jeudi 14 août 2025

Retour au bon vieux temps

Celui du capitalisme sauvage, de la loi de la jungle

          Pétrole et  gaz  sans frein.

                    Comme toute les matières premières

        Point de vue et analyse:

Cela                                            "Cela fait désormais partie des usages de la présidence états-unienne. Chaque jour ou presque, Donald Trump donne un show dans son bureau de la Maison-Blanche digne des Affranchis de Scorsese. La violence et l’humiliation le disputent à la flagornerie devant un auditoire qui lui est acquis.                                                                         La semaine dernière, les patrons des géants du numérique n’ont pas échappé à la règle. Le 6 août, Tim Cook, le PDG d’Apple, est arrivé un cadeau à la main dans le bureau Ovale : une plaque en verre commémorative, fabriquée par Corning (un groupe verrier partenaire du groupe), montée sur un socle en or – forcément en or, pour complaire au goût du président (Donald Trump a fait redorer tout son bureau à la feuille d’or à son arrivée).                                                                                                            La plaque est censée symboliser le lancement d’une nouvelle usine, faisant partie des 600 milliards de dollars d’investissements que le groupe a promis d’engager aux États-Unis en quatre ans. Résultat ? Les produits du géant numérique, dont une grande partie est désormais fabriquée en Inde, seront dispensés de droits de douane à leur entrée sur le territoire.                                Le même jour, Donald Trump incendiait le PDG d’Intel, Lip-Bu Tan, et demandait sa démission immédiate, l’accusant d’entretenir des relations étroites avec des dirigeants du Parti communiste chinois et de menacer la sécurité intérieure. Dans la foulée, après entrevue avec son dirigeant, il autorisait le PDG de Nvidia, Jensen Huang, à vendre ses semi-conducteurs, considérés parmi les plus performants au monde, à la Chine. À une condition : que la firme reverse aux États-Unis 15 % des revenus tirés de ses exportations en Chine.                                                                                     Jamais le pouvoir états-unien n’avait pratiqué un tel interventionnisme, mis en œuvre de tels chantages auprès de groupes privés états-uniens. « Le capitalisme en Amérique commence à ressembler à la Chine », s’est alarmé le Wall Street Journal après les annonces sur Nvidia. Le quotidien économique voit dans toutes ces interventions l’émergence d’un capitalisme d’État.                                   Une analyse que beaucoup d’observateurs contestent. Après des premiers mois de décisions intempestives, de menaces, de tête-à-queue spectaculaires, d’arbitrages inexplicables et irrationnels, ceux-ci estiment qu’il n’y a aucune logique à chercher dans la politique de Trump. Elle s’inscrit dans l’imprévisibilité du « fait du prince » : tout peut changer d’un moment à l’autre, selon le jour, selon l’endroit, selon l’interlocuteur.                                                                                                                                   Au-delà du chaos mondial provoqué par Donald Trump, il y a cependant des constantes et des obsessions dans sa politique. Elles se retrouvent dans chaque négociation menée par l’administration états-unienne. Rompant avec le capitalisme financiarisé des dernières décennies, Trump renoue avec un capitalisme d’extraction et d’extorsion. Pétrole, gaz, matières premières, mais aussi données numériques, tout ce qui peut lui permettre de tirer profit, d’exercer un pouvoir monopolistique, l’intéresse.                                                                                                                  « L’exploitation du pétrole, l’exploitation des ressources minières et le transport maritime de marchandises, tous des secteurs extrêmement rentables à travers l’histoire, ont longtemps été un moteur clé de l’économie mondiale », rappelle Laleh Khalili dans son livre Extractive Capitalism (éditions Verso, 2025, non traduit)Avant de tout de suite nuancer son propos : ce capitalisme-là se nourrit de la corruption, de l’exploitation sans limites des ressources naturelles et humaines. Il institue une violence exacerbée contre tous ceux qui lui font obstacle. Cette politique d’accaparement au profit de quelques-uns engendre des inégalités insupportables.                                                                                       C’est à ce capitalisme-là que Donald Trump se réfère. Pour lui, toutes les richesses de la planète doivent être mises à la disposition des États-Unis et de sa volonté.                                Alors que les géants du numérique rêvent d’aller sur Mars, le président états-unien, lui, continue d’ambitionner des expansions terrestres. Des dérèglements climatiques menaçant l’humanité entière, il ne retient qu’une seule chose : la disparition des pôles, la fonte des glaciers et la fin du permafrost sont autant de territoires, jusque-là inexplorés, qu’il convient de conquérir. Ce sont les nouvelles frontières de son mandat.                                                                                                                            Dès son arrivée à la Maison-Blanche, il a désigné le Groenland comme une proie à avaler de gré ou de force pour pouvoir mettre la main sur ses ressources minières. Même si ce n’est pas l’enjeu premier de sa rencontre avec Vladimir Poutine le 15 août, choisir l’Alaska comme terrain de rencontre n’est pas sans signification. Donald Trump se projette déjà dans l’après : quand les glaciers de l’Arctique auront quasiment disparu. Au-delà des richesses inexplorées du sous-sol, la route maritime du pôle Nord deviendra utilisable tout au long de l’année, devenant la voie la plus rapide pour passer d’un côté à l’autre de la planète. Et les États-Unis et la Russie en seront les gardiens.                                                                                Mais pour l’instant, c’est d’abord le pétrole et le gaz qui l’intéressent. Dès son premier mandat, Donald Trump s’est montré fasciné par le monde pétrolier et les centaines de milliards de dollars qu’il charrie. Faisant une cour assidue à l’Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis et même à la Russie, il agissait alors comme si son pays, premier producteur mondial de pétrole, était membre du cartel de l’Opep, discutant avec les uns et les autres prix et production.                                                                    Depuis le début de son second mandat, le pétrole est devenu chez lui une obsession. Il veut des explorations, des forages partout, prendre le contrôle de toutes les réserves possibles dans le monde, sur terre ou dans les mers. Mais sa préoccupation est d’abord aux États-Unis. Alors que de nombreux gisements sont en cours d’épuisement, que les groupes ne veulent plus relancer de nouveaux projets faute de rentabilité assurée, il met tout en œuvre pour les inciter à redévelopper l’exploration et la production pétrolière et gazière états-unienne.                      Une de ses premières décisions a été de couper tous les moyens aux énergies renouvelables et à toutes les technologies propres, parce qu’elles font peser un risque existentiel au secteur pétrolier états-unien. Mais pour convaincre le secteur pétrolier d’investir à nouveau, il pense avoir trouvé la carte maîtresse qui va les convaincre : ce sont les autres pays, ceux qu’ils considèrent comme les vassaux des États-Unis, qui vont prendre les risques.

