dimanche 1 septembre 2013

Richesse et valeur

 Extension du domaine de la valeur
                                                        Alors que la richesse est toujours en hausse pour une minorité, que la tyrannie des marchés, financiers surtout, approfondit son emprise, que  l'ère de la marchandisation généralisée fait son chemin, on est en droit de se demander quelle est la vraie richesse, du point de vue d'une économie considérée au sens large (au sens étymologique, aristotélicien du terme), qui ne serait plus réduite au seul quantitatif et au fétichisme du PIB).
  Il importe de démystifier cette notion purement comptable.
Comme disait Bob Kennedy, en mars 1968, " le PIB ne tient pas compte de la santé de nos enfants, de la qualité de leur instruction, ni de la gaieté de leurs jeux. Il ne mesure pas la beauté de notre poésie ou la solidité de nos mariages. Il ne songe pas à évaluer la qualité de nos débats politiques ou l'intégrité de nos représentants. Il ne prend pas en considération notre courage, notre sagesse ou notre culture. Il ne dit rien de notre sens de la compassion ou du dévouement envers notre pays. En un mot, le PIB mesure tout, sauf ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue”.
   En économie, il y a le mesurable, le quantifiable et l'inestimable.
La notion de valeur a deux aspects: l'aspect quantitatif, qui s'exprime dans la notion de prix, quels que soient les modes de sa formation, et l'aspect qualitatif; que reflète la valeur d'usage individuel ou social des biens produits: leur utilité pour la vie; ce que l'on consomme pour exister en fonction de besoins variables historiquement et culturellement. 
A la base tout, il y a la valeur de l'individu, qui ne se ramène pas à sa fonction de producteur/consommateur. Un être qui n'a pas de prix, par sa dignité intrinsèque, comme le relevait fortement Kant. La personne ne peut être un moyen, parce qu'elle est toujours une fin, possédant une valeur inconditionnelle, qui fonde le respect qu'elle mérite, en tant que semblable et différente de moi, conscience à la source des valeurs morales. La valeur des choses naturelles ou produites n'ont qu’une valeur relative, celle de moyens... au contraire, les êtres raisonnables sont appelés des personnes, parce que leur nature les désigne déjà comme des fins en soi, c’est-à-dire comme quelque chose qui ne peut pas être employé simplement comme moyen.
Aucune démonstration ne peut fonder cette donnée, qui s'affirme comme le  postulat pratique de base sans lequel aucune valeur morale n'est possible et aucune économie ne peut trouver tout son sens, sa finalité ultime: l'économie au service des hommes en tant que personnes, dont l'existence doit être assurée, mais qui ne se ramène pas à l'aspect économique.
       JM Harribey, qui ne ne va pas jusqu'à ces considérations philosophiques, quoiqu' elles sous-tendent ses analyses, se propose (et il n'est pas le premier) de remettre en question la notion de valeur telle qu'elle est envisagée dans l'économie classique depuis A.Smith, à l'aune de la production et des échanges, en revenant à certaines intuition de Marx  sur la dimension sociale, qualitative de la création de valeur.
            Dans son essai,  Jean-Marie Harribey, déconstruisant la notion de valeur dans l’histoire économique, ouvre des perspectives novatrices dans la manière d’appréhender le rôle de l’économie dans nos sociétés, propose une distinction très stimulante entre la richesse et la valeur (sous ses différentes formes) et affirme : « Au delà de l’économique, il n’y a pas rien, il y a beaucoup, mais dans un espace incommensurable au premier, parce qu’il concerne l’ordre des valeurs, et non pas de la valeur, ou bien l’ordre des richesses, qui déborde celui de la richesse économique ou valeur, à fortiori celui de la valeur marchande : il est celui de l’inestimable. »
  Il se donne comme projet théorique de refonder la pensée économique, comme le fait André Orléan et d'autres, qui sortent d'une économétrie à courte vue et quelque peu quantophrénique, guéris des dogmes qui se sont vus contredire par la violence de la crise en cours. A la lumière d'un certain bon sens souvent perdu, ils s'efforcent de repenser un capitalisme purement productiviste qui souvent sapent ses propres principes, surtout quand il s'égare dans les marais purement financiers, quand l'investissement intelligent à long terme est perdu de vue au profit du seul rendement financier à court terme et de la seule rente, incapable de prendre en charge les problèmes nouveaux qui se posent à l'humanité en corrompant les grandes décisions politiques, annexées par la logique d'un système où le seule profit tend à devenir l'alpha et l'oméga de toute vie. Même dans le domaine de la santé, de la gestion de l'eau ou du droit à polluer...
Laissons parler JMH.: 
"..Ce qui est mesurable monétairement ne couvre pas ce qui est inestimable sur notre planète et dans la vie des sociétés, il existe des registres incommensurables entre eux. La prétention de l’économie dominante est de penser pouvoir les agréger. L’ambition de ce livre est de refonder une critique théorique pour contribuer à réduire l’emprise de la création de valeur destinée au capital, à promouvoir celle qui est sans but lucratif pour répondre à des besoins sociaux, et à respecter les équilibres naturels qui sont sources de richesses indispensables à la vie. Là où le domaine du marchand se termine commencent celui du non-marchand et celui de la gratuité..."

Un souci écologique, au sens large, qui rejoint les analyses plus anciennes de René Passet et de P. Viveret.

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