mardi 17 octobre 2023

Pour une nouvelle constitution?

Question en suspens

            Régulièrement, au fur et à mesure des crises politiques internes les plus importantes, apparaît la nécessité de modifier en profondeur les règles fondamentales qui président au fonctionnement du pouvoir. Certains en soulignent l'urgente nécessité et ce n'est pas la première fois dans notre histoire récente, au vu des blocages, des impasses institutionnelles, de la perte de sens civique, de l'abstention électorale de plus en plus massive.  Les promesses de réforme en haut lieu, opportuniste, ne semblent pas entraîner l'adhésion générale.. Ce qu'on a pu appeler "fatigue démocratique" trouverait-elle sa solution dans une réforme fondamentale à la marge? L'excessive concentration du pouvoir et sa nature  pyramidale peuvent-elles être modifiées par referendum?   


                                                                                   Sa faisabilité est toujours techniquement possible. Mais en droit?         "...En matière constitutionnelle rien n’est jamais acquis. Alors que les grands prêtres de l’État de droit, sous l’ombre tutélaire du Conseil constitutionnel, se félicitaient, depuis une vingtaine d’années, de la consolidation du régime politique, désormais « apaisé », connaissant à la fois la stabilité, propice au bon gouvernement, et l’alternance, gage de démocratie, voilà que la Ve république, que l’on pensait inébranlable, vacille sur ses bases. À gauche comme à droite, des voix s’élèvent, de plus en plus nombreuses, de plus en plus pressantes, pour en finir avec la Ve République. La question constitutionnelle, dans son rapport avec le fonctionnement de la démocratie, longtemps éclipsée par l’alternance de 1981 et le ralliement mitterrandien à la Ve République, retrouve toute son actualité.                                                

Il y a là comme un mystère, que les historiens éclairciront sans doute un jour. Au début du xxie siècle, sans préavis, ce qui était devenu fatalité – le pouvoir fort pour garantir la stabilité gouvernante – se perçoit désormais comme arbitraire. Le glorieux uniforme gaulliste, pour avoir tant servi, usé jusqu’à la corde, laisse sourdre la mystification. L’ordre constitutionnel, pourtant garant de la paix civile, de la juste répartition des pouvoirs et des valeurs qui nous constituent, se révèle oppressant. Les charges du pouvoir nous semblent devenues d’exorbitants privilèges. Le politique, miroir tendu à la société, ne laisse plus voir que scandale et imposture.

4Au-delà du constat, le concert des critiques et des appels au changement n’est pourtant qu’un brouhaha discordant. Tandis que les tartuferies cohabitationistes et le pitoyable feuilleton de l’impunité pénale du président de la République accroissent le sentiment de crise, on peine à discerner dans la classe politique une véritable réflexion constitutionnelle. À l’approche des prochaines échéances électorales, le mince catalogue des réformes proposées reste étonnamment timide. Même les plus iconoclastes, à la remarquable exception du député Arnaud Montebourg, semblent reculer devant l’obstacle, comme s’ils étaient finalement effrayés par l’idée de porter atteinte à ce mémorial du génie franco-gaulliste qu’est devenue la Constitution de 1958.

5Pourtant, le diagnostic des maux de la Ve République est aisé à établir et les solutions pour y remédier fort simples à mettre en place du point de vue de l’ingénierie constitutionnelle.

