Essayer (encore) de contextualiser. Dans cette complexité redoutable Après d'autres.
Même si comprendre, autant que faire se peut, n'est pas justifier, excuser, Pour tenter d'éviter le pire et envisager une sortie d'un conflit pour l'instant improbable. La haine ne fait pas l'unanimité...
"Lee Proche-Orient est plus calme aujourd’hui qu’il ne l’a été depuis vingt ans. » Lorsqu’il intervient, le 29 septembre, à la conférence annuelle du site The Atlantic, M. Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, veut voir dans la normalisation de la relation entre Israël et plusieurs pays arabes le signe de l’apaisement dans la région. Plus calme ? La même semaine, des heurts à la frontière de Gaza opposent pourtant les forces de sécurité israéliennes et des Palestiniens venus clamer leur droit de revenir sur la terre de leurs aïeux, faisant écho aux « marches du retour » de 2018 et 2019 lors desquelles 200 manifestants avaient perdu la vie sous les balles des snipers israéliens. Plus calme, vraiment ? Le 26 septembre, le coordonnateur spécial pour le processus de paix au Proche-Orient, M. Tor Wennesland, informe le Conseil de sécurité des Nations unies de la poursuite illégale, au regard du droit international, de la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Établi à la fin du mois d’août par plusieurs organisations israéliennes de défense des droits humains, un bilan pointe de son côté la persistance des violences dans les territoires occupés : entre le 1er janvier et la fin août, 220 Palestiniens y ont été tués par l’armée de Tel-Aviv ou par des colons (2). Tout cela ne semble donc guère émouvoir M. Sullivan. Après tout, comme l’affirme une noukta (« blague ») souvent entendue dans le monde arabe, la situation au Proche-Orient n’est considérée comme inquiétante que lorsque les Palestiniens ne sont plus les seuls à subir la violence.
Une semaine plus tard, la donne change de manière dramatique. Le « Déluge d’Al-Aqsa » — nom de code de l’attaque surprise menée en Israël le 7 octobre par plusieurs organisations armées palestiniennes sous l’égide du Hamas et de sa branche militaire, les brigades Izz Al-Din Al-Qassam — fait entrer la région dans une ère de grande incertitude. Le nombre élevé de victimes israéliennes (1 400 morts, dont une majorité de civils massacrés), l’importance du traumatisme au sein de la population, dont une grande partie rend le gouvernement de M. Benyamin Netanyahou responsable du désastre, la réponse radicale de Tel-Aviv, qui a déclenché l’opération « Glaive de fer », une campagne de bombardements aériens massifs qui ont fait — selon un décompte arrêté au 23 octobre — plus de 5000 morts et des milliers de blessés civils, rendent impossibles tout retour à la situation antérieure. ________________Chercher à expliquer n’est pas justifier : pourquoi donc le Hamas et ses alliés ont-ils déclenché cette attaque, dont ils ne pouvaient ignorer qu’elle appellerait une telle réponse terrible pour la population civile de l’enclave ? Comme le relève la chercheuse Sophie Pommier, la stratégie du parti islamiste se veut en premier lieu une réponse au maintien du blocus infligé à Gaza depuis 2007 par Israël mais aussi l’Égypte.. Autre motif invoqué par le chef du bureau politique du Hamas: l’aggravation de la politique d’occupation et de colonisation, la multiplication d’incidents sur l’esplanade des Mosquées ainsi que les provocations incessantes de M. Itamar Ben-Gvir, ministre de la sécurité intérieure israélien, qui a durci les conditions de détention de quelque six mille prisonniers palestiniens. L’attaque par des colons de la petite ville palestinienne de Huwara en Cisjordanie, le 26 février dernier, a beaucoup marqué les Palestiniens de Gaza, persuadant nombre d’entre eux que le gouvernement d’extrême droite dirigé par M. Netanyahou était décidé à user de la manière forte pour expulser une partie de la population de ces territoires. « Je pense que Huwara devrait être anéantie », avait ainsi déclaré le ministre des finances israélien, M. Bezalel Smotrich, alors que le général israélien chargé des troupes déployées en Cisjordanie, M. Yehuda Fuchs, n’hésitait pas à qualifier ces violences de « pogrom » dirigé contre les Palestiniens. À la suite de ces événements, les discours eschatologiques se sont multipliés sur les réseaux sociaux palestiniens, et une rumeur tenace s’y est propagée : Tel-Aviv préparerait l’envoi de deux millions de colons pour submerger la population palestinienne de Cisjordanie.
Avec son attaque, le Hamas se targue d’être le porte-drapeau de la résistance palestinienne ). L’Autorité palestinienne, elle, en est réduite depuis des années à endosser le rôle de supplétif de Tel-Aviv pour les questions de sécurité et de maintien de l’ordre (lire « L’échec de la solution à deux États »). Sa décision de tirer à balles réelles à Jénine et à Ramallah sur les manifestants qui réclamaient le départ du très impopulaire président Mahmoud Abbas, 87 ans, après le bombardement de l’hôpital Al-Ahli (17 octobre) ne manquera pas de renforcer l’ascendant politique du Hamas. Ce dernier revendique aussi d’avoir démontré au monde entier qu’aucune manœuvre diplomatique ne saurait faire disparaître la centralité de la question palestinienne. Au cours des dernières années, la normalisation entre plusieurs pays arabes (Émirats arabes unis, Bahreïn, Maroc, Soudan) et Israël a relégué le sort des Palestiniens au second plan. Il est encore trop tôt pour savoir si la nouvelle guerre de Gaza sonne le glas des accords Abraham de 2020, qui ont permis ce rapprochement sous la houlette de l’administration de M. Donald Trump. Il est tout aussi prématuré de dire que c’en serait fini des discussions entre Tel-Aviv et Riyad (lire « Riyad - Tel-Aviv, coup de frein à la normalisation »), mais une chose est certaine : ce processus est enrayé. Même si les régimes arabes concernés ne se préoccupent guère de ce que pensent leurs opinions publiques, ils ne pourront pas faire abstraction de la persistance d’un fort attachement à la cause palestinienne, comme en avaient d’ailleurs déjà témoigné les signes de solidarité de nombre de joueurs et supporteurs du Maghreb et du Machrek lors de la Coupe du monde de football au Qatar.
