vendredi 16 août 2024

Fractures anglaises

 Colères sociales et manipulations

                      Un événement qui ne surprend pas trop les connaisseurs de la société anglaise, telle qu'elle est devenue, après les traitements de choc successifs subis depuis Maggie,  la politique sociale ultra-libérale qui l'a inspirée et de la précarité instaurée, au nom du marché qui devait effacer le rôle de l'Etat. Des actions qui n'ont rien de populaires, mais qui ne sont pas sans rapports avec la situation  dégradée d'une partie de la population. Les inégalités y sont particulièrement marquées et constituent un terreau favorable à des explosions sociales. La colère s'est déplacée sur le terrain social et ethnique. La pauvreté a été un des facteurs majeurs de la colère, récupérée par une extrême-droite violente. Certains films de Ken Loach illustrent assez bien la situation de désespérance qui caractérisent un grand nombre de catégories sociales. Ce n'est pas un hasard si c'est le nord de l'Angleterre qui a été touché.


      "... Le meilleur antidote  aux troubles néofascistes est de rétablir des services publics de qualité, d’investir dans des emplois locaux durables et de rejeter tout discours Les motivations nativistes, anti-migrants et islamophobes sont au cœur d’actions fomentées et perpétrées par l’extrême droite extra-parlementaire. Ce sont des groupes néofascistes ou néonazis qui ne sont pas répertoriés par la police, n’ont pas de membres officiels et sont donc quasiment incontrôlables avant qu’ils ne passent à l’acte. La English Defence League fondée en 2009 par Tommy Robinson (un individu plusieurs fois condamné pour actes de violence à caractère raciste), est aujourd’hui considérée comme auto-dissoute. Ce mouvement n’avait d’autre objectif que de provoquer des actions violentes contre les immigrés ou musulmans à divers endroits du pays.                                                          Le mode d’action de ces groupes est connu : un appel est lancé aux abonnés d’une liste de discussion sur les réseaux sociaux, l’information se propage et des individus se retrouvent à un endroit désigné pour semer le chaos. Les méthodes de cette nébuleuse sont de nature fascisante : il n’y a aucune volonté de débattre ou de convaincre. Ces individus viennent pour se battre, détruire le mobilier urbain et terroriser les immigrés et minorités ethniques. Ces émeutes sont également de nature terroriste. Le premier ministre Keir Starmer (un ancien procureur) et la police ont d’ailleurs affirmé que le niveau de violence et de menace représentées par ces violences s’apparente à des actes de terrorisme.                                                  Le lendemain des émeutes à Southport, des actes de violence similaires ont été commis à Londres, Manchester, Hartlepool (nord-est) et Aldershot (sud). Le weekend dernier, ces violences se sont propagées à Liverpool, Blackpool, Hull, Stoke-on-Trent, Leeds, Nottingham, Bristol ainsi qu’à Belfast en Irlande du Nord. Les actes de violence ont une nature indiscutablement criminelle. A Rotherham, dans le Yorkshire, un hôtel dans lequel sont hébergés des réfugiés a été incendié. À Tamworth (Stafforshire), une attaque similaire a eu lieu. Partout dans le pays, les émeutiers s’en prennent violemment aux policiers et aux mosquées. Plusieurs milliers d’individus ont pris part à ces émeutes. La police a arrêté près de 400 personnes la semaine dernière. Yvette Cooper, la ministre de l’Intérieur, a annoncé que la police identifiait les agresseurs à partir d’enregistrement vidéo. Keir Starmer a évoqué un « terrorisme d’extrême droite ». Sur les vidéos, on peut voir des hommes blancs, la trentaine ou quarantaine, le crâne rasé, le look hooligan de football. Mais dans les scènes de violence, on aperçoit également de jeunes hommes, certains mineurs, résidant dans la localité. Ceux-là sont issus de la classe ouvrière anglaise paupérisée et marginalisée par quatorze années de gouvernement conservateur. Ils viennent se battre contre la police et casser. Ils attaquent les commerces locaux pour les piller. Ces jeunes déclassés sont les victimes d’un système politique et économique qui a produit un sous-prolétariat sans éducation, sans emplois, parfois réduit à la soupe populaire pour survivre. Le film de Ken Loach, « I, Daniel Blake » (2016) met en scène ce phénomène social qui n’est pas une fiction, mais le fruit d’années de désinvestissement dans les services publics des gouvernements conservateurs.                                                                                                                   