samedi 8 mars 2025

Vague obscurantiste (suite)

 L'offensive contre le savoir et sa transmission continue aux USA

          Un moment orwellien est en route. La liberté d'expressionn menacée.

                 Pris de cours, enseignants, chercheurs, écrivains sont entre peur et désarroi

 Point de vue:   

Derrière le slogan « Stand up for science », se lever pour la science, doit se tenir aux États-Unis vendredi 7 mars, une première mobilisation contre l’administration Trump : les scientifiques protestent ainsi contre les très nombreux licenciements de chercheurs et chercheuses des agences fédérales, notamment celles dédiées à la santé ou à l’environnement.

                   Très émus par le sort fait à leurs pairs, des scientifiques français appellent à manifester en soutien, ce même vendredi, partout en France. L’épidémiologiste Dominique Costagliola, une des premières signataires de l’appel, veut montrer l’ampleur internationale du séisme qui touche la science.   Un seul exemple : dimanche 9 mars débute à San Francisco la Conférence annuelle sur le VIH, un sujet où les scientifiques américain·es sont, comme très souvent, « les premiers », explique Dominique Costagliola, qui a consacré une grande partie de sa carrière à la lutte contre l'épidémie.     ___  Seulement, à San Francisco, les rangs du pays hôte seront largement désertés. Les très nombreux chercheurs qui travaillent pour les agences fédérales, notamment le National Institute of Health (NIH, Institut national pour la santé), ne pourront s’y rendre.    D’une part parce que 1 200 fonctionnaires du NIH, dont beaucoup de scientifiques, ont été remerciés par l’Office of Personnel Management (OPM), à la demande d’Elon Musk. Et celles et ceux qui restent sont dans l’incapacité de faire le voyage en Californie : leur carte bancaire professionnelle, qui leur permettait de financer leurs déplacements, a été plafonnée à 1 dollar.           Et si par chance, ils ou elles parviennent à rejoindre la San Francisco ce week-end, ils ne savent pas quels sujets aborder. Car le gouvernement de Donald Trump a imposé une censure qui ne dit pas son nom. Elle s’abat pourtant, comme un couperet, sur celles et ceux qui aborderait tout ce qui touche au « wokisme », selon l’extrême droite états-unienne (lire l’encadré). Tous les sujets cruciaux dans la lutte contre le VIH sont concernés : la prévention auprès des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes ou les personnes trans, ou encore les inégalités raciales dans l’accès aux soins.   Une image s’impose à la climatologue française Valérie Masson-Delmotte, « l’obscurantisme » : « Ils veulent balayer la liberté académique, qui est un héritage des Lumières. »                                                                             Sur le changement climatique, les scientifiques américains sont également incontournables : ils signent un quart des publications internationales, insiste à son tour Valérie Masson-Delmotte, présidente du GIEC de 2015 à 2023. Elle échange très régulièrement avec ses collègues des États-Unis : « Ceux qui restent en poste confient leur peur et leur désarroi. Mais ils ne disent rien publiquement, de peur de devenir à leur tour des cibles. »        Les conséquences sont déjà tangibles au niveau international : « À la dernière session du GIEC la semaine dernière, les Américains étaient absents. Le prochain rapport doit sortir en 2028. Dans de telles conditions, il pourrait être retardé. Beaucoup d’États le souhaitent, comme l’Arabie Saoudite »... et sans doute les États-Unis de Donald Trump. « Le vice-président J. D. Vance a dit dans le passé que les universités et les professeurs sont des ennemis. C’est une guerre culturelle », estime la climatologue.                                                                                                  Elle évoque, non sans émotion, quelques un·es de ses confrères et consœurs remercié·es. Par exemple Zack Labe, un climatologue spécialiste de la modélisation du changement climatique, en particulier dans l’Arctique. Il tient aussi un blog de vulgarisation de ses travaux. « C’est un brillant scientifique. Il mène ses recherches à l’université de Princeton [dans le New Jersey, ndlr] dans un laboratoire pionnier, qui travaille sur la prévision des événements climatiques extrêmes. Son poste était largement financé par la NOAA [l’Agence nationale atmosphérique et océanique]. Il a été viré, comme 800 autres fonctionnaires fédéraux de la NOAA. »Même une scientifique très impliquée dans le dernier rapport du GIEC est victime de ce grand limogeage : « Sarah Cooley est une spécialiste de l’acidification des océanset des méthodes de captation de carbone ». La climatologue française n’en revient pas : « Elle a été virée brutalement. »                           La censure s’applique de manière non explicite : « Il n’y pas de liste officielles des sujets censurés, raconte Sarah, une chercheuse du NIH qui travaille sur la justice environnementale. Je ne sais pas du tout qui prend ces décisions : Trump, Musk ? En tous cas, notre hiérarchie relaie. Je suis en train d’écrire un article qui s’appuie sur un an et demi de recherches. J’ai supprimé les passages sur les inégalités raciales face au changement climatique, un terme également banni. On peut parler de météorologie, d’événements extrêmes, mais pas du climat ou du rôle joué par l’homme. »                                                                                                                       La liste est longue et subtile : « Tout cela est bizarre, arbitraire », dit Sarah. Samedi 1er mars, tou.tes les fonctionnaires fédéraux ont par exemple reçu un mail de l’OPM leur demandant de lister « cinq tâches accomplies durant la semaine ». Deadline : « Le lundi suivant minuit. » « On nous a bien dit que nous serions licenciés en l’absence de réponse, explique la chercheuse. Seulement, on nous aussi prévenus qu’on ne pouvait communiquer d’informations sensibles. Alors on reste vague. »... ( Merci à Caroline Coq-Chodorge)    __________________________

