Difficile démocratie
__Rien n'est joué en Egypte,
disions-nous, il y a quelques semaines.
_Fin janvier, la pays paraissait à l'aube d'un grand changement.
Par rapport à la Tunisie, si différente à bien des égards, l'évolution paraissait plus périlleuse.
Autant on peut rester raisonnablement confiant dans le processus démocratique en cours à Tunis, qui prépare sans heurt sa transition et le passage à des élections, autant en Egypte, on a l'impression d'une certaine glaciation, qui ne dit rien de bon.
L'incertitude plane, la mobilisation est de moins en moins importante et quelques détails indiquent que le climat tend à s'alourdir:
"...le principal problème des manifestants reste l'inconnu dans lequel ils naviguent. Les réseaux de téléphone portables ont été rétablis, mais pas internet qui demeure coupé intégralement dans tout le pays. La chaîne Al-Jazira, principale source d'information indépendante, est désormais interdite de diffusion. Des barrages militaires ont aussi été installés sur de nombreuses artères menant au Caire, empêchant les habitants des banlieues de converger sur le centre pour venir grossir le rassemblement de la place Tahrir. Des rumeurs ne cessent de courir sur des bandes de pillards dans les quartiers aisés ou dans d'autres villes. La télévision nationale passe et repasse en boucle des images d'arrestation de deux groupes de jeunes : l'un avec des vêtements de sport volés, l'autre avec des armes de type machettes. Le but semble être clairement de faire peur aux citoyens. Un responsable d'une ONG égyptienne estime que Moubarak pourrait tenter de semer le chaos dans le pays grâce à des milices dévouées, afin de faire revenir la majorité de la population dans les bras du pouvoir."
_L'urgence semble être le rétablissement de nombreux rouages de l'économie. La désorganisation et le marasme à ce niveau suffisent à expliquer pourquoi la révolution s'est refroidie et que monte l'exaspération dans beaucoup de secteurs, notamment celui du tourisme, provisoirement sinistré. L'aide espérée et promise semble ne pas encore produire d'effets. L'espoir s'émousse vite quand la pauvreté s'étend, quelle que soit la valeur des transformations démocratiques attendues. Ventre affamé n'a pas d'oreilles... L'éditorialiste Wael Ghonim note:
"«L'économie devrait être la priorité pour les révolutionnaires, parce qu'elle est la soupape de sécurité qui garantira la continuation de la révolution et la purification de l'Egypte de la corruption ...Les travailleurs journaliers (ils ne sont pas moins de 1 million d'Egyptiens) et ceux qui sont employés dans le tourisme et l'immobilier, et bien d'autres, ne nous entendent jamais parler de leurs préoccupations. »
__Est-ce que le pourrissement ne serait pas (aussi) une stratégie des forces de l'ancien régime toujours présentes et actives, afin de reprendre la main? On peut le craindre...
__De plus la pression du régime saoudien se fait sentir dangereusement, comme le fait remarquer l'éditorialiste S.Farid, qui remarque:
" « La révolution de la place Tahrir a particulièrement déplu à deux pays qui l'ont fait savoir d'une manière ou d'une autre: Israël, qui a peur pour ses frontières, et l'Arabie saoudite qui craint la contagion. Mais l'Arabie saoudite va plus loin qu'Israël. Elle fustige publiquement le président Obama, coupable à ses yeux d'avoir laissé tomber des régimes amis. Aujourd'hui, Riyad exerce des pressions de plus en plus fortes sur le commandement militaire qui gère la transition. Dans les rédactions du Caire, tout le monde dit sans pouvoir l'écrire que les Moubarak sont sous la protection du régime wahhabite..."
Les Saoudiens ont des moyens de pressions financiers considérables pour influencer le cours des événements:
« Depuis toujours les Saoudiens nous méprisent. “Les Egyptiens sont des danseuses et leurs femmes des prostituées”, ont-ils coutume de dire en riant. Sauf qu'aujourd'hui, ils ne rigolent plus du tout. Les conservateurs wahhabites savent que la jeunesse saoudienne sera tôt ou tard influencée par la révolution de la place Tahrir, si celle-ci atteint son but ultime. Ils font tout pour que ce processus de démocratisation n'aille pas à son terme. Quatre à cinq millions d'Egyptiens travaillent en Arabie saoudite. Le royaume des Saoud peut renvoyer les Egyptiens qui travaillent dans les pays du Golfe. L'Egypte a déjà du mal à gérer les deux nouveaux millions de chômeurs qui ont dû quitter la Libye... «Bref, les wahhabites nous tiennent. Même le tourisme en Egypte est en partie entre les mains des Saoudiens qui possèdent une part non négligeable des grands hôtels. Aussi bien pour les politiques que pour les journalistes égyptiens, l'Arabie saoudite est le sujet délicat par excellence. Au journal, on gère ce drôle de paradoxe: ménager les Saoudiens pour protéger la révolution..."
__Beaucoup sentent l'urgence de la situation et s'investissent à nouveau pour obliger le pouvoir provisoire à sortir d'un immobilisme dangereux et équivoque:
. . Le 27 mai 2011, une nouvelle mobilisation a eu lieu en Egypte. La «coalition du 27 mai», rassemblant plusieurs associations de jeunesse et diverses forces politiques, ont appelé à manifester pour mettre la pression sur le Conseil Suprême des Forces Armées (CSFA), en charge de la transition en Egypte, afin qu’il accélère les réformes démocratiques..
.Deux journalistes soulignent: «La défiance envers le CSFA et sa gestion de la transition politique semble avoir atteint un très haut niveau parmi les jeunes du 25 janvier. Dans leurs appels à manifester, les comités populaires pour la défense de la révolution dénoncent ainsi «l’entêtement de la junte militaire à vouloir monopoliser le pouvoir, qui constitue un des chapitres du complot, et son déni évident de cette révolution dont a rêvé le peuple égyptien. Beaucoup de commentaires et de déclarations de ce genre circulaient reprochant au CSFA d’avoir édicté des lois sans débat, d’avoir eu recours à la violence et d’agiter le spectre de la faillite et de l’anarchie pour faire peur à la population. Ils appellent à la mise en place d’un conseil présidentiel civil révolutionnaire pour la période transitoire et à l’élection d’une assemblée constituante.»
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