Dans l’accord commercial avec le Japon, il a ainsi imposé que les Japonais investissent 550 milliards de dollars aux États-Unis pour avoir accès au marché états-unien avec des droits de douane de 15 %. Et il a déjà désigné le premier projet d’investissement obligatoire : les capitaux japonais devront financer le gazoduc reliant l’Alaska aux États-Unis. Un projet vieux de trente ans qui n’a jamais réussi à voir le jour faute de capitaux et débouchés suffisants.                                                                     En contrepartie de 15 % de droits de douane sans réciprocité, les Européens eux se sont vu extorquer l’obligation d’acheter pour 750 milliards de dollars de pétrole et de gaz états-uniens en trois ans. Même si l’Europe entend respecter à la lettre ces exigences, la production pétrolière et gazière états-unienne disponible – en dehors de la consommation intérieure – et les infrastructures nécessaires pour la transporter vers l’Europe ne sont pas suffisantes pour remplir de telles conditions, sauf à appliquer des prix exorbitants en dehors de tout prix de marché. Mais qu’importe ! Donald Trump tient là un moyen de chantage qu’il pourra utiliser quand bon lui semble contre les Européens.                                                                                    Depuis son retour à la Maison-Blanche, le président états-unien a une autre obsession : les matières premières. Irrité par le quasi-monopole que s’est constitué le gouvernement chinois sur toutes les matières premières stratégiques et critiques dans le monde, qui lui donne un moyen de pression et de chantage inégalé, impressionné selon son entourage par la stratégie chinoise des routes de la soie, Donald Trump a décidé de marcher sur les traces de Pékin. Il développe désormais une diplomatie minière qui vise à faire main basse sur toutes les ressources disponibles dans le monde, en utilisant tous les moyens à sa disposition.                                         Cuivre, nickel, terres rares, tungstène... tout l’intéresse, en particulier les métaux nécessaires aux nouvelles technologies liées au numérique et à l’électrification des usages. Et le président états-unien a décidé d’utiliser tout le pouvoir militaire et diplomatique états-unien pour se les approprier.     Sa soudaine préoccupation pour arbitrer des conflits régionaux qui jusqu’alors ne le préoccupaient guère en témoigne : à chaque fois, en contrepartie de son arbitrage, il arrache des droits miniers pour les États-Unis. Le cas le plus flagrant est celui de l’Ukraine. Pour maintenir son soutien militaire à Kyiv, Donald Trump a extorqué au gouvernement ukrainien un accord sur la quasi-totalité des ressources minières et énergétiques du pays. Gaz, pétrole, terres rares et métaux critiques sont désormais à la main des groupes états-uniens pour leur exploitation.

