Douloureuse enquête
L'année Darwin est passée, mais la pensée de Darwin n'est pas dépassée
Loin de là!
Sur les épaules de l'illustre naturaliste, on voit beaucoup plus loin.
Son voyage, plus long que prévu sur le Beagle, constitua un tournant dans une pensée qui se cherchait, mais qui n'imaginait pas sur quelles voies révolutionnaires allaient l'entraîner ses aventures exploratrices.
Son journal de bord en témoigne
Mais celle-ci, mettant à mal le créationnisme, ne s'est pas élaborée sans mal ni sans luttes internes.
La vie, c'est l'évolution, nous le savons mieux aujourd'hui, même s'il nous reste énormément à
connaître concernant les mécanisme de ce processus.
_____________Pour arriver à cette idée, pour dépasser le fixisme ambiant, si naturel en apparence, Charles Darwin, par un lent processus, dut lutter contre lui-même, contre l'obstacle épistémologique de son éducation, de ses habitudes mentales, de ses croyances spontanées, de sa propre foi:
Charles Darwin s'est débattu longtemps contre la théorie, à ses yeux
invraisemblable, fantaisiste, dangereuse, selon laquelle les espèces
biologiques peuvent évoluer avec le temps. Alors qu'il ne portait pas
encore sa fameuse barbe blanche, l'idée que les espèces auraient pu ne
pas avoir été créées par Dieu telles que nous les connaissons lui
faisait dresser les cheveux sur la tête. Loin de l'avoir découverte et
immédiatement embrassée, loin de l'avoir choyée et cultivée avec amour,
il a tout fait pour lutter contre.
Finalement, c'est à
force de la bombarder d'objections, de contre-exemples et de
difficultés, que le naturaliste a adopté la notion d'une «descendance
avec modification», devenue, avec la publication de l'Origine des
espèces (1859), l'une des thèses les plus célèbres de l'histoire des
sciences. Dans une tête admirablement faite, le spectaculaire
retournement de Darwin marque la victoire du doute contre les
convictions, des observations et des raisonnements contre le respect dû
aux maîtres, aux proches et à ses propres croyances. Une succession de
carnets soigneusement tenus, souvent relus et commentés par l'auteur,
ont été le champ de bataille de ce combat entre l'homme et l'idée....
A 22 ans, Darwin part donc à l'aventure, habité par «un violent désir d'ajouter des faits nouveaux à la grande masse des phénomènes de la science». Il
ne croit pas si bien dire. Au moment de monter à bord, Charles partage
les convictions de ses professeurs Henslow et Sedg-wick, fidèles aux
dogmes créationnistes : il considère les espèces comme des entités
créées, dont l'organisation ne saurait qu'être fixe. Il admet que
certaines d'entre elles peuvent apparaître ou disparaître (les fossiles
mis au jour par Cuvier ne laissaient aucun doute, depuis 1812, sur la
disparition de certaines espèces), mais il conçoit le mystère de leur
génération comme une affaire de création divine. Comment Dieu s'y
prend-il ? Telle est l'une des questions auxquelles il espère répondre.
Pendant son périple, qui dure près de cinq ans, le jeune savant
collecte les spécimens de divers organismes, déterre d'importants
fossiles en Patagonie, tout en lisant et relisant les Principles Of
Geology de Charles Lyell (1797-1875). Selon ce géologue, les espèces
s'éteignent avec les changements climatiques, mais les vides creusés par
leur disparition sont compensés par la création de nouvelles espèces.
Dans ce monde stable, le nombre d'espèces est constant, et celles qui
apparaissent ne le font que pour remplacer celles qui ont disparu. Cette
perspective oriente les méditations du jeune homme, mais la diversité
naturelle qu'il découvre, à chaque fois plus abondante, de pays en pays,
d'île en île, le laisse décidément perplexe...
Il lui faudra vingt ans de méditations assidues pour regarder en face le
drame qui s'est accompli - celui de sa propre trahison. En 1844,
tremblant encore d'horreur, il avoue à Joseph Dalton Hooker (gendre de
Henslow et directeur du jardin botanique de Kew) : «Je suis presque
convaincu (contrairement à l'opinion que j'avais au début) que les
espèces (c'est comme d'avouer un meurtre) ne sont pas immuables.»
Quelque chose comme un meurtre... Voilà ce qu'il en a coûté à Darwin
pour arriver aux propositions de l'Origine des espèces. En 1856, en
pleine possession de sa théorie, il aura fait définitivement son deuil
de l'assentiment de ses proches. Au botaniste américain Asa Gray
(1810-1888), il écrit encore : «Je suis arrivé à la conclusion
hétérodoxe qu'il n'existe rien de semblable à des espèces créées
indépendantes, que les espèces ne sont que des variétés fortement
définies. Je sais que ceci m'attirera votre mépris. Je crois me rendre
compte de la valeur des nombreuses et formidables objections qui
s'opposent à cette manière de voir... Je suis certain que votre tendance
sera de me mépriser, moi et mes lumières.» Un siècle et demi plus
tard, on sait ce qu'il en est. C'est dans le sillage de Darwin que tous
les scientifiques continuent, entre eux, de soulever leurs propres
objections.."
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