mardi 4 mars 2025

Vers une nouvelle géopolitique?

 Un tournant décisif  (Notes de lecture)

       Qui interroge. En même temps que le grand ménage intérieur, la donne internationale prend une figure qui en inquiète plus d'un.   Du jamais vu...

          Selon Iles Ramdani:



                  "La vie politique française n’échappe pas à l’onde de choc qu’a représenté, vendredi 28 février, l’altercation diffusée en mondovision entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky. L’humiliation du président ukrainien par son homologue états-unien raconte bien plus que sa violence : elle acte brutalement le renversement d’alliances à l’œuvre sur la scène géopolitique. Il y a trente ans, toutes les grandes puissances étaient dans le même camp. Il y a quinze ans, les autoritarismes russe et chinois profitaient des erreurs occidentales pour s’affirmer. Désormais, la plus grande puissance du monde semble prête à pactiser avec eux, au prix de la sécurité et de la souveraineté des États européens. 
Pour la France et pour l’Europe, le moment a donc quelque chose de vertigineux. Il s’agit de repenser un logiciel vieux de plusieurs décennies, de reconstruire une doctrine et des outils de défense… Bref, de penser l’avenir du continent autrement que sous la protection des États-Unis, dont le pouvoir est clairement sur une pente fascisante..."
   Selon Martin Legros:


"...Trump et Vance se sont  livrés à une attaque en règle de la personne de Zelensky l’accusant d’être habité par la haine, de manquer de reconnaissance et d’embarquer ceux qui le soutiennent dans une guerre sans fin. Comme l’a relevé ma sœur, cela faisait penser à une scène du Parrain où Don Corleone, flanqué d’un de ses acolytes, voulait transformer un interlocuteur récalcitrant en affidé, lui expliquant que son intransigeance mettait en péril l’organisation et qu’il n’avait le choix qu’entre faire allégeance… ou mourir. Tout en n’oubliant pas de lui signifier qu’il venait de participer, malgré lui, à un show télévisé. Le lendemain, sur la route du retour, nous avons entendu à la radio l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau mettre des mots sur nos intuitions de la veille. Cette scène, affirma-t-il avec gravité, équivaut à “une mise à mort transformée en spectacle télévisuel qui acte la défaite ukrainienne… La question n’est plus de savoir si l’Ukraine a perdu, mais quelles seront les modalités de cette défaite”....

                          "Je me suis alors souvenu de la conclusion du livre d’entretiens que j’avais réalisé il y a un peu moins d’un an, entre le même Audoin-Rouzeau et l’ancien ambassadeur de France aux États-Unis Gérard Araud, intitulé Faire la guerre sans l’aimer ?, paru chez Philosophie magazine Éditeur. Il se terminait par cette prophétie du diplomate sur la fin de la sécurité européenne et atlantique : “Je suis convaincu que si Donald Trump est élu, une véritable révolution géopolitique aura lieu. Les États-Unis, qui déjà nous quittaient sur la pointe des pieds, claqueront la porte au nez de l’Europe. Ils nous diront : ‘Vous n’êtes plus notre problème… Vous êtes devenu une périphérie du monde dont le centre est dorénavant le Pacifique. C’est le siècle du Pacifique, et nous sommes des pragmatiques..”




Aprèsl’admonestation en direct du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, dans le bureau Ovale de la Maison-Blanche par Donald Trump et J. D. Vance, plusieurs dirigeants d’États membres de l’Otan se sont réunis à Londres dimanche 2 mars. Emmanuel Macron et le premier ministre britannique appellent, à son issue, à une trêve de un mois « dans les airs, sur les mers et les infrastructures énergétiques ».

          Frédéric Charillon, professeur de science politique à l’université Paris-Cité, vient de publier Géopolitique de l’intimidation. Seuls face à la guerre ? (Odile Jacob). Un ouvrage dans lequel l’auteur décrypte la brutalisation croissante des relations internationales, y compris entre grandes puissances. Pour Mediapart, il revient sur les événements de ce week-end.

Mediapart : Le clash Trump-Zelensky, face aux caméras, a été commenté tout le week-end. Cet épisode illustre-t-il l’ère de l’intimidation que vous analysez dans votre dernier livre ? Que nous apprend-il de plus sur la nouvelle administration états-unienne ?

Frédéric Charillon : Le style brutal et grossier de Trump visible durant cette séquence n’a rien de surprenant. L’épisode tend par ailleurs à confirmer les suspicions sur sa proximité avec Poutine, dont il reprend la rhétorique à un point confondant. Ce qui est plus étonnant, c’est qu’un clash de cette nature soit offert aux caméras. Dans l’histoire des relations internationales, il y a eu des dizaines d’épisodes de ce type, c’est-à-dire des négociations orageuses ou qui ont mal tourné, mais ils n’ont jamais été filmés en direct comme cela. 