Fort de ce précédent, Donald Trump a repris le même schéma dans d’autres dossiers. Il s’est ainsi beaucoup impliqué dans la résolution de paix entre le Rwanda et le Congo, aux ressources minières gigantesques que plusieurs pays, dont la Chine mais aussi de nombreuses mafias, se disputent. Pesant de tout son poids pour obtenir un cessez-le-feu et la garantie des frontières existantes, il a obtenu en compensation que les États-Unis aient un droit d’accès privilégié aux ressources minières de l’est du pays.                                                                                                                            Le même scénario s’est reproduit lors du conflit entre l’Inde et le Pakistan fin juin. Dans les discussions de cessez-le-feu, Trump a obtenu l’ouverture privilégiée de concessions minières à des groupes états-uniens. Depuis, il estime que le Pakistan est un allié parfait, à l’inverse de l’Inde qui continue à acheter du pétrole russe.       L’accord signé entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie sur le Haut-Karabakh s’inscrit dans le droit fil des accords précédents. Dans le cadre de sa médiation dans le conflit, Donald Trump a réussi à instituer une zone de transit permettant à Bakou d’atteindre ses territoires plus à l’ouest. Nommée « Trump Route for International Peace and Prosperity » (TRIPP), elle va permettre aux intérêts états-uniens de disposer d’un droit privilégié pour accéder aux ressources pétrolières et minières de cette région d’Asie centrale, jusque-là chasse gardée de la Russie.                                                                                                                                                          Mais il n’y a pas que les ressources naturelles qui intéressent Donald Trump. Avec le développement des technologies du numérique et l’essor de l’intelligence artificielle, les géants du secteur ont convaincu l’administration états-unienne que les données, toutes les données, étaient des ressources indispensables pour perpétuer leur domination sur les nouvelles technologies.   Il y a déjà plusieurs années que ces géants ont commencé à s’approprier toutes les données personnelles à leur disposition, afin d’améliorer les performances de leur ciblage publicitaire, leur première source de revenus, voire de manipuler les opinions comme dans le cas du scandale de Cambridge Analytica.               ___Mais avec le développement de l’intelligence artificielle, leurs appétits sont décuplés. Production intellectuelle, production artistique, savoirs scientifiques et techniques, savoir-faire, en quelques années, ils ont siphonné tout ce qui était à leur disposition. Dans l’indifférence totale de nombre de gouvernements – à commencer par le gouvernement français – qui n’ont pas mesuré l’importance de ces matières premières à l’ère numérique. Au mépris également de toute propriété intellectuelle, eux qui sont si à cheval sur leurs droits de propriété de marque.                                                                                                            Engagée dans une bataille mondiale de conquête numérique, la Chine a décidé de répliquer et de frapper là où les géants du numérique sont vulnérables : ces droits de propriété justement qui confortent leur pouvoir. À l’inverse de ChatGPT, Meta ou Google, la société DeepSeek et ses concurrents Alibaba, Qwen et autres, étroitement surveillés par le gouvernement chinois, ont tous décidé de laisser leurs modèles d’intelligence artificielle gratuits afin de faciliter la diffusion de leurs langages dans le monde entier.           Donald Trump n’a pas encore réagi à ce nouvel assaut chinois. Mais il ne devrait pas tarder. Dès le début de son nouveau mandat, il est déjà parti en guerre contre toutes les lois, toutes les protections instituées notamment en Europe qui font obstacle à l’exploitation sans réserve des données et de la production intellectuelle par les géants états-uniens. Un premier exemple a été donné avec le Canada, qui du jour au lendemain s’est vu imposer 35 % de droits de douane, en raison de la taxation des géants du numérique.                                                             Car, dans ce capitalisme d’extraction et d’extorsion, dans ce colonialisme à peine revisité, il n’y a pas de place pour les vassaux. Les langages, la création intellectuelle sous toutes ses formes, sont des matières premières indispensables au numérique qui ne sauraient échapper à la domination états-unienne. "     [Merci à Martine Orange- souligné par moi]                                                _______________________________

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