mardi 30 avril 2024

Tâcherons du clic

 Le numérique, ses concepteurs et ses acteurs

                              Le cyber-prolétariat n'a pas vraiment disparu avec le développement de l'intelligence artificielle:

   

Flouter                                "...Flouter des visages sur Google Street View, extraire le texte manuscrit des cartes postales, contrôler des tickets de caisse, observer des photos satellitaires et répondre à la question « Swimming pool or not swimming pool »« Human or not human », tout cela pour un centime l’action payée en bons d’achat Amazon… C’est le quotidien de milliers de travailleurs et travailleuses du clic que documente ici le jeune cinéaste belge Natan Castay.   ___ Pour son film de fin d’études à l’Institut des arts de diffusion (IAD), il réalise En attendant les robots, à la suite d’une expérience personnelle. Lors du confinement, il a perdu son job d’étudiant dans un restaurant et s’est retrouvé à taper sur Internet « comment se faire de l’argent en ligne ». Il tombe sur Amazon Mechanical Turk, un site de microtâches. Cette plateforme du géant américain renvoie par son intitulé au « Turc mécanique », célèbre canular du XVIIIe siècle : un automate ayant l’apparence d’un Turc capable de jouer aux échecs ou de résoudre des problèmes. Sauf qu’à l’intérieur dudit automate se trouvait un être humain…    Dans le vocable des Gafam de la Silicon Valley, Amazon Mechanical Turk ne propose pas véritablement un travail, mais des tâches dites « pour l’intelligence humaine » – HIT, pour human intelligence tasks. Une nuance pour les différencier de celles réalisées par les intelligences artificielles (IA). Car sur cette plateforme, il est surtout question d’alimenter les algorithmes et d’entraîner, cadrer et fournir les machines en données fiables et utilisables.   Empruntant son titre à l’ouvrage de référence sur le sujet d’Antonio A. Casilli, sociologue enseignant à l’Institut polytechnique de Paris, En attendant les robots révèle la face mal connue des plateformes et de l’intelligence artificielle : le monde effectivement absurde des nouveaux prolétaires du numérique...."                                                                                             On les appelle les "invisibles."..ces prolétaires du clic prennent de plus en plus d'importance.                        Le domaine du numérique n'est pas toujours le monde idéalisé que l'on imagine parfois. Il n'y a pas que des tâches nobles et valorisées. Il y a tout un monde d'actifs obscurs, mal payés, en situation précaire. Partout dans le monde. Des ignorés. En attendant les robots..."...Leurs tâches  peuvent apparaître n’importe quand, et il faut être rapide. Certains se créent des alertes qui les réveillent au milieu de la nuit. Ensuite, le temps pour réaliser le travail étant limité, il ne faut pas traîner. Avec les conséquences que l’on peut imaginer sur la vie familiale. Car, comme ces tâches sont très peu rémunérées, il faut en effectuer beaucoup. Une étude du Pew Research Institute estime que les travailleurs du clic perçoivent moins que le salaire horaire minimale aux Etats-Unis (une femme interrogée explique que quand elle touche 25 euros pour 8 heures de travail, c’est une bonne journée). D’ailleurs, la rémunération ne se fait en cash que pour les Américains et les Indiens, les autres sont payés en bons d’achat Amazon, ce qui les oblige à avoir recours à des combines pour récupérer leur rémunération. Sachant que certains clients sont mauvais payeurs (ils rejettent le travail effectué, sans explication). Les travailleurs les plus aguerris prennent le temps, avant d’accepter un travail, de se renseigner sur le client...."                                                                                                             Il existe toujours des métiers aux tâches répétitives, sans aucune créativité ni plaisir, même minimum. Pas seulement dans certaines activités industrielles ou même de service, comme dans les "Temps modernes" de Charlot, même avec accompagnement de robots en tous genres de plus en plus perfectionnés. Même au coeur de certaines activités que l'on jugerait a priori plus "nobles", plus "intellectuelles". Par exemple, les millions de petites mains invisibles, à l'activité ingrate, qui s'agitent derrière leurs ordinateurs, au service de grandes plateformes ou de l'intelligence artificielle. Comme la haute couture a aussi ses petites tâcheronnes. Le micro-travail a aussi parfois ses révoltés . Pas seulement en Chine.                                                                             Il n'y a pas que des tâches nobles dans le numérique. Il n'y a pas que des concepteurs de haut vol dans l'informatique. Il y a aussi les basses oeuvres, les petits boulots, les opérations les plus mécaniques, les moins rentables, celles des petites mains du clavier. Cliquer toute la journée pour presque rien, il y a plus passionnant.   Pourtant c'est facile et ça peut rapporter... peu.   Une forme de travail très particulier, qui ne dit pas son nom.   Amazon et les autres règnent dans l'ombre.