Derrière " ... Derrière le slogan « Stand up for science », se lever pour la science, doit se tenir aux États-Unis vendredi 7 mars, une première mobilisation contre l’administration Trump : les scientifiques protestent ainsi contre les très nombreux licenciements de chercheurs et chercheuses des agences fédérales, notamment celles dédiées à la santé ou à l’environnement.  Très émus par le sort fait à leurs pairs, des scientifiques français appellent à manifester en soutien, ce même vendredi, partout en France. L’épidémiologiste Dominique Costagliola, une des premières signataires de l’appel, veut montrer l’ampleur internationale du séisme qui touche la science.  Un seul exemple : dimanche 9 mars débute à San Francisco la Conférence annuelle sur le VIH, un sujet où les scientifiques américain·es sont, comme très souvent, « les premiers », explique Dominique Costagliola, qui a consacré une grande partie de sa carrière à la lutte contre l'épidémie.                                                                                                                                           Seulement, à San Francisco, les rangs du pays hôte seront largement désertés. Les très nombreux chercheurs qui travaillent pour les agences fédérales, notamment le National Institute of Health (NIH, Institut national pour la santé), ne pourront s’y rendre.  D’une part parce que 1 200 fonctionnaires du NIH, dont beaucoup de scientifiques, ont été remerciés par l’Office of Personnel Management (OPM), à la demande d’Elon Musk. Et celles et ceux qui restent sont dans l’incapacité de faire le voyage en Californie : leur carte bancaire professionnelle, qui leur permettait de financer leurs déplacements, a été plafonnée à 1 dollar.     Et si par chance, ils ou elles parviennent à rejoindre la San Francisco ce week-end, ils ne savent pas quels sujets aborder. Car le gouvernement de Donald Trump a imposé une censure qui ne dit pas son nom. Elle s’abat pourtant, comme un couperet, sur celles et ceux qui aborderait tout ce qui touche au « wokisme », selon l’extrême droite états-unienne (lire l’encadré). Tous les sujets cruciaux dans la lutte contre le VIH sont concernés : la prévention auprès des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes ou les personnes trans, ou encore les inégalités raciales dans l’accès aux soins.                                                                                                                                 Une image s’impose à la climatologue française Valérie Masson-Delmotte, « l’obscurantisme » : « Ils veulent balayer la liberté académique, qui est un héritage des Lumières. »Sur le changement climatique, les scientifiques américains sont également incontournables : ils signent un quart des publications internationales, insiste à son tour Valérie Masson-Delmotte, présidente du GIEC de 2015 à 2023. Elle échange très régulièrement avec ses collègues des États-Unis : « Ceux qui restent en poste confient leur peur et leur désarroi. Mais ils ne disent rien publiquement, de peur de devenir à leur tour des cibles. »      ___Les conséquences sont déjà tangibles au niveau international : « À la dernière session du GIEC la semaine dernière, les Américains étaient absents. Le prochain rapport doit sortir en 2028. Dans de telles conditions, il pourrait être retardé. Beaucoup d’États le souhaitent, comme l’Arabie Saoudite »... et sans doute les États-Unis de Donald Trump. « Le vice-président J. D. Vance a dit dans le passé que les universités et les professeurs sont des ennemis. C’est une guerre culturelle », estime la climatologue.          Elle évoque, non sans émotion, quelques un·es de ses confrères et consœurs remercié·es. Par exemple Zack Labe, un climatologue spécialiste de la modélisation du changement climatique, en particulier dans l’Arctique. Il tient aussi un blog de vulgarisation de ses travaux. « C’est un brillant scientifique. Il mène ses recherches à l’université de Princeton [dans le New Jersey, ndlr] dans un laboratoire pionnier, qui travaille sur la prévision des événements climatiques extrêmes. Son poste était largement financé par la NOAA [l’Agence nationale atmosphérique et océanique]. Il a été viré, comme 800 autres fonctionnaires fédéraux de la NOAA. »                   Même une scientifique très impliquée dans le dernier rapport du GIEC est victime de ce grand limogeage : « Sarah Cooley est une spécialiste de l’acidification des océanset des méthodes de captation de carbone ». La climatologue française n’en revient pas : « Elle a été virée brutalement. »    La censure s’applique de manière non explicite : « Il n’y pas de liste officielles des sujets censurés, raconte Sarah, une chercheuse du NIH qui travaille sur la justice environnementale. Je ne sais pas du tout qui prend ces décisions : Trump, Musk ? En tous cas, notre hiérarchie relaie. Je suis en train d’écrire un article qui s’appuie sur un an et demi de recherches. J’ai supprimé les passages sur les inégalités raciales face au changement climatique, un terme également banni. On peut parler de météorologie, d’événements extrêmes, mais pas du climat ou du rôle joué par l’homme. »             La liste est longue et subtile : « Tout cela est bizarre, arbitraire », dit Sarah. Samedi 1er mars, tou.tes les fonctionnaires fédéraux ont par exemple reçu un mail de l’OPM leur demandant de lister « cinq tâches accomplies durant la semaine ». Deadline : « Le lundi suivant minuit. » « On nous a bien dit que nous serions licenciés en l’absence de réponse, explique la chercheuse. Seulement, on nous aussi prévenus qu’on ne pouvait communiquer d’informations sensibles. Alors on reste vague. »   La brutalité du procédé du duo Trump/Musk continue de sidérer leurs victimes. Le 27 février à 15h46, Penelope a été informée par téléphone qu’elle était licenciée. À16h38, elle a reçu un mail l’informant qu’à la fin de la journée, soit deux heures plus tard, elle devait rendre son badge d’accès, son ordinateur, son téléphone. Aucune justification n’était donnée....(Merci à Caroline Coq-Chodorge)

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