L'arbre et le capitaliste
On ne soulignera jamais assez que les forêts doivent être protégées, dans leur exploitation (rationnelle) elle-même. Certains se disent vertueux en ce domaine, mais se conduisent comme des prédateurs. La firme IKEA, qu'on ne présente plus, faisant l'objet d'un documentaire approfondi sur Arte, n'a pas beaucoup de scrupules pour se servir abondamment en fonction de ses besoins marchands considérables. Il n'y a pas que la Chine qui vient se servir en France, pour ses industries de transformations du bois, sans qu'on s'en émeuve beaucoup à Paris ou à Bruxelles. A Pékin, on adore les chênes. La gestion technocratique et profitable prime sur les perspectives à long terme, hélas! Le marketing "éthique" de la multinationale suédoise, à l'opacité reconnue, n'a pas cette vision, mais est rivée à l'immense marché qui s'ouvre toujours plus à elle. Business first! La destruction sauvage de certaines forêts primaires semble ne pas poser problème aux responsables de l'enseigne bien connue. Les Roumains en savent quelque chose. Les Brésiliens aussi.Un coût élevé pour la nature. Une stratégie de greenwashing...
La France reste un pays où la forêt reste remarquable par sa surface et la diversité de ses essences. Malgré les canicules successives dans certaines régions, qui affectent surtout les conifères par un développement important de scolytes qui force à l'abattage, nous n'en sommes pas comme dans certaines régions du monde où les pics extrêmes de chaleur deviennent extrêmement problématiques. Mais les garde forestiers sonnent le tocsin, dénonçant la dérive purement commerciale de la gestion des bois et revendiquant une vision de l'avenir avec d'autres enjeux. "...L’ONF n’est pas en déficit, il est en manque criant de financements, c’est différent ! Le vocabulaire que l’on utilise a un sens. Un service public existe parce qu’il répond à des missions d’intérêt général qui nécessitent des investissements sur le long terme ; il n’a pas pour but premier d’être rentable. L’ONF a un rôle de protection et de police qui ne peut pas répondre à des objectifs purement financiers. Nos forêts ne sont pas des usines à bois. Elles captent le carbone, filtrent l’eau, préservent la biodiversité. Ce sont d’abord et avant tout des biens communs. Nous devons donc changer le modèle économique de l’ONF. Aujourd’hui, il est clair que nous ne pouvons plus financer un service public principalement avec les recettes issues de la vente du bois des forêts publiques. Depuis plusieurs décennies, les cours du bois sont orientés à la baisse comme la plupart des matières premières agricoles. En trente ans, la récolte en forêts d’État a augmenté de 30 % mais les recettes ont diminué de 30 %. Cela ne peut plus continuer ainsi, d’autant que la situation risque de se dégrader davantage avec le changement climatique, l’augmentation des sécheresses, des tempêtes et des pathogènes. Nous devons rompre avec ce modèle qui pousse au productivisme au détriment des écosystèmes...". Un modèle de gestion économique qui coûte cher: nous exportons du bois qui nous revient en meubles que nous ne fabriquons plus chez nous. Et une déforestation accélérée dans d'autres pays. La France peut se vanter de posséder un domaine forestier parmi les plus importants et les plus variés d'Europe, dont la gestion ne peut être laissée au hasard, aux bons vouloirs des autorités locales et surtout des particuliers, voire des lobbies commerciaux, mais elle suppose surveillance, contrôle, gestion dans le temps avec une vision d'avenir, pour une pérennité garantie dans la diversité des adaptations au cours du temps.Les arbres se développent au-delà de nos courtes vies, de nos projections limitées et on en connaît mieux l'importance d'un point de vue écologique. Ils ne sont donc pas seulement des éléments "bons à abattre" pour le chauffage ou les scieries, ils nécessitent surveillance, soins, intelligence et souci d'avenir. Les ventes de bois sont nécessaires, de manière raisonnable, souvent dans l'intérêt même de la forêt