mercredi 28 février 2024

Où va la psychiatrie aujourd'hui?

Bref état des lieux. 

                          Le moins que l'on puisse dire est que la situation n'est pas bonne. L'hôpital va déjà mal. Mais le domaine des soins en psychiatrie s'est aussi dégradé, surtout depuis plus d'une dizaine d'années, voire plus. Un récent rapport du Sénat le soulignait clairement. Certains vont plus loin dans l'analyse. On peut même parler de délabrement.   Un dehors des aspects économiques et institutionnels, la psychiatrie est touchée dans ses fondements. Un flagrant manque de moyens. Elle a évolué, jusqu'à aboutir aujourd'hui à un excès de scientisme.                    ____ Quelles que soient les avancées des connaissances dans le vaste domaine des désordres mentaux, de sources endogènes et/ou exogènes, il n'en reste pas moins que la psychiatrie est devenue un parent pauvre dans le domaine des soins, alors qu'elle touche de plus en plus de personnes, occasionnellement ou durablement.  Parent pauvre de la médecine, trop souvent soumise à des injonctions contradictoires,.. On parle même d'un état d'urgence. Une surconsommation de psychotropes est souvent dénoncée par des soignants, aux dépends de la relation et de l'accompagnement clinique, humaine. Elle est trop souvent sous influence. Le infirmier-ères n'ont même plus de formation spécifique. Certains résistent.   __Soins ou surveillance?

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                   __ "...
Psychiatre des hôpitaux honoraire  Daniel Zagury spécialiste de psychopathologie et de psychiatrie légale, expert auprès de la cour d’appel de Paris n'y va pas par quatre chemins, dénonçant les dérives en cours depuis trop longtemps et analyse les causes du déclin de la psychiatrie dans un ouvrage intitulé « Comment on massacre la psychiatrie française ».  » Le livre humaniste d’un psychiatre en colère, ­convaincu qu’on doit toujours tenter de réformer le monde » *. Extrait de l’introduction:   

