Au delà de l'événement
A première vue, on voit mal ce que le climat a à voir avec le déroulement de l'histoire et particulièrement avec le déclenchements de conflits.
Les vicissitudes météorologiques ont tout à voir avec la nature tandis que les événements historiques semblent ne relever que de la volonté, des désirs, des passions humaines et des concours de circonstances.
Mais ces deux aspects du réel ont plus de rapports qu'on ne le croit.
La nouvelle histoire, depuis Braudel, a mis l'accent progressivement sur les interactions entre nature et histoire, notamment Leroy Ladurie.
On a émis et confirmé l'hypothèse de l'importance d'un phénomène climatique majeur comme un des éléments déclencheurs de la Révolution Française.
L'historien du climat ne s'intéresse pas seulement au climat mais à ses conséquences humaines. Les aléas climatiques ont souvent des incidences sur l'histoire des hommes.Pour remonter aux origines africaines, cela relève de l'évidence.
Les émeutes de la faim des dernières années sont multicausales. Mais les variations aberrantes des marchés ne sont pas seules en cause..
La climatologie donne des lumières, mais qui ne peuvent pas être suffisantes, quand elles interviennent.
Pas de causalité directe, mais des corrélations parfois évidentes.
Le climat ne peut être considéré comme une cause mécanique, uniquement déterminante, mais comme une donnée
incontournable pour comprendre certains changements de fond, par
exemple au niveau de l'agriculture et des habitudes alimentaires, donc
des progrès futurs, mais aussi des événements qui ont changé le cours
des choses , comme le passage des Huns sur le Rhin gelé ou la
défaite de l'armée allemande confrontée à l'hiver russe...
_________ Dans le cas syrien, des études récentes ont montré que:
Entre 2006 et 2011, la Syrie a connu
la plus longue sécheresse et la plus importante perte de récoltes
jamais enregistrée depuis les premières civilisations du Croissant
fertile . Au total, sur les vingt-deux millions d’habitants que comptait
alors le pays, près d’un million et demi ont été touchés par la
désertification , ce qui a provoqué des migrations massives de fermiers, d’éleveurs et de leurs familles vers les villes .
Cet exode a attisé les tensions provoquées par l’afflux de réfugiés
irakiens qui avait suivi l’invasion américaine de 2003. Pendant des
décennies, le régime baasiste de Damas a négligé les richesses
naturelles du pays, subventionné des cultures de blé et de coton
nécessitant beaucoup d’eau et encouragé des techniques d’irrigation
inefficaces. Surpâturage et hausse démographique ont renforcé le
processus. Les ressources hydriques ont chuté de moitié entre 2002
et 2008.
L’effondrement du système agricole syrien résulte d’un jeu complexe
de facteurs dont le changement climatique, une mauvaise gestion des
ressources naturelles et la dynamique démographique. Cette « combinaison
de changements économiques, sociaux, climatiques et environnementaux a
érodé le contrat social entre les citoyens et le gouvernement, catalysé
les mouvements d’opposition et irréversiblement dégradé la légitimité du
pouvoir d’Assad », estiment Francesco Femia et Caitlin Werrell, du Centre pour le climat et la sécurité . Selon eux, l’émergence de l’Organisation de l’Etat islamique et son expansion en Syrie et en Irak résultent en partie de la sécheresse. Et
celle-ci ne relève pas seulement de la variabilité naturelle du climat.
Il s’agit d’une anomalie : « Le
changement du régime des précipitations en Syrie est lié à la hausse
moyenne du niveau de la mer dans l’est de la Méditerranée, cumulée avec
la chute de l’humidité du sol. Aucune cause naturelle n’apparaît dans
ces tendances, alors que la sécheresse et le réchauffement corroborent
les modèles de réponse à la hausse des gaz à effet de serre », estime la revue de l’Académie des sciences américaine .
Autre exemple: ....Dans l’est de la Chine, durant l’hiver 2010-2011, l’absence de
précipitations et les tempêtes de sable, qui ont conduit le gouvernement
de M. Wen Jiabao à lancer des roquettes dans l’espoir de déclencher des
pluies, ont eu des répercussions en cascade, bien au-delà des
frontières du pays. La perte de récoltes a en effet contraint Pékin à
acheter du blé sur le marché international. La flambée du cours mondial
qui s’est ensuivie a alimenté le mécontentement populaire en Egypte,
premier importateur mondial de blé, où les ménages consacrent couramment
plus du tiers de leurs ressources à la nourriture. Le doublement du
prix de la tonne de blé, passé de 157 dollars en juin 2010 à 326 dollars
en février 2011, a été fortement ressenti dans ce pays très dépendant
des importations. Le prix du pain a triplé, ce qui a accru le
mécontentement populaire contre le régime autoritaire du président Hosni
Moubarak.
Dans la même période, les récoltes de blé, de soja et de maïs de
l’hémisphère Sud ont été frappées par la Niña, un événement climatique
sévère qui a déclenché une sécheresse en Argentine et des pluies
torrentielles en Australie. Dans un article de la revue Nature,
Solomon Hsiang, Kyle Meng et Mark Cane établissent une corrélation entre
les guerres civiles et le phénomène El Niño Southern Oscillation
(ENSO), qui, tous les trois à sept ans, provoque une accumulation d’eaux
chaudes le long des côtes de l’Equateur et du Pérou, ainsi qu’un
renversement des alizés du Pacifique, associés à d’importants
bouleversements météorologiques à l’échelle mondiale.
Pour Hsiang et ses collègues, la probabilité de conflits civils double
durant le phénomène ENSO. C’est la première démonstration du fait que la
stabilité des sociétés modernes dépend fortement du climat global.
Le changement climatique est devenu un « multiplicateur de menaces » et modifie le cours des relations internationales. A la hard security héritée de la guerre froide succède la natural security,
concept forgé par les militaires américains rassemblés au sein du
Center for a New American Security. Ce think tank a été créé en 2007
pour contrer le climato-scepticisme des néoconservateurs et identifier
les menaces globales émergentes.
Les sources de l’insécurité environnementale ne peuvent plus se
réduire à des éléments purement exogènes et naturels comme les éruptions
volcaniques, les tsunamis ou les séismes. Les activités humaines,
l’accélération des cycles productifs et leur globalisation concourent à
déstabiliser le climat. Le néologisme « anthropocène » désigne cette empreinte démesurée des sociétés industrielles sur le système terrestre.
En Arctique, où les glaces pourraient avoir complètement fondu d’ici à
la fin du siècle, et où les effets du réchauffement global sont deux
fois plus intenses qu’ailleurs, la revendication de nouvelles frontières
terrestres et maritimes ravive les tensions entre pays circumpolaires.
La Russie, qui explore l’Arctique depuis des siècles, est la seule
nation à posséder une flotte de brise-glaces nucléaires. Un modèle
géant, en cours de construction sur les chantiers navals de
Saint-Pétersbourg, sera achevé en 2017.
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