mercredi 7 août 2013

Darwin contre Darwin

Douloureuse enquête
                                        L'année Darwin est passée, mais la pensée de Darwin n'est pas dépassée
Loin de là!
Sur les épaules de l'illustre naturaliste, on voit beaucoup plus loin.
Son voyage, plus long que prévu sur le Beagle, constitua un tournant dans une pensée qui se cherchait, mais qui n'imaginait pas sur quelles voies révolutionnaires allaient l'entraîner ses aventures exploratrices.
Son journal de bord en témoigne
Mais celle-ci, mettant à mal le créationnisme, ne s'est pas élaborée sans mal ni sans luttes internes.
La vie, c'est l'évolution, nous le savons mieux aujourd'hui, même s'il nous reste énormément à
connaître concernant les mécanisme de ce processus.
_____________Pour arriver à cette idée, pour dépasser le fixisme ambiant, si naturel en apparence, Charles Darwin, par un lent processus, dut lutter contre lui-même, contre l'obstacle épistémologique de son éducation, de ses habitudes mentales, de ses croyances spontanées, de sa propre foi:
  Charles Darwin s'est débattu longtemps contre la théorie, à ses yeux invraisemblable, fantaisiste, dangereuse, selon laquelle les espèces biologiques peuvent évoluer avec le temps. Alors qu'il ne portait pas encore sa fameuse barbe blanche, l'idée que les espèces auraient pu ne pas avoir été créées par Dieu telles que nous les connaissons lui faisait dresser les cheveux sur la tête. Loin de l'avoir découverte et immédiatement embrassée, loin de l'avoir choyée et cultivée avec amour, il a tout fait pour lutter contre.
Finalement, c'est à force de la bombarder d'objections, de contre-exemples et de difficultés, que le naturaliste a adopté la notion d'une «descendance avec modification», devenue, avec la publication de l'Origine des espèces (1859), l'une des thèses les plus célèbres de l'histoire des sciences. Dans une tête admirablement faite, le spectaculaire retournement de Darwin marque la victoire du doute contre les convictions, des observations et des raisonnements contre le respect dû aux maîtres, aux proches et à ses propres croyances. Une succession de carnets soigneusement tenus, souvent relus et commentés par l'auteur, ont été le champ de bataille de ce combat entre l'homme et l'idée....

 A 22 ans, Darwin part donc à l'aventure, habité par «un violent désir d'ajouter des faits nouveaux à la grande masse des phénomènes de la science». Il ne croit pas si bien dire. Au moment de monter à bord, Charles partage les convictions de ses professeurs Henslow et Sedg-wick, fidèles aux dogmes créationnistes : il considère les espèces comme des entités créées, dont l'organisation ne saurait qu'être fixe. Il admet que certaines d'entre elles peuvent apparaître ou disparaître (les fossiles mis au jour par Cuvier ne laissaient aucun doute, depuis 1812, sur la disparition de certaines espèces), mais il conçoit le mystère de leur génération comme une affaire de création divine. Comment Dieu s'y prend-il ? Telle est l'une des questions auxquelles il espère répondre.
Pendant son périple, qui dure près de cinq ans, le jeune savant collecte les spécimens de divers organismes, déterre d'importants fossiles en Patagonie, tout en lisant et relisant les Principles Of Geology de Charles Lyell (1797-1875). Selon ce géologue, les espèces s'éteignent avec les changements climatiques, mais les vides creusés par leur disparition sont compensés par la création de nouvelles espèces. Dans ce monde stable, le nombre d'espèces est constant, et celles qui apparaissent ne le font que pour remplacer celles qui ont disparu. Cette perspective oriente les méditations du jeune homme, mais la diversité naturelle qu'il découvre, à chaque fois plus abondante, de pays en pays, d'île en île, le laisse décidément perplexe...

 Il lui faudra vingt ans de méditations assidues pour regarder en face le drame qui s'est accompli - celui de sa propre trahison. En 1844, tremblant encore d'horreur, il avoue à Joseph Dalton Hooker (gendre de Henslow et directeur du jardin botanique de Kew) : «Je suis presque convaincu (contrairement à l'opinion que j'avais au début) que les espèces (c'est comme d'avouer un meurtre) ne sont pas immuables.»
Quelque chose comme un meurtre... Voilà ce qu'il en a coûté à Darwin pour arriver aux propositions de l'Origine des espèces. En 1856, en pleine possession de sa théorie, il aura fait définitivement son deuil de l'assentiment de ses proches. Au botaniste américain Asa Gray (1810-1888), il écrit encore : «Je suis arrivé à la conclusion hétérodoxe qu'il n'existe rien de semblable à des espèces créées indépendantes, que les espèces ne sont que des variétés fortement définies. Je sais que ceci m'attirera votre mépris. Je crois me rendre compte de la valeur des nombreuses et formidables objections qui s'opposent à cette manière de voir... Je suis certain que votre tendance sera de me mépriser, moi et mes lumières.» Un siècle et demi plus tard, on sait ce qu'il en est. C'est dans le sillage de Darwin que tous les scientifiques continuent, entre eux, de soulever leurs propres objections.."
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