vendredi 16 février 2024

Vers un homme augmenté?

 Réalités et fantasmes

                     L' homme a très souvent ressenti le désir, parfois fou, de dépasser ses limites à un moment donné de son histoire, que ce soit au niveau physique comme au niveau psychique. Détenir des pouvoirs qu'il n'a pas, prolonger -peut-être à l'infini- une vie qu'il sait douloureusement limitée n'a cessé de hanter depuis l'antiquité son imagination débordante, individuelle ou collective.  Les vieux mythes de dépassement ou de (re)création de soi surgissent régulièrement, surtout dans les périodes où de possibles capacités de nouveautés semblent s'entrouvrir. Comme dans la pensée grecque et pendant la période de la Renaissance,  qui voient se préciser des rêves d'un autre monde de savoir et de pouvoir, comme à travers la médecine débutante et les conquêtes de toutes sortes. Les technologies d'aujourd'hui laissent entrevoir de nouvelles et inédites possibilités de dépasser (ou de réparer) certaines limites humaines soit au niveau physique (domaine des prothèses, par exemple), soit au niveau mental (recherche sur les implants cérébraux notamment) . Mais les espoirs parfois fous de certains gars de la Silicon Valley, aux rêves plus qu'ambitieux de développement quasi illimité des facultés humaines, jusqu'à la perspective même  d'immortalité pour demain, rejoignent de vieux fantasmes et méritent une approche critique.                          ___Il est discutable d'envisager des perspectives de transformation de l'homme au delà du raisonnable. Tout en sachant que nombre de possibilités, sans doute encore impensables, ouvriront demain de nouvelles perspectives...La robotique, par exemple, fait rêver, mais son développement pose problème, au delà d'un certain seuil.  Les projets de Musk et de certains gourous demandent à être examinés de près de manière critique. 

Du silex au silicium
                               Vers l'homo numeris?
    Les hommes se font en créant leurs outils. Ils se modifient en façonnant leur milieu et les moyens élaborés pour en exploiter les ressources et le transformer.
      C'est ce qu'a bien montré Leroi-Gourhan à travers ses études sur le développement de l'outil dans la préhistoire.
      Le processus se poursuit aujourd'hui en accéléré.
      Grâce aux développements de l'informatique et de la cybernétique, nous sommes entrés dans une nouvelle ère, celle de la robotique (la robolution, pour le meilleur ou pour le pire...), qui se développe à grande vitesse, non seulement dans différents domaines industriels, mais aussi domestiques. Avec tous les problèmes que posent ses retombées au niveau social et économique.
     Mais c'est aussi au coeur de l'humain que ces nouvelles technologies commencent à connaître et vont connaître leur plus spectaculaires développements, par une sorte d'hybridation progressive, soit de manière externe comme des aides fonctionnelles extérieures (médicales ou non), soit, plus subtilement et plus problématiquement, comme des éléments internes augmentant le pouvoir de telle fonction ou remplaçant une fonction défaillante, pas seulement dans une perspective médicale.
      C'est cette nouvelle relation de la fonction (cardiaque, par exemple) et de l'appareil (pacemaker), voire du  neurone et de la puce... qui pose le plus de problèmes. Les prothèses bioniques , le développement de l'IA font des avancées étonnantes, sans qu'on puisse pour l'instant assigner de limites a priori à cette course en avant, peu connue du grand public.
    Là, les fantasmes abondent, de Edgar Poe à Asimov, les hommes ont aimé projeter des conceptions d'hommes modifiés ou créés de toutes pièces, représentant un saut qualitatif si inédit, une telle transformation, que ce processus se faisait sous le sceau de la malédiction, d'une aventure qui tourne mal...Le littérature et la filmographie ont exploité ce thème.
       De nombreux mythes alimentent encore aujourd'hui la notion si discutée de l'homme augmenté
Certes, le Le futur déjà à nos portes, mais il importe de sortir du domaine des fantasmes ambigüs pour envisager sans appréhension celui de l'envisageable rationnellement, sur la base de ce qui est connu et réalisable aujourd'hui.
                       Or les cyborgs sont déjà parmi nous, sous des formes diverses, parfois inattendues, parfois discutables, souvent spectaculaires, selon un mode de développement qui n'est pas ou peu réfléchi, suscitant parfois des résistances et des craintes sans doute salutaires, propices à la réflexion sur les limites de notre maîtrise technologique.  Crainte parfois de voire s'installer une irréversibilité dans certaines applications problématiques, où semblent s'effacer les frontières de l'humain.
                "...Nous vivons à une époque où l’évolution technologique semble s’accélérer à tel point que certains techno-prophètes y voit la possibilité d’apparition d’une singularité (KURZWEIL, 2005). Celle-ci, à l’instar d’un trou noir, limiterait notre horizon prédictif à seulement quelques années. Dès lors, il s’ensuivrait des changements radicaux de notre environnement et une évolution sans précédent de l’espèce humaine. L’homme deviendrait alors un cyborg, une sorte de créature hybride mi-homme mi-machine. Il pourrait même télécharger son esprit dans un ordinateur, se débarrassant ainsi finalement de toute contrainte organique.
       Il est vrai que le développement convergent des nanotechnologies, des biotechnologies et des cybertechnologies laisse augurer des avancées importantes dans les années futures (HEUDIN, 2008). S’il est encore difficile d’estimer les retombées potentielles d’une telle convergence, nul besoin de faire appel à une hypothétique singularité technologique, petite fille de la Loi de Moore qui n’en demandait pas tant. L’histoire des sciences et des technologies est coutumière des annonces prophétiques, qu’elles prédisent un avenir radieux ou bien au contraire l’apocalypse. Ces annonces sont intéressantes en tant qu’expériences de pensée ou pour écrire des scenarii de films à grand spectacle, mais elles ne font généralement pas de bons programmes de recherche..." (JC Heudin)

       __________Quand nous serons tous des cyborgs...il sera trop tard, jugent certains, voyant les dangers d'un transhumanisme sans contrôle, dont le foyer de développement est pour l'instant surtout californien ( voir le site internet de la Singularity University, fondée par l’informaticien Ray Kurzweil en Californie. Un établissement privé, financé par Google et la Nasa, qui ne délivre pas de diplômes officiels mais passe la bonne parole transhumaniste à des chefs d’entreprise, chercheurs et autres têtes. Kurzweil est par ailleurs membre du conseil d’administration du MIT [Massachusetts Institute of Technology, l’un des plus célèbres centres de recherches du monde, ndlr] et membre de l’Army Science Advisory Board, chargé de conseiller l’armée américaine dans les domaines scientifiques et techniques.).                 Une affaire de gros sous à la clé...
                  L'homme augmenté n'est pas qu'un rêve innocent...
    Le biologiste J.Testard fait une mise au point utile sur la faiblesse, l'irrationnelle et la potentielle dangerosité de ces fantasmes si séduisants et puissants.
     Le déraisonnable et l'inhumain nous guettent, prévient A.Kahn.
    Les risques sont multiples, les nanotechnologies présentant notamment encore de nombreuses inconnues.
         Un homme augmenté? Mais de quoi?...
                  Il est à craindre que ce qui pourrait être augmenté, c'est une part d'hubris inquiétante. 
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