     Un aspect de la précarité masquée., dans un monde de précarité montante érigée en système.
   Quelques clics pour quelques euros.
  Pour environ 250000 personnes en France, occupées plus ou moins, selon les cas. C'est très variable.
    Les petits doigts d'Asie et de France s'animent comme ils peuvent au service de plate-formes invisibles.
              Les clickworkers ou travailleurs du clic sont des gens qui travaillent chez eux, derrière leur ordinateur, à des horaires qui sont dictés par les clients, pour des tâches simples et répétitives, sans aucun statut et pour une rémunération minuscule. Leur travail, ils le trouvent sur des plateformes qui ont été créées par les géants de l’Internet, dont la plus connue est le Turc mécanique d’Amazon, ce sont des place de Grève contemporaines. On estime leur nombre à 500 000, ils sont principalement américains (à 75%, avec une grande part de femmes) ou des hommes indiens (aux alentours de 20%)....  En décembre dernier, le site Tech Republic effectuait une plongée fascinante dans ce monde des travailleurs du clic. Pourquoi les appelle-t-on “travailleurs du clic” ? Parce que leurs tâches consistent essentiellement à identifier des motifs sur des images, à identifier des émotions sur des photos de visages, à mettre en ordre des données.     Ces travailleurs se disent “enchaînés” à leur ordinateur. Les tâches peuvent apparaître n’importe quand, et il faut être rapide. Certains se créent des alertes qui les réveillent au milieu de la nuit. Ensuite, le temps pour réaliser le travail étant limité, il ne faut pas traîner. Avec les conséquences que l’on peut imaginer sur la vie familiale. Car, comme ces tâches sont très peu rémunérées, il faut en effectuer beaucoup. Une étude du Pew Research Institute estime que les travailleurs du clic perçoivent moins que le salaire horaire minimale aux Etats-Unis (une femme interrogée explique que quand elle touche 25 euros pour 8 heures de travail, c’est une bonne journée). D’ailleurs, la rémunération ne se fait en cash que pour les Américains et les Indiens, les autres sont payés en bons d’achat Amazon, ce qui les oblige à avoir recours à des combines pour récupérer leur rémunération. Sachant que certains clients sont mauvais payeurs (ils rejettent le travail effectué, sans explication). Les travailleurs les plus aguerris prennent le temps, avant d’accepter un travail, de se renseigner sur le client.    Ce qui gêne aussi ces travailleurs du clic, c’est que tout le monde n’est pas égal face aux offres. Certains sont désignés “Master's Level”, ce qui leur permet d’avoir accès à plus d’offres, mieux payées. Le problème : personne ne sait sur quels critères on est désigné “Master Level” (et Amazon refuse de le révéler). C’est l’objet de beaucoup de conjectures sur les forums où ces travailleurs - pour pallier le fait qu’ils ne se rencontrent jamais physiquement - partagent leurs questions, et leurs petits trucs.         A quoi sert le travail de ces gens ? C’est là où on atteint un niveau d’absurde presque magnifique. Ce dont je vous parlais tout à l’heure - identifier des objets sur des images, classer des données etc. - ça sert essentiellement à nourrir en exemple les intelligences artificielles qui ne savent pas encore le faire toutes seules. Pour bien fonctionner une intelligence artificielle de reconnaissance d’image, par exemple, a besoin d’exemples, d’énormément d’exemples - il faut qu’on lui dise “ça c’est un chien”, “ça c’est une voiture” sous tous les angles possibles, afin qu’elle soit ensuite capable de reconnaître un chien ou une voiture. Eh bien qui fournit les exemples ? Principalement ces “travailleurs du clic”. C’est pourquoi toutes les grandes entreprises du numérique (Google, Microsoft, Facebook, Apple) - toutes celles qui se sont lancées dans l’intelligence artificielle - ont créé leurs propres plateformes de micro-tâches : elles ont créé ces plateformes pour que des travailleurs du clic humains nourrissent les machines. Et d’ailleurs, au départ, Amazon a créé sa plateforme pour améliorer l’automatisation de son circuit de distribution, pour les hommes aident les machines à s’améliorer, à mieux faire le travail que faisaient les hommes jusque là. En gros, les “travailleurs du clic” travaillent pour qu’un jour les intelligences artificielles remplacent d’autres travailleurs. La question est : combien de temps aura-t-on encore besoin des travailleurs du clic, avant que les intelligences artificielles ne les remplacent eux-mêmes ? On a le temps disent les spécialistes, les machines auront encore longtemps besoin des hommes. Il faut toujours se rappeler que le Turc mécanique auquel se réfère Amazon, c’est un faux automate du 18ème siècle à l’intérieur duquel était caché un homme. Aujourd’hui, c’est une mère de famille américaine ou un Indien qui sont cachés dans la machine. Demain, ça pourrait être beaucoup plus de monde.                                    Flexibilité garantie et en hausse constante.   Le cyberprolétariat est en marche. Mechanical Turk fait des merveilles...______________________________

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