mardi 24 juillet 2007

Le vélo et moi


Confidences d'une petite reine...

Dans son article "Un petit vélo dans la tête ", Azür nous invitait lundi à des escapades pleines d’imprévus, avec le moyen de transport le plus sain, le plus simple,

le plus économique, le plus écologique. Source d’évasion , de dépaysement et de rêves. A sa suite, je vous propose de sortir des sentiers préélectoraux très encombrés et parfois un peu pollués, pour pédaler sur des pistes dégagées, aérées et pleines de surprises...

Avec moi on va loin. Et pourtant je suis fait de rien .. Trois fois rien. Juste quelques tubes assemblés, collés ou soudés. En acier, alliage d’aluminium, carbone ou titane. Peu importe.Un triangle, un tube de direction,une fourche, une potence, un guidon, un tube de selle , une selle. Et bien sûr pour mouvoir tout cela, transmettre la force musculaire : un axe, un ensemble pédalier, une chaîne, des pignons, deux roues... Peut-on imaginer plus simple pour se déplacer d’un point à un autre ?

Depuis mes origines , j’ai subi quelques modifications (changement de vitesse, freins plus ou moins sophistiqués), mais pour l’essentiel, depuis le début du siècle dernier, je garde toujours la même configuration, toujours fidèle à mes principes essentiels. Pour le compagnon qui me chevauche,l’ami qui me propulse, je reste LE VELO. Celui qu’on trouve encore, avec toutes ses variantes, dans les rues de Calcutta, du Caire,de La Paz ou de Hanoï , dans la campagne artésienne, ou sur le parcours de la « Grande Boucle »...

Bicyclette, vélo, bécane,biclou, petite reine ...je ne manque pas de dénominations. Les puristes font la distinction ,qui échappe au profane, entre bicyclette, trivial moyen de déplacement utilitaire , et vélo, instrument ludique d’une pratique sportive assidue et souvent passionnée, source de plaisirs aussi variés que mystérieux. A noter que « petite reine », contrairement à une croyance tenace, ne vient pas de l’usage qu’en a fait la reine Wilhelmine de Hollande, mais d’un journaliste, Pierre Giffard, qui en 1890 dans le « Petit Journal », produisit un dessin d’une jeune fille portant au-dessus de sa tête un vélo dernier cri, avec un titre qui allait frapper les esprits : « La Reine Bicyclette ».La réalité et le mythe prenaient leur essor.

J’ai déjà connu une assez longue aventure, que les curieux en matière d’histoire technique pourront trouver ici et ici

Louise Merzeau a fait une analyse assez fine de mes différents aspects , techniques et sociaux

J’ai d’abord été l’objet d’une pratique mondaine.L’aristocratie, les dandys parisiens et les notables de province s’entichent de moi, par souci de coller aux modes nouvelles.On aimait « vélocer »,comme on disait .Des cours de vélocipède se créent , notamment au Véloce Club, près de la Bourse. Le plus chic est d’aller se montrer le dimanche à St Cloud, chevauchant un drôle d’animal sans crotin.Je n’ai commencé à me démocratiser que lorsque l’automobile devint à la mode.

Je suis une machine à rouler, à transporter ; mais aussi une machine à rêver.Utile et ludique.

Je facilite le déplacement en quadruplant la vitesse du simple piéton. J’ai tout transporté sur les appendices qu’on m’a ajoutés (porte-bagage ou remorque) : les récoltes de la ferme, les produits du marché, en Inde ou au Mali ,l’équipement de camping, le matériel militaire en pièces détachées sur la piste Hô-Chi-Minh , assurant ainsi la victoire du Vietcong sur la machine de guerre US..

Objet rare et précieux pendant et après la guerre, qu’on se faisait parfois voler. Véhicule indispensable pour le résistant , transmettant un message ou des armes (Lucie Aubrac)

J’ai donné un plaisir inégalé aux premiers bénéficiaires des congés payés, qui partaient enfin découvrir une mer inconnue, aux amoureux qui pédalaient le samedi soir vers le bal du village voisin ,dynamo branchée. Je présidais aux sorties improvisées des dimanches de printemps (« Quand on partait de bon matin...avec Paulette » Yves Montand)... et aux rencontres galantes

Je donne de la jubilation aux enfants qui font le dur apprentissage de l’équilibre et de la maîtrise du guidon.