elle-même. ______ Mais, depuis un certain nombre d'années, le monde des forestiers vit assez mal les différentes réformes qui affectent leur activité et qui se profilent à l'horizon. Certaines les touchent particulièrement, dans la tendance constatée un peu partout, sous la pression libérale, notamment celle consistant à privatiser leur fonction et à réduire drastiquement leur nombre, dans la perspective d'une gestion à court terme et au nom de la rentabilité, qui ne serait pas au rendez-vous. ___Un grand nombre de forestiers sont en plein désarroi et le font savoir, malgré leur petit nombre. Les nouvelles tendances gestionnaires, comme la spécificité de leur statut particulier, les mènent à se manifester, à sortir de leur silence traditionnel. Ils dénoncent purement et simplement un démentèlement de l'ONF ainsi que certaines dérives mercantiles, qui ne sont pas propres à leur secteur d'activité. IL s'agit de la forêt publique, qu'ils estiment en danger, toutes associations réunies. Ils remettent en question une tendance lourde ou insidieuse: ___ "....En proposant de généraliser les possibilités de recrutement d’agents contractuels de droit privé, cet article acte une dérive qui s’est installée depuis plusieurs années au sein de l’Office : le remplacement de fonctionnaires assermentés par des salariés de droit privé. Depuis trois ans, les concours de recrutement de techniciens forestiers fonctionnaires sont bloqués et les postes de gardes forestiers sont affectés massivement à des contractuels. La conséquence de cette politique est un affaiblissement de la protection des forêts. Au quotidien, les agents forestiers sont soumis à de nombreuses pressions pour couper davantage de bois, fermer les yeux sur des dégâts causés par l’exploitation forestière, sur des dérives liées à la pratique de la chasse ou encore sur des décharges sauvages en forêt. Le fait d’être assermenté leur permet de résister à ces pressions et donc de protéger au mieux la forêt et l’intérêt général. Pourtant, le projet du gouvernement est de confier à des salariés de droit privé l’ensemble des missions actuellement exercées par des fonctionnaires, ce qui inclut, par exemple, la recherche et la constatation des infractions pénales en matière forestière. Une incongruité relevée par le Conseil d’État et corrigée par le Sénat qui a amendé le texte pour préciser que seuls les agents assermentés sont habilités à rechercher et à constater ce type d’infractions. Les amendements apportés par le Sénat ne règlent qu’en apparence le problème car, depuis 30 ans, le nombre de gardes forestiers assermentés est passé de 9000 à 3000 sur l’ensemble des forêts publiques soit 10% du territoire. L’application en l’état de l’article 33 de la loi ASAP permettrait d’en réduire encore fortement le nombre au détriment de la protection des écosystèmes forestiers. Travaillant le plus souvent seuls et avec des surfaces de forêts à gérer toujours plus grandes, les agents assermentés ne sont déjà plus en capacité de remplir les missions de protection qui leur sont confiées par la loi. Alors que les réformes de l’ONF se succèdent depuis 15 ans, ils dénoncent une perte de sens de leur métier. Les liens de confiance qui s’étaient tissés entre l’ONF, les élus et les citoyens s’étiolent peu à peu. Tout ceci a des conséquences dramatiques : depuis 2005, on recense plus de 50 suicides à l’ONF, un taux plus fort qu’à France Télécom (devenu Orange) rapporté à l’effectif...."__
Les risques de surexploitation ne sont pas un fantasme. Les dégradations sont là, les pressions sont fortes. Le climat est délétère. Nos forêts nous survivront certes, mais dans quel état? Même si, comme on le dit, la nature reprend ses droits. Les confrontations sont vives entre les purs "marchands" et les partisans d'une saine gestion à long terme d'un patrimoine inestimable...pas seulement financièrement. Il reste encore trouver un équilibre entre un colbertisme revu et adapté et le nouvel esprit gestionnaire...._______
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