Dans sa propagande ayant suivi l’attaque, le Hamas entend capitaliser sur ce qu’il présente comme des victoires militaires : franchissement en une trentaine d’endroits de la barrière de sécurité réputée hermétique, sites stratégiques (poste-frontière d’Erez, quartier général de la division chargée de Gaza, etc.) investis pendant plusieurs jours et capture de plusieurs dizaines de soldats transférés comme prisonniers de guerre dans l’enclave. Alors que les chancelleries et les médias occidentaux, notamment en France (lire « En direct des chaînes d’information en continu »), ont surtout retenu les exactions à l’encontre des populations civiles, le Hamas insiste sur le fait qu’il a pénétré en profondeur le territoire israélien (chose que le Hezbollah libanais n’a jamais réalisée). Un discours qui fait mouche dans un monde arabe résigné depuis longtemps à l’idée d’une écrasante suprématie de l’armée israélienne, notamment grâce à son aviation et aux équipements de pointe fournis par les États-Unis.
Mais le Hamas devra aussi assumer toutes les conséquences de son attaque. Les cadavres de Gazaouis et les destructions ne se comptent plus, et l’on se demande comment cette terre — qui a déjà subi six guerres en dix-sept ans — se relèvera de tant de dévastations. L’attention du monde se porte sur Gaza, mais en Cisjordanie la colonisation reprend de plus belle. Déchaînés, les colons, protégés par l’armée, cherchent tous les jours à en découdre avec une population terrifiée et abandonnée à son sort (7). Sont particulièrement visés les Bédouins des villages isolés en zone rurale. Entre le 7 et le 17 octobre, cinquante-huit Palestiniens ont été tués par l’armée et plusieurs centaines emprisonnés.
Mais ce dont devra surtout répondre le Hamas, c’est du massacre de civils israéliens désarmés, dont plusieurs dizaines de jeunes réunis pour une rave party dans le désert à proximité de Gaza, et des tueries commises dans le kibboutz de Kfar Aza (lire « Barbares et civilisés »). Ces exactions qui entrent dans la catégorie des crimes de guerre ont aussi choqué des sympathisants de la cause palestinienne à travers le monde, sans compter le fait qu’elles ont révulsé une grande partie du camp de la paix en Israël. Comme le recours à la prise de civils en otage, contraire au droit de la guerre, de tels actes amènent nécessairement à se poser la question de l’avenir politique du Hamas et de sa participation à d’éventuelles négociations de paix. Qui, en Israël, y compris à gauche, acceptera désormais de dialoguer avec lui ? L’un des enjeux de la guerre est d’ailleurs de savoir jusqu’où ira la vengeance de Tel-Aviv. Plusieurs de ses responsables ont appelé à l’éradication du parti islamiste — chose impossible — ou, tout du moins, à son élimination de Gaza. Cette seconde option repose sur un scénario qui s’est dessiné dès les premiers jours ayant suivi l’attaque du 7 octobre. En exigeant des populations civiles qu’elles se regroupent dans le sud de l’enclave, Israël a donné l’impression de préparer leur expulsion définitive vers le Sinaï égyptien. Toutefois, Le Caire ne veut pas entendre parler de camps de réfugiés palestiniens sur son sol, et l’administration américaine semble hostile à un tel déplacement, synonyme d’une nouvelle nakba (« catastrophe »).
« Il ne faut plus se contenter de tondre le gazon », appelaient plusieurs messages rageurs d’internautes israéliens sur le réseau X (ex-Twitter). Pour eux, Israël ne doit pas se contenter de reproduire le scénario des guerres précédentes, à savoir la réplique militaire, la négociation via le Qatar et l’Égypte, puis le retour au statu quo précaire avec un Hamas continuant de gérer l’enclave en attendant un nouvel embrasement. À entendre les déclarations des membres du gouvernement de M. Netanyahou mais aussi de responsables militaires, il s’agirait de « reconfigurer Gaza » pour ensuite transmettre les clés à un nouvel acteur. Lequel ? Mystère. À ce stade, ni l’Égypte ni l’Autorité palestinienne ne semblent capables de jouer un tel rôle. Quant à M. Netanyahou, il devra, dans la double hypothèse de son maintien au pouvoir et d’un affaiblissement majeur du Hamas, se trouver un ennemi de rechange aussi utile que le premier, qui permet de conférer un caractère religieux à un conflit de décolonisation. Le chef de l’exécutif ne déclarait-il pas en mars 2019 devant des parlementaires de son parti, le Likoud : « Quiconque veut contrecarrer la création d’un État palestinien doit soutenir notre politique de renforcement du Hamas et du transfert d’argent au Hamas. Cela participe de notre stratégie : isoler les Palestiniens de Gaza de ceux de Cisjordanie » ? À moins que la guerre ne débouche sur une initiative de paix comparable à celle de Madrid en 1991, l’un des rares moments où les États-Unis avaient forcé Israël à s’installer à la table des négociations."[Akram Belkaïd _ Merci au Monde Diplomatique_ souligné par moi)_________________
__Quand se retrouveront-ils, et dans quelles conditions?...___________
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