Ah ! les souffrances des premiers pédalages , l’obstination à imiter les adultes, pour pouvoir s’évader un peu de l’étroitesse du cercle familial.

« Dans le parc des Buttes-Chaumont un cycliste de 5 ans

S’apprête à vivre un grand évènement

Encouragé par son père et par sa maman

Il va faire du vélo comme les grands... » (Bénabar)

Il n’est pas étonnant que des écrivains se soient intéressés à moi et aient vanté mes mérites .

Certains ont décrit mes étonnantes performances et mes effets sur l’homme, d’autres m’ont pratiquée, en y trouvant détente, source d’inspiration, renouveau ,comme A.Jarry, ,Zola, G. Mordillat, Cioran ,Paul Morand, Paul Fournel, G. Pérec, A. Londres., Pablo Neruda, Alphonse Allais,Marcel Aymé, Jules RomainJulien Gracq...Il ne faut pas oublier Tristan Bernard ni Antoine Blondin, journaliste et écrivain, suivant avec passion le Tour de France. Et comment ne pas citer Roland Barthes, qui, dans ses « Mythologies », analyse le Tour comme une « épopée »., avec ses héros (Coppi, Bobet) et ses malchanceux (Poulidor...) ?

Jules Riol, lyrique : « Ainsi la clef des vrais trésors ,Elle est en toi : tu régénères Mes sens, mes muscles, tout mon corps ; L’espace n’a plus de barrières, . Les cités n’ont plus leurs prisons Et l’âme du pauvre poète ,D’infini toujours inquiète ,Voit s’élargir les horizons : Vive la bicyclette ! »

P. Fournel parle de moi avec passion : « Mon monde d’enfant a toujours été plus vaste que mon village. Dès que j’ai su pédaler j’ai eu l’idée d’un monde plus grand. » Dans sa Haute-Loire natale, Paul Fournel les a parcourues ces routes " étroites " et " serpentines ", " belles et peu fréquentées ", pour finalement, chaque jour un peu plus, s’enquérir de nouvelles contrées. Dans " Besoin de vélo ", son dernier livre, l’amoureux de la petite reine et l’homme de mots ne font plus qu’un. . Il parle d’un véritable " miracle " vécu au jeune âge. " Pendant des jours on tremble, on hésite, on se dit que jamais on ne se libérera de cette main qui nous guide sous la selle ", écrit-il de l’apprentissage enfantin sur deux roues, qui, pour ceux qui l’ont vécu intensément, révèle en nous un peu plus qu’une simple pratique physique. Lui, en est sûr : " Un matin, je n’ai plus entendu le bruit de la course derrière moi, plus le souffle rythmé dans mon dos. J’aurais voulu ne plus jamais mettre pied à terre de peur que le miracle ne se reproduise plus. J’exultais. ...De ce miracle je ne me suis jamais remis. Savoir nager ne m’a pas autrement ému et il n’y a guère que savoir lire qui ait égalé en intensité mon savoir-pédaler. À quelques mois d’intervalle j’appris donc, dans cet ordre, à faire du vélo et à lire. Au Noël de mes cinq ans j’étais un homme fait : je savais mon travail et mon loisir. " Il ajoute aussi : « le vélo donne un goût neuf aux choses simples...Il y a dans le vélo une RELATION AMICALE AU MONDE : les montagnes que l’on voit sont à escalader, les vallées sont à dévaler...Etre dans le paysage, dans la pluie, dans sa chaleur, dans son vent, c’est le voir avec d’autres yeux, c’est l’imprégner en soi d’une façon instinctive et profonde....Jouissant d’une nature en profondeur dépressive...le vélo est ma métaphore essentielle, mon modèle profond. Tant que je pédale, je suis en équilibre, TANT QUE JE PEDALE , JE TOURNE ROND... »... .... Rare symbiose entre la machine et l’homme, une machine que l’homme domine et mène à son rythme, sans souci de performance...