                 "...La situation de la psychiatrie publique n’a cessé de se dégrader depuis plus de vingt ans (…)Nos cris d’alarmes, nos pétitions, nos protestations, nos mouvements de grèves, nos tribunes, nos livres, n’ont pas eu beaucoup d’effets. Peut-être parce qu’ils se sont souvent adossés à des analyses  politiques ou doctrinales, au nom d’une sensibilité ou d’un courant, et non en celui de la psychiatrie elle-même, dans ses fondements. Il convient de retrouver toute la force du néologisme magnifique d’Henri Ey : c’est parce qu’elles étaient « psychiatricides » qu’il fallait se battre contre ces attaques, et non parce qu’elles relevaient de telle ou telle conception. Peu importe le courant dont on se réclame.                                                                                                                          On a fait croire à ces internes que la psychiatrie biologique, les neurosciences, l’épidémiologie, la recherche, étaient la noblesse de la psychiatrie, le reste relevant de l’obscurantisme et de l’archaïsme.  Toute une génération s’est forgée dans la haine de la psychanalyse, dont l’expression a été largement facilitée par des postures inconséquentes, aveugles, présomptueuses et méprisantes, de psychanalystes prenant leur théorie pour un méta-savoir supérieur à tous les autres et dispensé de toute confronta­tion aux autres disciplines. On a ainsi jeté le bébé de la psychopathologie, de l’intersubjectivité et de la relation avec l’eau du bain de la psychanalyse, et l’on a amputé le champ des connaissances et de l’enseignement d’un pan central de la clinique psychiatrique.  On a dit aux infirmiers en psychiatrie qu’ils étaient « comme les autres», avec la même formation que les autres , et on les a transformés en greffiers de la traçabilité de leurs patients. Les conséquences en termes de prise en charge ont été désastreuses.                                                         A moins de renoncer à l’unité de la discipline et de consacrer son morcellement, tous les chemins mènent à Rome, c’est-à-dire à la clinique intégrative, au soin de qualité et au meilleur dispositif de santé publique. C’est sur ce commun dénominateur que repose l’identité de tous.  Nous nous sommes donc heurtés aux refus de l’Etat, tout juste bon à commander un rapport tous les deux ans, aussitôt rangé dans les tiroirs ; à l’indifférence de l’opinion publique, car les maladies mentales font peur ; à la lâcheté des politiques, qui savent qu’il n’y a pas de gain électoral à escompter de la psychiatrie, sauf à la stigmatiser, dans l’obsession des faits divers violents qui embrasent des médias et qui font espérer quelques voix sur le dos de nos malades.  En reconnaissant en 2019 l’abandon de la psychiatrie depuis trois décennies, l’ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn a au moins permis à l’Etat de sortir de cette posture négationniste et perverse en admettant qu’elle était le « parent pauvre » de la médecine. Pouvait-elle d’ailleurs faire autrement tant les tristes preuves du désastre s’accumulaient !   Ne nous y trompons pas. Ce désastre n’est pas une catastrophe naturelle, la conjonction malheureuse de quelques facteurs. C’est un massacre méthodique, non parce qu’il a été voulu, mais parce que l’on est demeuré aveugle et borné face à un dépérissement maintes fois dénoncé par les praticiens de terrain. C’est au nom de doctrines absurdes, d’ignorances feintes, d’abandons et de lâchetés que ce massacre a été commis. La politique de santé en France et celle de sa spécialité la plus démunie, la psychiatrie, ont été exclusivement circonscrites à la limitation des coûts, sans vision globale, sans autre boussole, en se revendiquant ici ou là de telle ou telle doc­trine opportunément instrumentalisée, en faisant semblant de s’appuyer sur quelques psychiatres qui défendaient leur chapelle et non notre église.                                                                                                                                                                       Qui aurait pu survivre à un tel tir croisé ? On a laissé la catastrophe démographique s’installer : 1200 postes non pourvus, une perte massive d’at­tractivité, des postes en partie occupé ...  des méde­cins étrangers en situation précaire scandaleusement sous-payés.. On a formé des générations d’internes dans l’ignorance de la psychiatrie intégrative, en leur faisant croire que la psychiatrie était née en Amérique, ce pays aux congrès débordant de la richesse des laboratoires pharmaceutiques tandis que leurs malades chroniques vont à la rue, en prison ou prématurément au cimetière.                Ce qui est condamnable, ce n’est évidemment pas les neurosciences, ce qui serait parfaitement idiot, mais la prétention à l’hégémonie et à l’exclusivisme de n’importe lequel des composants du champ psychiatrique;                                                    ___ On a proclamé partout, contre toute évidence, cette absurdité sans nom qui prétend que la psychia­trie est une spécialité comme une autre. Avec l’alibi de la déstigmatisation, on a encore plus stigmatisé les malades mentaux. On a précipité l’effondrement du modèle de la psychiatrie intégrative bio-psycho­sociale, qui a toujours été le meilleur de la psychia­trie, comme aimait à le dire Racamier, au profit de la psychiatrie biologique et des neurosciences.   Ce qui est condamnable, ce n’est évidemment pas les neurosciences, ce qui serait parfaitement idiot, mais la prétention à l’hégémonie et à l’exclusivisme de n’importe lequel des composants du champ psychiatrique.                                Avec la loi HPST et tout le pouvoir confié à des administratifs trompeusement affublés du titre de managers, on a privé le chef de service de tout pouvoir fonctionnel réel sur sa propre équipe. On l’a conjointement sur-responsabilisé, car l’échec des procédures présumées parfaite ne pouvait que lui être imputable.          On a scindé le binôme mythique chef de service-cadre infirmier supérieur qui, depuis Pinel et Pussin , organisait le soin. Les cadres ont été happés par la hiérarchie administrative ; ses modes de pensée, ses manies et ses tics.  On a réduit le médecin chef à être la dernière roue du carrosse dans son propre service. Des tableaux PowerPoint sont supposés transmettre toutes les conduites à tenir en termes de recommandations, de guides de bonnes pratiques, de protocoles, de procédures, de programmes : GPS de la psychiatrie quotidienne. Tandis que les soignants voient la qualité des soins s’effondrer ils sont sans cesse convoqués à des réunions sur les procédures qualité.             C’est peu dire que le même mot ne veut pas dire la même chose.    Comble de la honte, dans les unités psychiatriques hospitalières, on  vu se généraliser des pratiques de contention et d’isolement par des équipes de soins squelettiques, apeurées, sans cesse rappelées à leur responsabilité en cas de drame. Et nous voilà de nouveau pointés du doigt par ceux-là même qui ont organisé le massacre et qui nous donnent des leçons de respect de la dignité du malade.  Et voilà que l’on ordonne aux établissements hospitaliers d’appliquer une nouvelle loi sur la contention et l’isolement  sans jamais s’être soucié de sa faisabilité, sans jamais avoir demandé l’avis des praticiens. Au pays des grands principes, il suffit de commander, l’intelligence suivra. Quel mépris ! Et sans doute également, quelle incompétence !                                         N’en jetez plus. La cour du massacre de la psychiatrie est pleine. Le massacre implique la main de l’homme. Il ne s’agit pas seulement d’un désastre, de la conjonction malheureuse de quelques phénomènes comme ceux qui provoquent une catastrophe naturelle. Mais ce serait une erreur d’y voir nécessairement une intention délibérée. Toute une série de facteurs, parfois indépendants les uns des autres y ont contribué. La seule question qui vaille aujourd’hui est : comment en sortir..." ?                         _______________________

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