6               La Constitution de la Ve République, comme aiment à le rappeler les manuels de droit constitutionnel, a été conçue pour renforcer le pouvoir exécutif au détriment du Parlement, s’inscrivant ainsi dans une tendance générale des démocraties contemporaines. Ce que l’on souligne moins souvent c’est qu’elle est la traduction d’une conception technocratique du politique, portée par des groupes très divers (fractions « modernisatrices » de la haute fonction publique, du patronat, du syndicalisme ouvrier et agricole), qui conteste la légitimité même de la représentation partisane et élective des intérêts sociaux et qui développe toute une mystique du chef, seul porteur de l’intérêt général et garant ultime de la paix sociale, devant donc rester à distance des conflits « politiciens [1][1]Voir D. Dulong, Moderniser la politique. Aux origines de la … ». Ce que l’on oublie également de dire à propos de notre Constitution c’est qu’elle a été principalement pensée pour permettre à l’exécutif de gouverner en l’absence de majorité. Dans les années cinquante, nul n’imagine la possibilité d’un regroupement partisan constitué préalablement à une consultation électorale et soutenant fidèlement le gouvernement sur la durée d’une législature. D’où une entreprise systématique, et même brutale, de verrouillage des relations entre l’exécutif et le législatif, ce que le langage juridico-technocratique baptisera de « rationalisation du parlementarisme ». Qu’il s’agisse du vote de la loi ou du contrôle du gouvernement, voire de l’interprétation de la Constitution, le Parlement est de fait dépossédé de ses prérogatives traditionnelles 

[2]Sur tous ces points, voir B. François, Le régime politique de…. L’entreprise gaulliste, si elle peut paraître rétrospectivement excessive, est parfaitement cohérente avec le projet qui la sous-tend, celui de faire face par la seule architecture constitutionnelle aux dérèglements, supposés congénitaux, du parlementarisme. La Constitution est bâtie pour fonctionner dans l’adversité, pour gouverner dans l’exception et par la soumission.  L’instauration de l’élection du président de la République au suffrage universel ainsi que l’apparition, puis la consolidation (dans les années soixante-dix), du « fait majoritaire » vont changer radicalement la donne de départ même si elles semblent accréditer l’idée que le pari de la Ve République – rénover et stabiliser la vie politique grâce à une nouvelle constitution – a été gagné. Le Président n’est plus un « arbitre » (s’il l’a jamais été) mais le chef d’une majorité politique dont il dépend tout autant qu’il cherche à la faire dépendre de lui. Le gouvernement n’a plus à craindre l’absence de majorité et dispose, au besoin, d’instruments surdimensionnés pour imposer la discipline à son propre camp.  Cet aggiornamento a eu une conséquence délétère considérable. Elle a vidé de toute réalité cette règle de fond du parlementarisme et de la démocratie qu’est la responsabilité politique des gouvernants [3][3]Laissant alors la porte ouverte à une véritable régression …. Le président de la République, bien que disposant d’importants pouvoirs de gouvernement, est politiquement irresponsable, d’après la lettre même de la Constitution. Nul ne peut contrôler ses actes et, éventuellement, l’obliger à quitter son poste. Même la défaite électorale – comme l’a illustré la dissolution de 1997 – n’a aucun effet… Quant au Premier ministre, par une bizarrerie « coutumière » bien française, il est (hors contexte de cohabitation) simultanément responsable devant l’Assemblée nationale et devant le président de la République. En raison du « fait majoritaire », la première contrainte est virtuelle (tellement virtuelle que les Premiers ministres ne se sentent pas toujours tenus d’engager la responsabilité de leur gouvernement devant l’Assemblée nationale au moment de sa formation), tandis que la seconde est bien réelle. Mais quel sens a-t-elle alors ? « Le Premier ministre est un fusible » a-t-on théorisé pour essayer de fonder en nature cette incongruité constitutionnelle. Serait-ce dire qu’il « saute » quand le courant passe trop entre lui et les représentants du peuple et pas suffisamment entre lui et le Président ? La responsabilité politique se réduirait alors à la vieille règle féodale du rapport de vassalité ! « Double » responsabilité extraordinairement ambiguë car le Premier ministre n’est de fait responsable que devant un président de la République qui est, lui, politiquement irresponsable. La question « Qui gouverne ? », qui gêne tant les constitutionnalistes lorsqu’ils cherchent à décrire le régime de la Ve République, se double ainsi d’une autre interrogation, plus cruciale : qui est responsable de l’action gouvernementale ? Silence embarrassé"…       ________________________

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