Comme dit un autre auteur en parlant de moi : « C’est ce mélange d’animation et de passivité et cet équilibre entre l’extérieur et l’intérieur qui conduit à un état de recueillement et de rêverie en vélo...le mouvement extérieur vient du paysage qui file à une trop grande vitesse pour qu’on le discerne clairement, mais néanmoins pas assez vite pour disparaître dans un masse confuse...L’esprit se détend, suit sa pente naturelle,s’abandonne à un vagabondage intérieur et, comme dit Rousseau, l’âme « se dégage des préoccupations quotidiennes et fastidieuses »...Il y a activité et passivité dans le vélo : l’homme entraîne son engin, qui l’entraîne à son tour, l’un et l’autre pris dans la même ronde »(Edwart Nye : « A bicyclette »)

Montaigne déjà, évoquant d’autres chevauchées : « Si le destin me permettait de passer ma vie à ma guise, je choisirais à la passer le cul sur la selle. »

Même un pianiste concertiste, assez atypique, René Duchable, se passionne en ma compagnie , y trouvant énergie et inspiration.

Il se vérifie souvent que mon usage bien tempéré et régulier apaise, euphorise parfois. Est-ce l’effet de ces molécules ,appelées endomorphines, que secrète le cerveau à l’effort ? Elles développent la jouissance, apaisent l’anxiété, atténuent les effets du stress, calment les douleurs et stimulent les facultés intellectuelles En tous cas , je constate que certains de mes adeptes assidus sont un peu déprimés, irritables dès qu’ils sont obligés d’abandonner quelque temps ma compagnie . Je remplace utilement le Prozac pour ceux qui sont surmenés ou au bout du rouleau et je constate combien l’humeur change avec moi , si l’effort est bien dosé.J e devrais être systématiquement conseillée par le corps médical , remboursée pas la Sécu, d’autant plus que je facilite souvent l’arrêt du tabac.Je favorise la sociabilité (les cyclistes se saluent le plus souvent en se croisant ou conversent amicalement en groupe, même sans se connaître),donc je contribue à un bien-être général qui a forcément des conséquences heureuses sur l’état de santé général...

Mes effets relèvent du mystère, de l’irrationnel, à tel point que celui que je passionne ne peut expliquer clairement ce qui le motive . Difficile à comprendre quand on n’est pas pratiquant...On attend encore le psychanalyste avisé qui tentera d’ expliquer l’attrait que je suscite parfois...aussi bien esthétiquement que dynamiquement. Y aurait-il une part d’érotisme qui se satisferait de manière étrangement sublimée, un rien de masochisme qui amène parfois à tester douloureusement ses limites ? Qu’est-ce qui pousse certains à braver les pentes de l’Aubisque ou à s’attaquer au col de la Madeleine ? Etranges défis , « inutiles » aux yeux du profane...

Le cycliste heureux n’a rien à prouver aux autres.Contrairement aux bourreaux du bitume, aux forçats du guidon, qui friment en club le dimanche matin ,pour exhiber leurs mollets surdimensionnés et raconter leurs derniers "exploits", Tartarins des pelotons..Alors qu’est-ce qui l’anime ?Une part de fétichisme parfois, qui fait qu’on s’attache à moi parfois au-delà du raisonnable (" Objets inanimés, avez-vous donc une âme ?"...) ? Qui pourrait rendre compte de la complexité des sentiments qui habitent celui qui fait de moi une complice de ses rêves , de ses évasions intimes ? Mais ne rompons pas le charme en essayant d’élucider des questions largement insolubles, gardons le mystère , qui s’enracine en partie dans les mythes de l’enfance, dans une nostalgie de liberté jamais assouvie, un désir d’évasion de soi et du monde toujours en question, une stabilité toujours à reconquérir....

Pronetaires de tous les pays ,adoptez- moi !

(Comme Maxim, B.Dugué, Alain C, Zen...et autres Agoravoxiens) .

Peuple des connecteurs, devenez aussi peuple des pédaleurs ! Lâchez le clavier pour le pédalier !

Vive la velorution !

Le bonheur est au bout du guidon !...


Edward Nye : A bicyclette (Sortilèges)

Paul Fournel : Besoin de vélo ( Seuil)

C.Dufour :L’ABC du vélo (Flammarion)

.Serge Laget :La saga du Tour de France (Gallimard)

Pour les inconditionnels, un des sites les plus complets : Vélo 101



ZEN



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