une formation nette de capital équivalente à zéro » (net zero capital formation), et il en appelle à quelque chose qu’il nomme « un budget pour le système-Terre », et proclame que « la croissance continue qui se produirait dans certains secteurs de l’économie serait rendue possible par des réductions ailleurs ». Alors que les gouvernements cherchent à équilibrer leurs budgets en termes monétaires, les décroissants se fondent sur des concepts quantitatifs tout aussi abstraits comme les « flux matériels ».            Un tel indicateur, comme le PIB lui-même, ne serait pas d’une grande utilité pour mesurer des progrès accomplis en matière écologique. Comme l’écrit Kenta Tsuda, dans sa version la plus brute, il échoue « à rendre compte des maux écologiques différenciés en fonction des matériaux – traçant un trait d’équivalence entre du charbon réduit en cendres et des déchets alimentaires déposés dans un compost ». Un engagement quantitatif à « une formation nette de capital équivalente à zéro » induirait un cadre mental austéritaire où tout accroissement devrait être compensé.                                                                                                                                  Pointer les limites stratégiques du concept de décroissance est une chose – dans un système capitaliste caractérisé par la privation, qui voudrait soutenir un programme centré sur des restrictions supplémentaires ? Souligner ses limites conceptuelles en est une autre. Et l’un des problèmes majeurs du concept de décroissance est qu’il induit qu’un programme de gauche doit porter l’idée de profondes limitations – là où la promesse historique du socialisme est de libérer le potentiel humain de l’étroitesse du capitalisme et des impératifs marchands.   Bien sûr, il ne faut pas balayer d’un revers de la main une potentialité : les moyens de production saisis, la science pourrait nous informer qu’il est nécessaire de « décroître » collectivement – mais pourquoi en ferait-on un prérequis ?     L’article de Bellamy Foster contient d’autres affirmations étranges. Ainsi, dire que « le travail devrait se substituer à l’énergie fossile » équivaut à rien de moins que faire l’apologie d’une économie davantage intensive en travail – autrement dit, d’une économie de corvée. Au coeur du « socialisme décroissant » de Bellamy Foster, ne trouve-t-on pas une tentative comme une autre de repeindre l’idéologie environnementaliste des années 1970 dans une couleur marxiste ?    Bellamy Foster termine son article en citant l’économiste Paul Barran, qui définit le socialisme comme « la planification du surplus économique » – pour ajouter aussitôt que les impératifs écologiques devraient nous conduire à une « réduction de ce surplus économique ». Pourtant, le concept de Barran semble utile. Un monde socialiste requerrait un « surplus » : la question qui se pose est celle de son utilisation...."    _______________                                                                                    

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