En termes d’intimidation, on a affaire à celle du « fou ». La plus classique est celle du « fort », qui cherche à contraindre un autre acteur en faisant tout simplement valoir sa force supérieure. À l’inverse, l’intimidation du « faible » sert à obtenir satisfaction quand on dispose de moins de ressources mais d’un pouvoir de nuisance – comme quand Viktor Orbán [premier ministre hongrois – ndlr] menace de bloquer des avancées entre Européens si ceux-ci se montrent trop durs envers le régime russe.    ___ Trump a explicitement théorisé qu’il intimidait en passant pour un « dingue », au sens où il ne se fixe apparemment pas de limites : « Tout le monde sait que je suis capable de tout. » En l’occurrence, il a offert à son public « Maga » [« Make America Great Again » – ndlr] ce spectacle incroyable d’une altercation en direct, face à un chef d’État étranger. Mais pour la première fois de manière aussi claire, celui-ci a résisté à Trump et au « barnum » qu’il avait mis en scène pour se poser en suzerain faiseur de paix. Cela a donné lieu à l’incident que nous savons.

Il reste que l’intimidation n’est pas forcément la voie du succès. En l’espèce, je pense que la séquence du week-end écoulé signe un suicide stratégique pour les États-Unis.

-Connivence

En quel sens ?Connivenve

Les adversaires des États-Unis peuvent se frotter les mains et s’esclaffer après cet épisode. Les puissances émergentes du Sud, qui n’ont déjà pas une grande considération pour les États-Unis et l’Occident, seront d’autant plus convaincues, après ce spectacle, que ces derniers sont entrés en décadence. Et les alliés traditionnels de Washington ont massivement pris fait et cause pour l’Ukraine. La ministre des affaires étrangères allemande a tout de même déclaré que c’était une « ère d’infamie qui commen[çait] ».

En continuant d’en appeler au soutien américain, les Européens […] mettent l’administration Trump face à ses responsabilités.

Trump est en train de démontrer au monde entier qu’il faut se dissocier de l’Amérique, pour se mettre à l’abri de ses menaces ou caprices. De nombreux pays, en Asie ou dans le monde arabe, ont bien compris le message et vont être incités à diversifier leurs liens et leurs dépendances. Ce faisant, Trump ruine quatre-vingts ans de système d’alliances et de diplomatie états-unien. 

Comment analysez-vous l’issue du sommet tenu à Londres ce week-end ? Keir Starmer, qui continue d’en appeler à l’implication des États-Unis, s’aveugle-t-il ou force-t-il Trump à assumer le rapprochement américano-russe ?

Je ne pense pas qu’il y ait aveuglement. Les Européens jouent deux cartes à la fois : s’émanciper des États-Unis par principe de précaution (et parce qu’il serait temps de réaliser que notre sécurité ne peut dépendre que de nous-mêmes), et garder Washington à la table des négociations, tout en aidant Zelensky à y revenir.

En travaillant à un accord de cessez-le-feu auquel souscrit Zelensky, en continuant d’en appeler au soutien américain, tout en ravivant la possibilité d’un deal avec Washington sur les minéraux stratégiques, les Européens – mais appelons-les plutôt les alliés, car il y avait à Londres les Britanniques, les Canadiens et les Turcs, mais pas d’autres membres de l’UE – mettent l’administration Trump face à ses responsabilités.

Dès lors, il y aura deux scénarios possibles : soit la Maison-Blanche reprend le dialogue ; soit elle balaie ces tentatives d’un revers de main. Dans ce dernier cas, elle assumera son retournement d’alliance et sa soumission à l’agenda russe, ce qui provoquera un séisme chez ses autres alliés, aussi bien asiatiques, arabes, etc.

Vous constatez un retour à la brutalité dans les relations internationales. Est-ce si sûr si on adopte un point de vue moins européocentré ?

Les relations internationales ont toujours été tragiques. On pourrait remonter à l’Antiquité pour en trouver des illustrations. Ce dont je traite dans mon livre, c’est plutôt de l’échec des espoirs européens et occidentaux nés dans les années 1990 : la puissance états-unienne était à son faîte et se voulait libérale, on travaillait avec les Russes, la paix semblait possible au Proche-Orient, on comptait sur la démocratisation et la montée en puissance de l’Afrique…

Plusieurs jalons ont marqué la fin des espoirs. Il y a eu bien sûr la guerre en ex-Yougoslavie, et de terribles guerres au Sud, dont on a réalisé qu’elles n’avaient pas besoin de la guerre froide américano-soviétique pour exister. Mais surtout, la période néoconservatrice de la politique américaine, dans les années 2000 sous l’administration Bush junior, a été dévastatrice. 

Nous sommes revenus à la brutalité naturelle des relations internationales, y compris entre grandes  puissances..."..______________________________

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