L’influenceur anglo-américain Andrew Tate a affirmé que le meurtrier était un « migrant illégal », et exhorté le public à « se réveiller ». Elon Musk a estimé sur X qu’une guerre civile au Royaume-Uni était « inévitable ». Tommy Robinson, depuis son lieu de vacances en Grèce, a assené que « quand des citoyens ordinaires sont méprisés, qu’ils sont qualifiés d’extrême droite, il n’est pas étonnant que des troubles surviennent ». Cet argument n’est pourtant pas l’apanage de l’extrême droite. Il est banal à droite : ces violences seraient l’expression d’une rébellion populaire légitime car le peuple est exaspéré par une « immigration incontrôlée », qui « submerge » les services publics, accroît l’insécurité physique et détruit les « valeurs britanniques ». La BBC a dans un premier temps parlé de « protestations » avant de se raviser. Ces arguments si bienveillants à l’égard d’une violence néofasciste ont un écho jusque dans certains médias français qui couvrent le sujet. Il suffirait donc d’un tour de vis anti-migrants pour apaiser la colère populaire ? Peine perdue : si ces néofascistes n’avaient pas en ligne de mire les migrants musulmans, ils s’en prendraient aux Noirs, aux Juifs, puis peut-être aux Polonais. Le propre de l’extrême droite est de chercher un ennemi et un bouc-émissaire.Or, cette politique anti-migrants qui vise à « apaiser » les classes populaires a été déjà mise en place au Royaume-Uni par les Conservateurs : le Brexit     censé régler les flux migratoires ; le projet ruineux, inefficace et moralement scandaleux d’expulsion des migrants vers le Rwanda, ainsi qu’une rhétorique hostile et raciste à l’encontre des migrants au sein du gouvernement et dans les médias. Ces politiques n’ont pas dissuadé les néofascistes de passer à l’action. On peut au contraire estimer qu’elles ont désinhibé l’extrême droite.                                                                                                                     En France, les lois confortant les principes de la République et sur l’immigration, assorties de déclarations islamophobes dans la classe politique et dans les médias, n’ont aucunement « apaisé » : elles ont renforcé le Rassemblement national, maintenant proche du pouvoir. Celles et ceux qui évoquent des « protestations légitimes » au lieu de dénoncer des émeutes criminelles jouent dangereusement avec le feu. Les actions violentes des néofascistes n’ont rien de spontané ou de populaire. Les populations locales se sont courageusement interposées pour empêcher de nouvelles tragédies humaines. Elles ont nettoyé les centres-villes dévastés après les attaques et les pillages. Ceux qui justifient aujourd’hui l’injustifiable refusent d’accepter une évidence : les immigrés ne sont pas responsables des inégalités sociales, de l’absence de services publics ou d’emplois. Ce sont les gouvernements qui portent la responsabilité de politiques publiques injustes et inefficaces, et qui renforcent l’extrême droite au Royaume-Uni comme en France.  Une chose est sûre : ces violences criminelles doivent être réprimées conformément à la loi. Mais une réponse pénale sera insuffisante. La tâche du nouveau gouvernement travailliste est de redonner un espoir aux populations les plus pauvres délaissées pendant 14 ans par les Conservateurs. Le meilleur antidote aux troubles néofascistes est de rétablir des services publics de qualité, d’investir dans des emplois locaux durables et de ne pas céder aux discours réactionnaires anti-migrants."   ____________________

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