Ou chef de guerre?
Une aspiration rêvée
... Pourquoi Donald Trump rêve-t-il autant du Nobel de la paix ?
La première fois que le président américain a reconnu ce désir secret, c’était après sa rencontre surréaliste avec le dictateur nord-coréen Kim Jong-un en 2019. “J’aurais dû l’avoir quatre ou cinq fois”, s’est encore plaint le président américain tout récemment. S’il parvient à imposer un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, il va en reparler, c’est sûr. Il pourrait le recevoir avec Benyamin Netanyahou pour la pacification israélienne, avec Vladimir Poutine pour le parta… euh, sauvetage de l’Ukraine, ou encore avec Mohammed ben Salmane pour un élargissement des accords d’Abraham. Qui sait ? Comment comprendre une ambition aussi incongrue qu’obstinée ? Il y a trois explications. La première est d’ordre psychologique. Donald Trump est un enfant-roi qui souffre d’un syndrome de toute-puissance. Adepte de la pensée magique, il considère qu’il a droit à tout ce qui lui fait envie et pense qu’exprimer sa pulsion mène naturellement vers sa satisfaction. La médaille du Nobel en or 18 carats décorerait avantageusement le Bureau ovale ou la résidence de Mar-a-Lago – à moins qu’elle ne soit revendue en cryptomonnaie. Même si ce garnement de Donald adore jouer à la guerre et menacer ses copains d’une bonne raclée, il considère qu’être sacré roi mondial de la paix est vraiment mieux qu’un prix de camaraderie. Bref, ça lui fait envie, et ça l’énerve de ne pas l’avoir encore reçu.
La deuxième hypothèse est celle du désir mimétique que décrit René Girard. Pour le philosophe français, on ne désire quelque chose que parce que quelqu’un d’autre le veut. C’est pourquoi Girard affirme que le désir est triangulaire et même que “l’élan vers l’objet est au fond élan vers le médiateur” (Mensonge romantique et vérité romanesque, 1961). En rêvant du Nobel, Trump veut obtenir ce qu’a reçu Barack Obama. Ceci explique qu’il déteste tant son prédécesseur : “L’être qui nous empêche de satisfaire un désir qu’il nous a lui-même suggéré est vraiment objet de haine.” En effet, comme l’ancien président américain a gagné le gros lot il n’y a pas si longtemps, son attribution à l’actuel résident de la Maison-Blanche est douteuse. Mais cette animosité recèle une “admiration secrète” qui rend la rivalité encore plus féroce. Pour effacer son rival, pour vaincre sa propre souffrance, Trump doit décrocher cette récompense coûte que coûte.
Ces deux explications sont à mon avis insuffisantes. La raison pour laquelle Donald Trump réclame le Nobel est profondément politique, et elle épouse sa stratégie. On peut se demander ce que ce prix-là en particulier représente pour un populiste conservateur. Il est ce qu’il y a de plus ridiculement années 1990. C’est durant cette décennie que le Tibet constituait une cause mondiale (le Dalaï-lama l’a reçu en 1989), que la perspective d’un État palestinien semblait à portée de main (Arafat/Rabin/Perez sacrés en 1994), que l’Afrique du Sud s’est débarrassée de l’apartheid (Mandela : 1993) et que la défense de la démocratie en Birmanie soulevait l’enthousiasme de tous (Aung San Suu Kyi : 1991). Or Donald Trump méprise les droits de l’homme, se fiche des Tibétains, voit surtout la Palestine comme une zone constructible et déplore les attaques contre les Blancs sud-africains. Le Nobel est le symbole d’une période qui se voulait multilatérale, respectueuse du droit international et persuadée que les progrès de la démocratie aboutiraient à la paix perpétuelle à la Kant. Trump, lui, à cette époque, se débattait dans ses affaires immobilières et rêvait de construire une tour sur la place Rouge tout en appelant les États-Unis à se désengager de l’Otan.
En réalité, le Nobel de la paix est tout ce qu’il abhorre. Pourquoi fait-il mine de vouloir l’obtenir ? Pour s’emparer de la notion de paix et la dévaluer, la vider de toute substance réelle. Il a fait la même chose avec celle de peuple – en faisant voter une loi favorisant les plus riches –, de démocratie, de droit, d’intérêt public. Lui qui se prétend faiseur de paix en flattant Poutine, en cédant à Netanyahou, en caressant ben Salmane et en menaçant ses voisins, propose une version carnavalesque de l’inversion totalitaire du langage décrite dans 1984 : “La guerre, c’est la paix.” Et lors de son discours de lauréat, Donald Trump ne manquera sans doute pas de rappeler que c’est Alfred Nobel qui a inventé la dynamite. La paix, c’est la guerre.
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